Ils sortent le soir, tard, car leurs maitres ne veulent pas qu’ils s’habituent à la lumière et aux humains. Ils veulent ainsi leur donner un caractère asocial, agressif et violent. Parfois les pitbulls et autres chiens de combat se donnent rendez-vous dans des endroits isolés pour des batailles qui peuvent les mener jusqu’à à mort. Mais le grand danger reste leurs attaques que relatent régulièrement les faits divers et dont sont victimes des innocents, notamment les enfants et les personnes âgées. Pourquoi cet engouement pour les chiens dangereux ? Que font les autorités de tutelle pour combattre ce phénomène ? Y a-t-il un contrôle sur les élevages de chiens ? Autant de questions auxquelles nous avons tenté de répondre…
Plage de Nabeul, mois de mai, 18 heures. Une bande d’adolescents s’amuse à faire courir plusieurs pitbulls et à les faire plonger, alors que la plage est bondée de vacanciers, surtout des femmes et des enfants. Mais ces énergumènes n’en ont cure : ils poussent leurs chiens à courir, à plonger, à nager plus vite, allant jusqu’à les punir à coups de bâtons lorsque leurs performances ne sont pas assez satisfaisantes.
Un danger permanent
Il faut dire que Nabeul est une ville où le commerce est florissant et les vols assez fréquents. Les habitants ont donc tendance à chercher par tous les moyens à se protéger contre les voleurs, même les dangereux pitbulls qui refroidissent les ardeurs des malfaiteurs les plus téméraires.
Ces jeunes sur la plage ne sont donc que l’aboutissement logique d’une situation d’insécurité. Ils exhibent leurs chiens comme des armes et semblent en tirer une grande assurance qui peut aller jusqu’à l’arrogance. Face à ces fauves lâchés dans les rues et sur les plages, on ressent un intense sentiment d’insécurité, surtout si la grosse bête se promène sans laisse et sans muselière, ce qui est souvent le cas. Ce sont des armes incontrôlables que même leurs propriétaires ne maitrisent pas !
Autres lieux, autres attitudes : le dimanche matin, les rues autour de l’ancien quartier qui abritait le souk Moncef Bey s’animent avec un marché aux animaux qui réunit dans un même espace des chats, des chiens, des poules, des lapins, des poissons et autres animaux plus ou moins exotiques. Mais le plus inquiétant, c’est que l’on constate la présence de plusieurs races de chiens dits dangereux, comme les rottweilers ou les pitbulls, souvent sans muselières, afin que les acheteurs éventuels puissent bien les observer. Il y en a même qui les excitent un peu pour vérifier leur agressivité !
Or ces races de chiens ont démontré depuis de longues années qu’ils sont potentiellement dangereux, surtout lorsqu’ils prennent de l’âge. Régulièrement, ils défraient la chronique judiciaire en s’attaquant à des êtres faibles: vieilles dames, enfants… Alors pourquoi la municipalité de Tunis laisse-t-elle faire sans aucun contrôle ? Pas de réponse de la part du seul petit responsable que nous avons pu contacter, les autres étaient toujours en réunion, en déplacement, en congé…
Auparavant, des agents de police venaient faire des vérifications quant à l’identité des animaux mis en vente. Mais ces contrôles ne visaient que les vaccins obligatoires pour les chiens et le nom de son propriétaire pour voir s’il n’est pas le fruit d’un vol. Par contre, ils ne font aucun contrôle relatif à la dangerosité des chiens, ni à l’absence de matériel de sécurité : laisse, muselière…
Nous avons rencontré des éleveurs qui n’avaient pas l’air conscients du mal qu’ils font tant aux animaux qu’aux humains. L’un d’eux nous affirmera : « c’est une passion acquise depuis l’enfance et je n’ai jamais été attaqué par un de mes chiens. Mes chiens sont très gentils, mais ce sont les enfants des voisins qui les agressent en leur jetant des pierres. Le père de l’un de ces gosses a même donné de la viande empoisonnée à mon chien pour le tuer… »
Une dame qui habite dans le quartier populaire de Bab Souika vit une angoisse permanente depuis que ses voisins se sont lancés dans un élevage de pitbulls sur le toit de son immeuble. Elle nous a affirmé que : « depuis quelques années, des jeunes du quartier élèvent des pitbulls dans les buanderies, sur le toit de notre immeuble et cela me préoccupe. Lorsqu’ils les descendent le soir, c’est la panique. Ce qui me préoccupe le plus, c’est que j’ai deux enfants qui jouent parfois dans les escaliers alors que ces chiens sont lâchés sans aucune protection. Alors on n’ose plus les laisser jouer dehors… »
Croisements incontrôlés
Pour un vétérinaire qui tient une clinique privée le problème est ailleurs. Selon lui, « à l’origine, il n’existe pas de race de chiens génétiquement prédestinée à la violence. Ils descendent tous du loup, mais des croisements incontrôlés ont enfanté des molosses hors normes. Les problèmes commencent lorsque les maîtres les agressent et les enferment jour et nuit dans un espace restreint et ne les sortent que la nuit. » L’agressivité des ces chiens n’est donc pas «naturelle» comme le pensent certains…
En fait, ces chiens sont souvent des victimes de violences intolérables de la part de leurs maîtres. Un ancien éleveur aujourd’hui repenti nous a parlé de la façon de transformer ces pauvres bêtes en animaux bagarreurs et dangereux. Dès leur naissance, les chiots sont mis dans un fût, un espace volontairement exigu. Seul leur maître et uniquement lui, est chargé de les nourrir. Il les frappe à coups de ceinture, les prive de contacts avec d’autres chiens et les maintient dans le noir afin qu’ils deviennent extrêmement obéissants, pour ne pas dire esclaves.
Mais pour notre vétérinaire, « il ne s’agit pas de les euthanasier, mais de ne pas les agresser. Certes, il existe des races qui représentent un danger et que l’on appelle les chiens d’attaque, ceux qui ont une très forte pression au niveau des mâchoires et qui n’obéissent plus aux ordres pour les desserrer. Mais un animal n’est violent que s’il est lui-même violenté par son maitre. Ils réagissent comme les enfants agressés qui deviennent des psychopathes à l’âge adulte… » Voilà des propos rassurants !
Concernant ces maitres qui apprécient les chiens agressifs, un psychologue estime qu’ils ont « des problèmes de relations sociales qu’ils projettent sur leurs pauvres animaux. Le chien devient alors leur faire-valoir, leur arme face aux jeunes du quartier, une sorte d’alter ego plus puissant et surtout légalement irresponsable. »
Mais il y a pire : ce sont les combats clandestins que se livrent ces chiens à l’instigation de leurs maîtres, avec des paris qui peuvent atteindre des centaines de dinars. Un jeune tunisien qui a longtemps habité dans une cité de la banlieue parisienne et qui a l’habitude de ce genre de spectacles affirme : « j’ai remarqué ces dernières années qu’il y avait de plus en plus de molosses et j’ai découvert également qu’il y avait de plus en plus de combats, parfois à mort, comme on les voit en Russie. Des animaux qui se battent jusqu’à la mort, pour le plaisir de leurs maitres ou pour les enrichir, c’est révoltant. »
On nous a en effet rapporté que bon nombre de chiens de combat finissent par succomber à leurs blessures multiples. Le vétérinaire assure que « leurs mâchoires sont si puissantes, qu’il devient impossible à leur maître de les leur faire desserrer ou de les séparer lorsqu’ils sont en pleine bagarre. Leur instinct de tueurs s’exprime alors de la manière la plus primitive. C’est une situation de stress extrême pour le chien qui va devenir encore plus incontrôlable qu’auparavant… »
Voilà la situation aujourd’hui. Il conviendrait donc de légiférer pour interdire ces chiens en Tunisie et en attendant, de mieux contrôler les éleveurs. Certains spécialistes proposent d’ailleurs de délivrer des certificats d’éleveurs à ceux qui voudraient exercer ce métier de façon permanente. Il faut agir avant de vivre les drames que d’autres pays vivent à cause de ces chiens transformés en armes sur pattes et avec des victimes perdent la vie ou qui se retrouvent complètement défigurées dans certains cas…
Yasser Maârouf