Par Robert Santo-Martino (de Paris pour Réalités)
L'art cinétique et l'Op’art semblaient être tombés en désuétude.
Mais voilà que plusieurs institutions, non des moindres, se rejoignent pour présenter des œuvres qui se modifient par le déplacement des spectateurs, sous l'effet de jeux d’optiques, ou sous l'action de moteurs et l’intervention d’éléments naturels tels que le vent ou l’eau ou le soleil.
Le Grand Palais pour la première fois consacre l'ensemble de ses galeries, soit environ 3700 m², à la présentation de 150 artistes travaillant parfois en groupe qui ont contribué au développement de cette forme d’art sur une centaine d’années.
Le centre Pompidou présentait cet hiver une exposition Soto. Le palais de Tokyo vient de refermer les portes de sa grande verrière sur Julio Le parc.
La légende de ce qui serait désigné sous les termes d’art cinétique et plus tard dans la version anglo-saxonne d’Op’art débute en 1955, à la galerie Denise René avec la retentissante exposition : Le Mouvement.
On doit à Denise René, militante de l’abstraction géométrique qui avait transformé sa boutique de mode en boutique d'art sur une proposition de Victor Vasarely, la reconnaissance d’artistes comme Agam, Bury, Jacobsen, Soto, Tinguely… présentés aux côtés des figures tutélaires de Marcel Duchamp et Alexander Calder.
Au-delà des différences de styles et de matière, la nouvelle tendance qui émerge et dont Denise René disait qu'il il était simplement dans l’air quand elle s’en est saisie, joue sur la perception même du spectateur quand celui-ci n'est pas directement invité à interagir avec les œuvres.
Dix ans plus tard, à New York, le MoMa monte The Responsive Eye où se mêlent productions parisiennes et américaines. Le mouvement gagne en légitimité. Tout en renouant avec l’abstraction, il entre en concurrence avec le Pop’art récemment promulgué.
L'usage des matériaux industriels et la répétition des compositions géométriques irréprochables engagent un dialogue avec la société industrielle. Spectaculaire et moins caustique que le Pop'art, l’Op’art s'applique à séduire un public fatigué par les mises en œuvre conceptuelles.
Entre Le Mouvement et The Responsive Eye, plusieurs groupes d’artistes se forment avec la même résolution de faire du mouvement un médium à part entière dans un mode de production collectif : ainsi naissent le Groupe N à Padou, le Groupe T à Milan, à Düsseldorf le Groupe Zéro, en Hollande le Groupe Nul, le Groupe Anonima à Cleveland, à Paris le G.R.A.V., Groupe de Recherche d’Art Visuel invente un labyrinthe des perceptions et notifie à son entrée : défense de ne pas participer, défense de ne pas toucher, défense de ne pas casser.
Le succès de l’art optico-cinétique a été certain. Calder peignait une voiture pour les 24 heures du Mans, Tinguely récupérait les carrosseries de bolides pour d'autres créations. Vasarely s'est décliné sous forme de panneaux urbains et d'impardonnables papiers peints.
Puis d'autres mouvements sont advenus, support-surface ou la figuration narrative et l'on disait la mode passée. C'est déjà une bonne raison d'y retourner voir.
Le travail de l'argentin Julio Le Parc n'avait jamais fait l'objet d'une grande rétrospective en France.
Membre fondateur du G.R.A.V.dont il représente la tendance la plus politique (et obstinément casse-pied) il est vrai qu'il avait été expulsé pour sa participation aux ateliers populaires de mai 68 et qu'alors qu'on lui offrait, en 72, une exposition au Musée d'Art moderne de Paris, il tergiverse. Hostile aux institutions et aux pouvoirs, il laisse le hasard se prononcer pour lui et joue l'exposition à pile ou face. Ce fut face et un refus à la proposition.
Le Centre Pompidou attendra 2011 pour lui acheter une œuvre. La pénitence s'est achevée au Palais de Tokyo (juste en face Musée d'Art moderne d'ailleurs) avec sur 2 000 m², les multiples facettes de son inspiration, peintures, sculptures et installations monumentales.
La rétrospective est comme un index de l'art cinétique, de ses techniques et de ses intentions : ensemble de lamelles réfléchissantes qui altèrent la perception de l'espace, alternance de pièces lumineuses ou sombres et une salle de jeu composées de sols instables, sièges à ressorts, lunettes déformantes et un jeu de massacre interactif suggérant de mettre à bas les mythes et les tutelles.
L'objectif de démocratiser l'art est-il atteint ? Certes on n’est pas là dans un espace muséal. Il y a de l’exubérance dans un parcours construit et un aspect fête foraine : on tombe, on lance des boules sur l'oncle Sam, on est toujours trop près ou trop loin des pièces … loin en tous cas de figure de la supposée passivité du spectateur pieusement planté devant la Joconde ou les Ménines.
Le dérèglement des sens est atteint, la mise à contribution du visiteur aussi. Sans que l'équation de départ, musée égale art compassé et par inversion participation égale art vivant, soit vérifiée.
D'abord parce que le regard sur une œuvre peut être silencieux sans pour autant être vide.
Ensuite, parce que bousculer la muséographie classique, ce qui est réussi ici, se justifie par la nature des pièces présentées sans possibilité de prévoir leur réception.
Tant d'installations on été déballées dans des sites industriels désaffectés que cela en est devenu insipide.
Au demeurant, Julio Le Parc est encore représenté au Grand Palais, avec des œuvres identiques pour partie, mais dans un accrochage tout différent. Dans des pièces séparées ou derrière un rideau, dans l'intimité de l'objet. L'effet est catégoriquement dissemblable et ce qui au Palais de Tokyo pouvait paraître résulter de l'assemblage complexe de laser manœuvré par des d'ordinateurs se montre comme la combinaison de petits bouts de cartons, de ficelles, de lampes et de miroirs.
Au Grand Palais le visiteur est accueilli par une sculpture de brume de Fujiko Nakaya. L'attendent ensuite à l'intérieur 150 artistes dans un long circuit qui débute par les contemporains pour conduire jusqu'aux grands précurseurs : Robert Delaunay, Hans Richter, Alexander Rodtchenko ou László Moholy-Nagy
Il n'a fallu pas moins de quatre commissaires et dit on sept ans d'efforts pour ouvrir cette exposition dont le propos est que l'expérimentation esthétique autour du mouvement se déploie, en dépit du souci de rupture des années 50 et des manifestes novateurs, dans une filiation et un dialogue entre les périodes.
Deux parties principales, intitulées vision et espace, se subdivisent ainsi en seize sections consacrées à différents thèmes : l’immatériel, la monochromie, l’interférence, l’immersion, le clignotement, la nuée, l’instabilité, la distorsion, le vide, l’invisible ou encore la permutation.
Le parcours n'est pas de tout repos. Il faut affronter les néons de John Armleder, les miroirs concaves d'Anish Kapoor, le labyrinthe tournant de Jeppe Hein sous les stroboscopes de Carsten Höller… On en sort littéralement ravi et on l'est plus encore en parvenant dans une salle avec de simples aplats de couleurs.
Dynamo se dérobe au résumé. La synthèse serait d'ailleurs contradictoire avec une conception profondément immatérielle et mouvante de la réalité.
La tendance est forte mais il serait dommage cependant de ne voir dans l'accumulation des pièces qu'une usine à sensations et des machines à impressions. Le spectateur n'a que peu de liberté pour ne pas ressentir quoi que ce soit : les œuvres les plus modernes sont faites pour atteindre directement les sens.
Il lui reste celle de questionner en retour les artistes. De demander ce qu'il y a de personnel, de ressenti dans ce qu'ils offrent et où va se perdre le souffle qui prolonge chaque mouvement.
R.S-M.
*Exposition : Dynamo. Un siècle de lumière et de mouvement dans l’art, 1913-2013
Grand Palais jusqu'au 22 juillet