Allant à l’encontre des dispositions constitutionnelles, l’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP), s’est déclarée non tenue par la date du 26 avril, pour l’adoption du projet de loi portant création
du Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Une décision qui jette de l’huile sur le feu le feu, dans la polémique qui entoure la mise en place de l’institution constitutionnelle.
La polémique autour de la composition du CSM ne fait qu’enfler, les différents membres de la grande famille de la justice, avocats, magistrats, huissiers notaires…. voudraient tous être représentés au CSM. Alors que les actions de pression n’ont pas encore livré tous leurs secrets, la réaction de l’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP) est venue raviver la polémique. En effet, le bureau de l’ARP et la commission de la législation générale ont fait savoir que le délai fixé dans la Constitution n’est pas obligatoire et son dépassement n’est pas passible de sanctions pénales. Une décision appuyée et soutenue par le Président de l’ARP, Mohamed Ennaceur qui, lors d’une déclaration à la presse a affirmé que « le parlement n’est pas tenu de se conformer à la date du 26 avril 2015 pour la création du CSM. Les résultats définitifs des élections législatives du 26 octobre 2014 ayant été annoncés le 21 novembre 2014 » !
Résultat : aux problèmes de la composition du CSM s’ajoute la problématique du respect des délais légaux pour la mise en place du Conseil. Par sa décision, très controversée, l’ARP s’est attirée les critiques des constitutionnalistes et des corporations professionnelles, notamment celles des magistrats. Car, encore une fois, l’ARP a procédé à une interprétation de la Constitution qui « l’arrange ». Certes, le projet de loi a été déposé « en retard à l’ARP », mais celle-ci aurait pu, eu égard à l’urgence de l’installation de l’institution constitutionnelle, entamer l’examen du projet de loi. Mais, il n’en est rien. Pire, l’ARP a préféré « enfreindre » la Constitution qu’assumer ses responsabilités.
Dans ce contexte, Raoudha Laabidi, présidente du Syndicat des magistrats tunisiens (SMT) a estimé que la position de l’ARP quant aux délais légaux d’adoption du projet de loi portant création du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) est contraire aux dispositions de la Constitution.
Et d’ajouter, « cette décision s’oppose à l’article 148 du chapitre des dispositions transitoires qui stipulent clairement que « le CSM est mis en place dans un délai maximal de six mois à compter de la date de la première élection législative ».
Mme Laabidi tient à préciser, à ce propos, que par date des élections législatives, le législateur désigne le jour de l’organisation des élections, non le jour de la proclamation des résultats.
Une position partagée par M. Fadhel Moussa, expert en droit constitutionnel, ancien député d’Al Massar à l’Assemblée nationale constituante (ANC). Le professeur a, effectivement indiqué que l’ARP est tenue, de par la Constitution, d’adopter le projet de loi relatif à la création du Conseil supérieur de la magistrature, avant le 26 avril. Car, le législateur a été on ne peut plus clair dans le texte, en prévoyant un délai de six mois après les élections législatives et non après la proclamation des résultats, comme l’a interprété l’ARP.
Fadhel Moussa a, d’un autre côté, souligné que « aller au-delà du 26 avril courant, est une violation claire de la Constitution ». Le professeur est allé un peu plus dans son analyse, lors d’un passage sur Radio Mosaique pour affirmer qu’il s’agit d’un échec qui entachera le travail des députés de la nouvelle assemblée, et traduit surtout, l’absence d’une volonté réelle d’approuver le projet de loi portant création du CSM.
Cet avis est partagé par le Syndicat des magistrats. En effet, sa présidente a souligné que « pareilles lectures du texte de la Constitution envoient des messages négatifs et ouvrent la voie aux diverses interprétations qui étaient de mise sous l’ancien régime ».
De son côté, le député du Front populaire à de l’ARP, Jilani Hammami a indiqué qu’un accord a été trouvé en vertu duquel le délai fixé pour l’approbation du projet de loi relatif à la création du Conseil supérieure de la magistrature a été prolongé d’un mois et ce suite à des consultations avec l’instance provisoire chargée du contrôle de la constitutionnalité des lois. Il a ajouté qu’il est impossible d’approuver le projet de loi avant le 26 avril 2015 et que cela risque d’envoyer des messages négatifs sur les activités des députés à l’Assemblée.
Or, Fadhel Moussa insiste que le texte est clair et ne mérite pas interprétation. Le législateur a fait la différence entre la date des élections, et la date de proclamation des résultats. Et, dans le cas d’espèce, le législateur a prévu clairement : « date d’organisation des premières élections ». Partant, les délais doivent être respectés.
Selon plusieurs observateurs, l’ARP ne prend pas au sérieux les priorités du pays. Elle a tellement retardé l’examen de projets de lois importants qu’aujourd’hui, elle a trouvé une « fatwa », via l’interprétation « erronée », au regard des constitutionnalistes, pour sortir de l’impasse. Et, cela risque d’être un précédent de violation de la Constitution. Aujourd’hui, il semble que l’ARP n’a d’autres solutions que, justement, d’enfreindre la Constitution, car, matériellement, elle n’aura jamais le temps d’examiner et d’adopter le projet de loi dans les délais légaux.
N.F