Les forces de l’ordre semblent avoir réussi leur épreuve de force pour appliquer la loi et rétablir la souveraineté de l’État, en interdisant la tenue du 3e congrès d’Ansar Acharia. Mais on attend toujours des ripostes de la part des partisans de ce mouvement.
Les rues de la Cité Ettadhamen étaient calmes le lendemain du rendez-vous fixé pour l’organisation du congrès d’Ansar Achariâa, le 19 mai. Pourtant, une journée sanglante a eu lieu la veille, dans ce quartier de Tunis et ailleurs, avec des confrontations entre forces de l’ordre et salafistes. Résultat : un bilan lourd de 21 blessés, côté policiers (dont un en salle de réanimation) et un mort, côté Ansar Acharia.
Les partisans de ce mouvement vont-ils lâcher prise ? Difficile de le confirmer jusque-là. Car, si l’on en croit le discours d’Abou Iyadh publié le dimanche soir sur la page Facebook d’Ansar Acharia, on constate que ce dernier a affirmé que son mouvement restera et saura s’inscrire dans l’histoire, ce qui montre que la lutte continue.
Mais, une chose est sûre : l’interdiction du congrès a montré la capacité des forces de l’ordre à maintenir la sécurité dans le pays, malgré les messages de menaces récurrents lancés par des salafistes.
Kairouan sous haute sécurité
«Nous nous sommes bien préparés à les affronter. Et s’ils avaient cru disperser nos forces, en nous faisons croire, jusqu’à la dernière minute, qu’ils allaient organiser le congrès à Kairouan, alors qu’ils comptaient le déplacer à Tunis, ils se sont trompés sur toute la ligne», affirme un agent de sécurité de la Capitale.
Les forces de l’ordre se sont déployées par milliers à Kairouan et dans les villes proches, sans oublier la capitale. 11.500 agents, selon certaines sources, ont été mobilisés pour interdire la tenue du congrès. Des opérations intensives de contrôle sur toutes les routes menant à la ville, menées par des patrouilles mixtes de la Garde nationale et de l’armée. Selon les déclarations d’Ali Laâridh, durant le week-end, 274 personnes ont été arrêtées pour leur implication dans les violences ayant secoué le pays ces derniers jours. Des «descentes» ont été effectuées dans les maisons des salafistes et dans les lieux qu’ils fréquentaient, à part les mosquées. La veille du congrès, plusieurs membres d’Ansar Achariaâ ont été arrêtés, dont le porte-parole du mouvement, Seifeddine Errayes. Ces arrestations ont porté un coup dur au mouvement, obligeant ce qui restait de ses partisans à Kairouan (puisque la plupart avaient été refoulés avant même d’atteindre la ville) de demeurer cantonnés dans la mosquée Abderrahmane Ibn Aouf, sur la route de Haffouz. D’ailleurs, l’esplanade de la mosquée où devait se tenir le congrès, était vide le matin du 19 mai. À part les policiers et les journalistes, présents en nombre, il n’y avait pas l’ombre d’un salafiste. Le calme plat régnait dans la ville. «Nous sommes contents que la police nous ait débarrassé des salafistes d’Ansar Acharia. Je ne me suis jamais sentie aussi en sécurité de ma vie ! », a déclaré Zohra, une vielle dame qui passait par la place de la Mosquée Okba.
Même «ouf !» de soulagement exprimé par Lotfi, un commerçant : «C’est la première fois que je vois un déploiement aussi important d’agents de sécurité à Kairouan. C’est une bonne chose». Un avis qui n’était pas partagé par un salafiste « déguisé » : «Si je n’avais pas rasé ma barbe, j’aurais été refoulé à l’entrée de la ville comme mes autres frères. Je ne comprends pas qu’on interdise notre congrès sous prétexte que nous n’avions pas d’autorisation. Nous n’avons pas à en demander une d’un gouvernement qui n’applique pas la Charia d’Allah. Et puis, l’année dernière nous l’avons organisé et tout s’est bien passé», s’indignait-t-il.
L’échec du Plan B
Les salafistes ont essayé de faire un dernier coup de force pour tenir le congrès à Kairouan, en incitant la population à les appuyer. En effet, vers midi, une manifestation est sortie de Bab Al Jalladine, réunissant des citoyens ordinaires, scandant «Allahu Akbar». Mais elle a vite été dispersée par les bombes à gaz lacrymogène lancées par les forces de sécurité.
Sentant l’étau se resserrer autour d’eux, les partisans d’Ansar Acharia ont prévu un plan B, à savoir essayer de tenir le congrès à Tunis, plus précisément à la Cité Ettadhamen. Mais dès qu’une centaine d’entre eux ont essayé d’installer une tente, les policiers sont intervenus pour les en empêcher, ce qui a déclenché des affrontements. Les salafistes, appuyés par des délinquants, se sont attaqués aux forces de l’ordre par des jets de pierres et de cocktails Molotov. Les agents de sécurité ont riposté, en utilisant du gaz lacrymogène et des balles en caoutchouc.
Les confrontations ont vite gagné d’autres zones, comme Cité Al Intilaka, Cité Ibn Khaldoun et Cité Attahrir. L’escalade de la violence ne cessait d’augmenter : les partisans d’Ansar Acharia brûlaient des pneus en essayant de barrer la route aux policiers. Ces derniers ont eu recours, face à l’obstination des manifestants, à l’usage de la chevrotine et des balles réelles. Les confrontations se sont soldées par des blessés des deux côtés et un mort, côté salafiste.
La situation s’aggravait à Tunis, à mesure qu’avançait la journée, alors qu’à Kairouan c’était le calme plat. Mohamed Khlif, président de l’Association légale des pratiquants par le Coran et la Sunna, est intervenu auprès du gouverneur pour lui demander d’assurer le retour des salafistes chez eux sans qu’ils soient inquiétés par la police, selon les déclarations de ce dernier à l’AFP. Ces derniers ont effectivement commencé à quitter la ville, via des voitures de louage, vers la fin de la journée, en se donnant rendez-vous dimanche prochain pour l’organisation du congrès.
Quel scénario futur ?
Mais va-t-il réellement se tenir ? Le bras de fer engagé entre les forces de sécurité et les salafistes ne semble pas s’affaiblir. Les partisans d’Ansar Acharia s’engageront probablement dans un repli tactique, en attendant de restructurer de nouveau leurs rangs et de trouver une opportunité pour rebondir. «Il ne faut pas oublier que cette mouvance ne peut prospérer que dans un contexte de tensions politiques et de fragilisation de l’État pour faire régner ses lois», explique Allaya Alani, spécialiste des mouvements islamistes. «Ainsi, chaque fois que la Tunisie s’approchera d’une échéance importante, pour terminer l’adoption de la nouvelle Constitution, ou la fixation de la date des élections, la mouvance salafiste djihadiste va se mobiliser et provoquer des vènements violents. Ce n’est pas dans ses intérêts que les institutions démocratiques de l’État soient installées», poursuit-il.
Les forces de l’ordre s’attendent à ce que cette confrontation avec les salafistes ne se termine pas de sitôt. C’est ce qui explique l’appel, lancé par le Syndicat national des forces de la sécurité intérieure, au peuple tunisien à soutenir les agents de la sécurité et le ministère de l’Intérieur dans leurs efforts de préserver la souveraineté de l’État et l’application de la loi.
Il faut rappeler que les policiers ont désormais le moral haut, surtout que le ministre de l’Intérieur a marqué son soutien et a fait des efforts pour maintenir le ministère loin des tensions politiques et des intérêts partisans. Selon certains observateurs, Ben Jeddou a réussi à redonner une certaine crédibilité à l’institution sécuritaire auprès du citoyen et à rétablir la confiance des Tunisiens dans sa capacité à faire face au danger de l’extrémisme et du terrorisme. Ce succès intervient au moment même où la population commençait à être habitée par la peur et l’inquiétude pour l’avenir du pays, notamment après les derniers évènements de Chaâmbi et l’implantation d’Al-Qaïda en Tunisie.
Même Ennahdha semble revoir sa position vis-à-vis des salafistes et plus précisément du mouvement Ansar Acharia. En témoignent les déclarations d’Ali Laâridh, qui l’a qualifié «d’illégal», sans aller jusqu’à le traiter de mouvement terroriste. S’agit-il d’une prise de conscience tardive de la part du gouvernement, voyant l’ampleur de cette mouvance et sa capacité de nuisance envers l’État, surtout dans une période pré-électorale, ou d’une manœuvre pour gagner du temps, sans pour autant éradiquer le mouvement ?
Une chose est sûre, c’est que même au sein d’Ennahdha, les positions vis-à-vis de la tenue du congrès étaient différentes, voire contradictoires, puisque Habib Ellouz, député et membre du comité consultatif d’Ennahdha, a soutenu l’organisation de l’évènement et a été, lui, jusqu’à annoncer son report au dimanche suivant.
Maintenant il faut attendre de voir comment le gouvernement va traiter à l’avenir avec les salafistes djihadistes. Va-t-il les réprimer ou continuer sa politique du double langage ?
Attendons de voir….
Hanène Zbiss
Les derniers chiffres des affrontements
Lors d’un point de presse organisé le 20 mai au ministère de l’Intérieur, le porte-parole, Mohamed Ali Aroui, a donné les derniers chiffres concernant les évènements de Kairouan et de Tunis :
274 personnes ont étés arrêtées pour des motifs divers et pas seulement pour leur appartenance à la mouvance salafiste. 143 arrestations à Tunis et 39 à Kairouan
21 blessés dans les rangs des agents de sécurité (brulures, cassures, fractures…), dont un est en salle de réanimation suite à un coup porté à la tête
Saisi de 43 balles, 31 tenues de combat, 49 armes blanches et des électrochocs, 5 appareils électroniques,une somme d’argent équivalent 1470 Dt et 3 chèques bancaires.
Concernant l’individu arrêté sur la route de Haffouz et possédant des plans, des armes et des matériaux pour préparer des explosifs, Aroui a déclaré que ce dernier fait partie d’une cellule se composant de deux autres personnes en fuite, dont un est un cadre sécuritaire licencié. Cette cellule avait l’intention de s’attaquer à des agents de sécurité et de l’armée et aux véhicules appartenant aux ministères de l’Intérieur et de la Défense. Il n’a pas été établi jusque-là si cette cellule avait des liens avec les groupes terroristes de Châambi.
Nos gouvernants portés disparus
Ce week-end et alors que tout le pays était en état d’alerte à cause du 3e congrès d’Ansar Acharia, le chef du gouvernement, Ali Laâridh, accompagné par Rachid Ammar, chef d’état-major étaient en visite de travail à Doha. On s’interroge : était-ce le moment de partir, même pour la bonne cause (la promotion de la coopération dans le domaine économique et financier) et laisser le pays dans une telle situation ?
Le dimanche était une journée sanglante en Tunisie et les choses auraient pu déraper à n’importe quel instant. Pourquoi ni l’un ni l’autre n’a interrompu sa visite pour revenir au pays ?
Sans commentaire…
Amina FEMEN à Kairouan : sauvée de justesse !
Le matin du 19 mai et alors que le périmètre de la mosquée d’Okba Ibn Nafaâ regorgeait d’agents de sécurité munis de leurs chiens, ainsi que des journalistes en panne d’actualité, puisqu’il ne se passait rien, l’arrivée d’Amina, représentante du mouvement FEMEN en Tunisie a créé l’évènement.
Au début, personne ne s’est aperçu de sa présence, car était assise tranquillement dans l’esplanade près du cimetière. Ensuite, elle s’est levée pour écrire une phrase sur un mur qui signifiait : «Si vous voulez pêcher, faites-le avec discrétion». Quelques passants ont dû la reconnaître et c’est à ce moment-là qu’un grand nombre d’habitants de Kairouan s’est rué sur elle pour la lyncher. La police a dû intervenir pour la protéger et la placer dans l’un de ses véhicules Mais cela n’a pas calmé la population qui continuait à l’insulter. Les agents ont alors décidé de l’éloigner complètement des lieux, évitant de justesse une catastrophe !