Ce rapport vise à dresser la situation des enfants non scolarisés (ENS) ou présentant un risque de le devenir et cherche à identifier les facteurs sociopolitiques et culturels qui freinent l’accès à l’école et la poursuite de la scolarisation de ces enfants.
Le lancement du rapport national sur les enfants non scolarisés, OOSCI, (Out Of School Children Initiative – OOSCI) est venu concomitamment avec le démarrage de la consultation nationale sur la réforme du système éducatif, ce qui ne manquera pas de présenter de nouvelles pistes de réformes et, surtout, des actions à engager en profondeur pour maitriser le phénomène inquiétant d’abandon scolaire précoce.
L’importance de ce document de stratégie réside dans le fait qu’il donne un éclairage fort utile sur la situation des enfants en dehors du système scolaire (enfant non scolarisés du préscolaire jusqu’à la fin du cycle de base, enfants en échec scolaire, enfants en abandon scolaire, enfants menacés d’abandon, d’échec ou d’exclusion scolaire). Grâce à une capitalisation de plusieurs études nationales et une analyse quantitative et qualitative fine des données, il révèle les barrières et goulets d’étranglement et avance des recommandations basées sur des données probantes.
Ce rapport, qui a été conduit, entre 2013 et 2014 dans le cadre de l’Initiative mondiale en faveur des enfants non scolarisés, est le fruit d’une collaboration entre plusieurs partenaires nationaux et internationaux. Il a bénéficié d’un appui technique et financier du Bureau régional de l’UNICEF qui a mobilisé des partenaires techniques de renommée mondiale dont notamment l’Institut de statistique de l’UNESCO (ISU) et l’Oxford policy management (OPM). La rédaction et l’analyse qualitative ont été confiées au Bureau d’ingénierie en éducation et en formation de Louvain-La-Neuve en Belgique (BIEF).
Cette étude vise à dresser la situation des enfants non scolarisés (ENS) ou présentant un risque de le devenir. Elle cherche également à identifier les facteurs sociopolitiques et culturels qui freinent l’accès à l’école et la poursuite de la scolarisation de ces enfants. Partant de ce constat, elle propose un certain nombre de pistes d’action.
Une répartition non équitable
Dans le préscolaire, en l’espace de dix ans on a enregistré une certaine évolution. En effet, d’un enfant sur deux, inscrit dans l’année préparatoire en 2006, on est passé aujourd’hui à un enfant sur trois.
Malgré cela, l’accès à un enseignement préscolaire reste encore laborieux et on enregistre de grandes différences en termes d’accès entre le milieu rural et le milieu urbain. Cet accès n’est pas réparti de façon équitable puisqu’un enfant inscrit en première année primaire a près de deux fois plus de chances d’avoir suivi une année préparatoire lorsque sa mère a suivi l’enseignement supérieur ou lorsqu’il se trouve dans une famille aisée.
D’une manière générale, la question de la couverture préscolaire en milieu rural, exige la mise en œuvre d’une politique tendant à rendre le préscolaire obligatoire et gratuit. Une politique, mentionne ce rapport, « qui ne se limite pas uniquement à l’année préparatoire, mais qui intègre aussi la préscolarisation des enfants de 3 et 4 ans ».
A l’évidence, les années qui précèdent le début de la scolarisation primaire sont cruciales pour le développement de l’enfant, pour la formation de sa personnalité, pour la contribution à ses succès scolaires ultérieurs mais aussi pour le dépistage précoce d’insuffisances physiques ou mentales susceptibles de limiter ses chances de réussite scolaire.
Dans le cycle primaire, note l’étude, le taux de scolarisation est atteint de manière presque universelle, abstraction faite des profils d’enfants. Le nombre d’ENS (enfants non scolarisés) en âge du primaire est de 15.033 (6.070 filles), soit un taux de 1,5%. En termes de maintien des élèves dans le cycle primaire, les données sont globalement satisfaisantes, dans la mesure où le nombre d’abandons s’est divisé par trois entre 2000 et 2012 (passant de 9% à 3%). Le couac, précise le rapport « cette diminution s’est faite au détriment d’un système d’enseignement de qualité ». En atteignant la sixième année de l’enseignement de base, les élèves n’acquièrent pas nécessairement les compétences de base requises. Il en résulte dans les collèges un nombre d’abandons deux fois plus élevé qu’au primaire, ce qui pose d’une manière rémanente la question de la difficile transition entre les deux cycles
Plus inquiétant, du primaire au collège, le nombre des élèves handicapés diminue de près des deux tiers et on n’en retrouve qu’un quart au lycée. La question du genre est très sensible dans les abandons au collège, devenant deux fois plus importante chez les garçons que chez les filles. Les études montrent que les difficultés scolaires sont corrélées au statut socio-économique, lequel fait lui-même l’objet d’importantes disparités régionales. Les gouvernorats du Centre Ouest enregistrent les taux de scolarisation les plus faibles. Les enfants de 12 à 14 ans sont en dehors de l’école dans des proportions plus élevées qu’au primaire. En témoigne, un peu plus d’un enfant en âge d’aller au collège sur dix (soit un total de 49.380, dont 23.357 filles) ne suit pas une scolarité dans le deuxième cycle de l’enseignement de base. Il s’agit pour la plupart d’enfants qui ont abandonné l’école, ce qui fait de l’abandon la problématique majeure du collège.
La nécessaire cohérence entre les programmes
Face à une situation à la fois difficile et complexe, toute action de réforme doit prendre en considération un certain nombre de préalables. Il s’agit d’agir dans le sens d’avoir un système d’éducation qui place l’élève au centre des apprentissages.
A l’heure actuelle,l’accent doit être mis plutôt sur le développement d’un système d’évaluation des acquis des élèves, qui se base sur la résolution de situations complexes et concrètes, afin de favoriser au maximum l’exploitation des ressources dans l’intérêt des élèves. De façon concomitante, il importe de renforcer les cours de soutien au bénéfice des élèves en difficulté.
L’autre axe prioritaire de réforme consistera à relever le défi de la révision et de l’uniformisation des programmes. Les différents niveaux doivent dialoguer en vue d’instaurer une certaine cohérence entre les différents programmes. Le cadre administratif relativement cloisonné doit être surmonté par un groupe de pilotage mis en place pour superviser la révision des programmes afin d’assurer une continuité entre les différents cycles d’enseignement.
Il va sans dire que la qualité de la vie scolaire au sein de chaque établissement revêt une importance cruciale. Cela suppose de renforcer la dimension « offre scolaire » en intégrant des activités socio-culturelles, sportives et civiques.
Parallèlement, la qualité des infrastructures et des équipements, continue à se poser avec acuité. Tel est le cas notamment du problème du transport scolaire qui se pose de façon persistante dans les régions intérieures et dont la solution réside dans la mise sur pied d’une offre adaptée à chaque environnement local.
De façon générale, toutes les réformes envisagées dans ce secteur sensible doivent prendre en considération deux exigences :la qualité et l’équité. Cette dernière implique de donner davantage de chances de progresser aux plus faibles que de faire réussir haut la main les plus forts.
Choisir l’équité requiert de faire une discrimination positive en faveur des régions les plus défavorisées, en particulier les régions intérieures du pays qui enregistrent des taux de scolarisation plus bas que les milieux urbains.
Choisir l’équité implique, surtout,une remise en question du mythe de la classe – ou de l’établissement – homogène. Il a été constaté que regrouper les élèves par niveau ne fait qu’intensifier les différences entre les élèves faibles et forts au détriment des premiers. Les études ont montré que l’enseignement donné dans des classes hétérogènes est à la fois efficace et avantageux pour les élèves les plus faibles. En effet, l’hétérogénéité permet de réduire la compétition au profit de la compréhension.
Le rapport national sur les enfants non scolarisés en Tunisie, élaboré sur la base d’enquêtes empiriques, contient de nombreuses autres pistes se référant à la gouvernance du secteur, à la formation des enseignants, au rôle dévolu à la société civile, l’inclusion des enfants handicapés…Les parties prenantes dans la consultation en cours sur le système d’éducation doivent peut-être capitaliser les résultats du présent rapport pour adopter les meilleurs choix possibles pour l’avenir.
N.O