Les cent premiers jours de l’entrée en exercice du gouvernement se sont vite écoulés, sans que le pays ne retrouve sécurité, stabilité, activité normale et, encore moins, les chemins de la production, de la croissance et du travail.
Le pessimisme ambiant trouve son explication la plus convaincante dans le concours de circonstances à la fois complexes et difficiles. D’abord, la persistance d’une tension latente et d’un malaise qui risquent de s’étendre et de gagner en ampleur, si leurs raisons profondes tardent d’être résolues. Le changement, tant attendu et souhaité après les élections, tarde à se manifester, cédant la place au doute et à un questionnement de plus en plus lancinant. Comment la Tunisie, en butte à de graves difficultés et menaces, pourrait-elle sortir du gué dans lequel elle s’est empêtrée ? On ne finit pas d’attendre la délivrance et on ne finit pas d’être surpris par la gravité des problèmes qui nous enfoncent chaque jour, un peu plus profondément, dans l’expectative et le désenchantement.
En effet, sur les plans politique, sécuritaire, économique et social, le flou, le sentiment d’insouciance et l’absence de réactivité, sont légion.
Au niveau politique, la coalition gouvernementale, qu’on croyait forte et harmonieuse, laisse apparaitre quelques lézardes, dont les premiers signes commencent à apparaitre au niveau de l’action du gouvernement, où la cohérence et la solidarité commencent à marquer le pas. A certains égards, le jeu partisan prend le pas sur la vision stratégique et la recherche des voies du consensus. Ces graves discordances n’ont pu être occultées lors de l’adoption, en fin de semaine dernière, par l’Assemblée des Représentants du Peuple du projet de loi portant création du Conseil supérieur de la magistrature, sujet d’obscures polémiques et calculs. Afek Tounes, partie intégrante de la coalition gouvernementale (avec ses huit sièges obtenus), s’est brusquement démarqué du consensus manifestant agacement et colère au sujet du contenu de la loi instituant la première institution constitutionnelle pérenne après les élections de fin 2014 et adoptant même la position défendue par le Front populaire. L’attitude de ce parti est loin de surprendre, la gestion parfois cacophonique de certains ministères dont le portefeuille a été confié à des figures de Afek Tounes, soulève d’ores et déjà interrogations, voire même suspicions.
Sur le plan économique, seul le ministre des Finances a daigné enfin, briser le mur du silence. Sortant de sa réserve, il a eu le courage, à trois reprises en une semaine, de tirer la sonnette d’alarme et d’avertir sur l’extrême gravité de la crise qui secoue la Tunisie. Slim Chaker n’a pas omis d’annoncer, avec un calme olympien, que tous les clignotants sont au rouge et que, pour servir les augmentations des salaires dans la fonction publique, le pays est condamné à s’endetter encore plus. Le langage de la franchise, qu’on réclamait depuis des mois et qui aurait pu servir de catalyseur des volontés et des énergies et d’arguments forts pour que les Tunisiens appréhendent les défis qui les attendent, semble à l’heure actuelle d’une portée limitée, voire douteuse. C’est parce qu’on s’est résigné à tenir ce langage un peu trop tard.
Même la guerre que livre la Tunisie contre le terrorisme et les lourds sacrifices que la communauté nationale est appelée à consentir pour annihiler ce péril, ne semblent pas émouvoir outre mesure les Tunisiens ou provoquer chez eux une sorte d’électrochoc pouvant mettre un terme à leurs revendications sociales à n’en plus finir ou de faire le distinguo entre ce qui est vital et urgent et ce qui est nécessaire mais qui peut être solutionné à terme.
Sur le front social, la question qu’on se pose à demi-mot pour ne pas s’attirer l’ire de la Centrale syndicale est jusqu’où l’UGTT peut-elle aller dans cette spirale qui risque, un jour, de mettre le pays à plat et d’emporter tout avec elle ? Aujourd’hui, le pays frôle la catastrophe, les entreprises les plus florissantes, publiques ou privées, risquent, par l’exacerbation de la contestation sociale et les revendications excessives et sauvages, de mettre la clef sous le paillasson et de renforcer le rang des pauvres et des exclus.
Ce qui inquiète le plus, c’est, vraisemblablement, la perte de contrôle de l’UGTT de ses structures et la multiplication des réfractaires en son sein. Le camouflet que vient de recevoir la centrale syndicale dans la gestion du mouvement de grève sauvage déclenché, en fin de semaine, par les agents de la SNCFT, montre clairement que même cette puissante organisation nationale n’est plus à l’abri des divisions et des dissensions qui ne cessent de s’amplifier, au fur et à mesure, que la date de la tenue du congrès de l’UGTT s’approche.