Personne ne conteste que depuis 2011, les forces de sécurité et les forces armées sont devenues une cible aussi bien du terrorisme que du vandalisme, suite à des contestations pas que sociales. Vient s’ajouter à cela la montée spectaculaire des syndicats des forces armées, particulièrement chez la police et à moindre degré chez la Garde nationale. On a vu à maintes reprises des représentants syndicaux dénonçant le manque de fermeté ou parfois des accusations de noyautage et de complicité avec les politiques ou des criminels. Avec ce déferlement sans précédent de l’information et d’atteinte aux agents portant les armes soit en leurs personnes, locaux voire leurs familles, les peines encourues, il faut dire minces ont poussé le législateur et surtout les deux ministères de l’Intérieur de la Défense nationale à édifier un projet de loi foncièrement contesté surtout par la presse et les médias, car donner une information anodine peut être interprétée comme une atteinte à la sécurité nationale. Nous allons juste nous en tenir ici à l’aspect purement sécuritaire et de savoir si ce projet de loi répond réellement aux défis actuels et futurs.
Instaurer de nouvelles mesures de sécurité
La bonne foi du législateur dans ce projet de loi n’est guère mise en question quand on voit les atteintes incommensurables commises contre nos forces armées et de l’ordre. L’article 1 présente une esquisse qui définit l’essence et l’esprit de ce projet de loi qui vise à protéger les forces armées ainsi que leurs locaux et la sécurité nationale à travers l’interdiction de divulgation d’information de toute nature concernant les corps armées :
Article premier : La présente loi vise à protéger les forces armées contre les atteintes qui menacent leur sécurité et leurs vies, et ce pour garantir la stabilité de la société tout entière.
Elle vise également à réprimer les attaques faites contre les édifices, les établissements et les équipements qui sont mis à leur disposition ou protection ou surveillance, ainsi que la répression des atteintes contre les secrets de la sûreté nationale.
L’esprit de cette loi est forcément louable car il est vraiment temps que cessent définitivement les actes de vandalisme, d’incendies et d’atteintes à nos corps armées qui sont les boucliers de l’Etat et les garants de la sécurité du pays et de l’Etat. Aussi, faut-il tout faire pour préserver les informations sécuritaires classées « secrets » afin qu’elles ne soient pas entre les mains de spéculateurs et de personnes voulant régler des comptes à d’autres personnes ou parfois jouant au profit d’un parti politique ? Ici on est à la limite entre la divulgation du secret professionnel et la liberté d’expression, chère à tous les médias. Pour autant, le scoop médiatique doit-il aussi avoir le regard tourné d’abord non seulement vers l’information mais les retombées de celle-ci sur la sécurité nationale ? Le débat reste grand ouvert entre ce qui est secret d’Etat ou atteinte à une institution et ce qui ne l’est pas. Dans cette élasticité, les journalistes, les défenseurs des Droits de l’Homme et la société civile craignent le retour à un Etat policier et le contrôle des moyens d’expression. Ce débat reste grand ouvert et on se limitera ici à ne l’esquisser que sommairement.
Mais de retour à l’aspect purement sécuritaire de cette loi, les articles 2,3, et 4 apportent du nouveau quand ils annoncent que l’Etat doit garantir la sécurité de ses forces en les protégeant en leurs personnes, leurs familles et leurs lieux d’habitation. Mais concrètement comment ?
On sait que pour mettre cette infrastructure de protection, cela va exiger des moyens colossaux : logements de fonctions, crèches, transport des agents vers leurs lieux de travail etc. Mais la mesure la plus concrète reste le port d’arme des agents en dehors du temps du travail : le projet ne donne aucune nuance et n’avance aucun élément concret !
Il faut dire que les principes fondamentaux qui « sécurisent » les forces armées existent, mais on sait très bien qu’elles exigent un travail de longue haleine et des moyens financiers et logistiques conséquents. Reste le côté répressif au niveau d’abord des agents et ensuite de tout individu qui enfreindrait ces mesures qu’on peut qualifier de draconiennes.
Des mesures démesurées ou méritées dans une guerre contre le terrorisme ?
Nul doute que la guerre actuelle menée contre le terrorisme appelle une vigilance et à une mobilisation sans précédent. Le nombre de tués au sein de nos forces armées qui sont sur la première ligne de mire des réseaux terroristes et des brigands requiert un changement quasi radical des stratégies sécuritaires, mais qui ne se traduiront d’effet que si les lois en vigueur doivent aussi être en mesure de protéger nos forces et leurs édifices et leurs conditions de travail pénibles.
Je veux bien qu’on défende les droits des individus quand ils sont arrêtés, mais les Ligues des Droits de l’Homme en Tunisie ou d’ailleurs doivent à mon sens tenir compte et défendre aussi les droits des forces armées devant les crimes et les menaces qu’elles subissent tous les jours. Car des agents en bon équilibre économique, social et psychologique pourraient certainement travailler dans des meilleures conditions et non sous la menace et la tension. Défendez leurs droits aussi, ils pourront mieux respecter les droits des personnes arrêtées quand les lois les protègent aussi !
Selon ce projet de loi, l’information pouvant nuire à la sécurité nationale et divulguée soit par les agents soit par les médias sans autorisation préalable est passible de peine et d’amende assez lourdes tout de même. Nous pensons que le législateur avait pensé plus aux personnes et aux membres des syndicats policiers qui, à maintes reprises ont fait circuler dans les médias des instructions ou des informations secrètes. Il s’agit plus de sanctionner le secret professionnel que de toucher à la liberté d’expression. Mais l’erreur est dans la formulation juridique qui laisse transparaître une atteinte réelle aux médias qui ne sont en fin de compte que le relais à l’information. Au fait, un journal, une radio ou une chaîne TV comment vont-ils savoir qu’une information, un document, une personne qui divulgue une information concernant la police, l’armée ou la douane avaient porté atteinte à la sécurité nationale. Cette notion même est floue, preuve que si on demande aujourd’hui même à la Présidence que doit englober le conseil de sécurité nationale, on ne vous évoquera que l’aspect sécuritaire ou militaire, or cette notion est infiniment plus vaste et touche au moins 10 ministères !
Il faudrait revenir sur le texte et spécifier entre ce qui est information officielle et celle dite « secrète » et dans quelles mesures cette information peut-elle porter atteinte à la sécurité nationale ? N’oublions pas que dans le passé et dans les dictatures militaires, cette notion renvoie à des jugements expéditifs. Évitons l’amalgame et clarifions les notions qui immuniseront mieux les forces armées et les ministères de souveraineté et ne pas laisser au juge le loisir d’interpréter à sa guise, où parfois on pourrait assister à des jugements sur les intentions et non sur les actes.
Les atteintes physiques aux agents et aux édifices des forces armées sont passibles de lourdes peines. Les articles 10 à 14 spécifient bien les types d’agressions des postes des forces armées et même leurs demeures familiales. C’est avouons le une bonne disposition, mais faut-il d’abord offrir des conditions de vie descentes (habitat, transport, loisir) pour les familles des forces armées et surtout d’ériger de véritables locaux de travail bien protégés et non des locaux qui ne répondent aucunement à la protection des agents. Il faudrait repenser et bâtir de nouveau des locaux dignes de ce nom, afin de faire imposer le respect du lieu et des personnes qui y travaillent.
Qui est censé appliquer cette loi ?
Une des grosses lacunes de ce projet de loi réside dans le fait qu’il ne mentionne pas la compétence en matière juridictionnelle : est-ce le tribunal militaire ou les tribunaux civils qui vont trancher dans toutes les atteintes aux forces armées. Car, si les atteintes touchent l’armée nationale, on verra bien que le procureur saisira son tribunal. Afin de ne pas sombrer dans les querelles de compétences, il vaudrait mieux clarifier cet aspect tellement important pour les individus et les journalistes aussi.
N’appelons pas comme de nombreuses voix aujourd’hui à annuler ce projet, car il est important que nos forces armées et la douane puissent enfin avoir une législation qui les protège, mais apporter de nombreuses retouches s’avère plus que nécessaire face à l’ambiguïté de nombreux articles. La philosophie de ce projet est globalement acceptable, mais le diable réside dans les détails. Ainsi, plus l’exposé des articles est explicite et spécifique plus les moyens d’interprétations abusives seront réduites. Messieurs, travaillez de concert avec les spécialistes, protéger certes nos forces armées qui est une demande générale, mais faites aussi la démarcation entre ce qui est de l’ordre du permis et de l’interdit dans le stricte respect de la Constitution et des Droits de l’Homme. On se passera certainement de certaines libertés en faveur de notre sécurité nationale, à moins que ça ne devienne pas une épée de Damoclès qu’on brandit contre toute voix libre.