Jean Louis Guigou, Délégué général de l’IPEMED, (Institut de prospective économique du monde méditerranéen) propose une voie nouvelle, qui peut être, selon lui, porteuse d’espoirs. Lors du Forum international de Réalités sur le rôle des partenaires internationaux pour la transition tunisienne, il a parlé de la visite du Président américain Obama, au Panama pour assister avec 35 chefs d’Etat américains au septième sommet des Amériques. Outre le face à face historique avec le Président cubain, Obama a dit qu’ils sont tous américains proches et le développement au Nord entrainera le développement au Sud et vice versa. Obama était en train de promouvoir le développement vertical. Pour cela il a créé la Banque interaméricaine de développement. M. Guigou rappelle également l’ascension spectaculaire de la Chine qui vient de créer la Banque asiatique pour l’investissement et l’infrastructure et propulser l’Institut du centre de recherche de l’Asean. « Dans la nouvelle carte du business, les grands groupes vous diront que le découpage actuel du monde est l’Asie, l’Asie-Afrique et l’Europe-Moyen Orient-Afrique ». Il nous livre ses réflexions sur la Tunisie et le partenariat avec l’Europe.
Sur votre blog, vous avez dit que « la France a besoin de voir la Tunisie devenir un pays stable et émergent, proposant la voie de la coproduction et du codéveloppement », comment cela pourrait-il être possible ?
Tous les textes que je lis disaient que la Tunisie a besoin de la France et de l’Europe. C’est toujours la Tunisie qui demande un appui financier. Moi je dis il n’y a pas que la Tunisie qui a besoin de la France mais la France aussi a besoin de la Tunisie. Nous attendons de la Tunisie une réussite exemplaire dans le monde entier, car c’est le seul pays arabe qui a réussi sa transition. C’est historique, depuis 400 ans on n’a jamais vu cela. Cela veut dire aussi qu’on a besoin d’hommes courageux. Une Tunisie d’hommes battants, d’hommes qui transforment ce pays. Il ne faut pas toujours attendre de l’autre de l’aide, mais savoir tenir compte d’un postulat qui dit aide-toi, le ciel t’aidera. Il faut que les hommes politiques arrêtent de penser à leur carrière. L’important c’est qu’on soit convaincu, Européens et Tunisiens, que la question de la sécurité est un problème majeur pour tous. Le réchauffement climatique, la pollution de la méditerranée, sont des problèmes majeurs pour nous tous. Il faut qu’on prenne conscience qu’un grand nombre de problèmes auxquels la Tunisie est confrontée ne sont pas liés uniquement à la Tunisie mais à l’Europe toute entière.
La France est notre premier partenaire stratégique, paradoxalement il n’était pas le premier à soutenir la Tunisie dans sa transition, l’Allemagne par contre a été plus engagée. Comment expliquez-vous cela ?
Parce que l’Allemagne a beaucoup d’argent. Le commerce externe permet à l’Allemagne de gagner 200 milliards d’euros par an. Ils produisent à l’Est, ils assemblent en Allemagne et ils vendent à l’Europe. La balance commerciale et l’enrichissement de l’Allemagne est considérable. La France, en revanche, souffre d’un déficit de sa balance commerciale de 90 à 100 milliards d’euros. Il faut remettre les choses à leur place, regardez l’Italie qui supporte, à elle seule, le poids de l’immigration alors que les pays du Nord ne bougent pas le doigt. L’Italie dépense 9 millions d’euros par semaine dans son effort de lutte contre l’immigration clandestine. La France supporte le poids des interventions militaires dans certains pays. Est-ce que c’est à nous de payer toutes ces charges de la sécurité sur le continent ? Alors que les Allemands et les Finlandais, avec tout l’argent qu’ils ont, ne nous soutiennent pas.
La politique de voisinage focalise le débat aujourd’hui en Europe.Vers quoi devrait-elle converger selon vous ?
Il faut que les Européens fassent une offre, comme ce fut le cas des USA quand Obama a proposé aux Américains du sud de travailler ensemble. Comme les Chinois, également, qui ont fait une offre et ont créé une banque. Il faut que l’offre européenne soit attractive, sinon les africains iront vers les Chinois ou les Américains. Pour que l’offre européenne soit attractive, il faut changer de paradigme et ne plus rester dans le voisinage car le voisinage fait référence au centre et à la périphérie et annonce un rapport dominant-dominé. Nous allons plaider à Bruxelles pour qu’il y ait un effort considérable sur le développement rural, l’éducation, l’administration. Je me rappelle, quand il s’agissait de la transition des pays de l’Est, on envoyait une cinquantaine de fonctionnaires allemands, français ou italiens dans les ministères pendant cinq ans pour remettre à niveau les ministères de ces pays. Je tiens beaucoup à l’idée de créer une banque et je crois beaucoup également à un Think Tank. La CEPAL (Commission économique pour l’Amérique latine), c’est 40 millions de dollars par an et 700 chercheurs et toutes les élites sud-américaines sont passés dans ce lieu de brassage des élites. Ils réfléchissent ensemble sur l’eau, l’agriculture, le développement régional, l’aménagement territorial, les technologies…Nous avons besoin de ce genre d’organismes. Je souhaiterais qu’on ait une verticale où il y aura des Algériens, des Tunisiens, des Français et des Allemands qui viennent travailler ensemble pour l’avenir de la région.
Vous défendez l’Union méditerranéenne, pourtant vous savez pertinemment que la rive sud souffre de problèmes qui semblent difficiles à résoudre. Contrairement à l’Europe, les frontières entre les pays du sud notamment du Maghreb demeurent fermées ?
L’Europe ne s’est pas faite comme ça, en un claquement de doigts. J’ai vu des lettres échangées entre Eisenhower et Roosevelt dans lesquelles il lui disait toute son exaspération des conflits entre les pays européens. Ce sont les boys d’Amérique qui viennent se faire tuer pour les délivrer des Allemands et des fascistes. Les deux présidents réfléchissaient et se disaient voilà ce qu’on va faire. On fera un grand plan Marshall avec une cogestion de l’argent européen. Je dirais qu’il faut faire une offre aux pays du sud sur tous les sujets : mobilité, environnement, eau, énergies renouvelables…sous la pression extérieure des Européens, les pays du sud peuvent se réconcilier et accepter l’offre européenne. Je pense que cela devrait vite changer.
Le partenariat bilatéral serait-il une possibilité plus efficace pour la Tunisie ?
Je ne suis pas partisan pour le bilatéral comme pour le libre-échange. Que l’Europe demande à la Tunisie et à l’Algérie, par exemple, quelles sont leurs priorités afin de s’adapter à ces priorités et offrir des programmes sur mesure, serait mieux pour les deux parties.