Le lundi, 25 mai 2015, aurai pu être une journée ordinaire à Tunis, avec son lot de nouvelles, devenues par la force des choses banales, de grèves sauvages ou organisées, qui paralysent ces derniers temps les services publics les plus sensibles (santé et éducation). Ce qui s’est passé à partir à la caserne de Bouchoucha nous a fait sortir brusquement de notre torpeur pour affronter le choc d’une réalité triste et complexe. L’information, répandue vite comme une trainée de poudre, par les journaux électroniques, les réseaux sociaux et les radios locales, d’une prétendue attaque terroriste ciblant une caserne militaire à Bouchoucha, près du Bardo, est tombée comme un couperet.
Le lieu de l’opération n’est pas innocent et ne laisse pas indifférent. Le 18 mars dernier, le musée du Bardo était le théâtre d’une opération terroriste particulièrement sanglante. Ensuite, Bouchoucha, lieu de plusieurs casernes de police, de l’armée et d’un grand centre de détention des prévenus, a donné à cette première information non vérifiée une autre intonation tragique. L’attaque annoncée avec une étonnante légèreté par une radio et relayée par la suite par des sites électroniques, citant des témoins oculaires a été un groupe terroriste comprenant en son sein des femmes armées. Outre la surprise et l’énervement, l’information, telle que annoncée, a suscité inquiétude, profond émoi et beaucoup de tristesse. Tout le monde a cru que les terroristes ont à nouveau refait leur coup, ciblant cette fois-ci un autre lieu et un corps d’une grande symbolique.
Très vite, le mystère a été levé, du moins partiellement. Successivement les ministères de l’Intérieur et de la Défense, par la voix de leurs porte-parole, tout en évoquant l’existence d’échanges de coups de feu ont écarté la piste terroriste, privilégiant la piste d’acte isolé. Sans donner de précisions sur la nature de l’opération, de ses commanditaires ou un premier bilan, ils ont fait état de « morts et de blessés ».
Une journée triste
Dans cet intervalle, les événements se sont accélérés et le flux d’informations est resté sans discontinuer. Tout en exprimant un grand ouf de l’absence d’une attaque terroriste, comme ce fut le cas deux mois auparavant, non loin de cet endroit, au musée du Bardo, l’on s’est rendu compte que les unités de l’armée en poste dans la caserne de Bouchoucha ont vécu une tragédie et des moments très difficiles. Le bilan est là pour attester. Sept soldats décédés, l’auteur de l’acte et pas moins de dix blessés. Ce qui s’est passé à l’intérieur de la caserne, a été difficile à décrire. Sous l’effet de l’émotion et du harcèlement des médias, le porte-parole du ministère de la Défense, Belhassan Oueslati, l’a décrit de manière un peu saccadée. L’auteur n’est autre qu’un caporal de l’armée, qui a tué sept de ses camarades, blessé dix autres, avant d’être abattu dans la caserne de Bouchoucha à Tunis.
Son identité a été également révélée. Mehdi Jmii, c’est de lui qu’il s’agit, est caporal d’une trentaine d’années, récemment privé de son port d’arme. « Il avait même été transféré vers une unité moins sensible », a tenu à préciser Belhassen Oueslati. Au sein de l’armée, il était connu pour souffrir de troubles et de problèmes familiaux. Le couac, ce militaire a réussi à déjouer la surveillance. En pleine cérémonie de salut au drapeau, il a poignardé un collègue lui subtilisant son arme et tirant sans ménagement autour de lui tuant et blessant ses camarades.
Même si le ministère de l’Intérieur a exclu la piste d’un attentat commis par la mouvance djihadiste, le porte-parole du ministère de la Défense s’est montré moins catégorique. « Toutes les hypothèses allaient être vérifiées s’il s’agit d’un acte terroriste ou pas », a-t-il répété au cours de la conférence de presse organisée le jour même en fin de matinée. L’enquête qui sera diligentée par le ministère de la Justice devrait permettre d’élucider les tenants et les aboutissants de cet incident grave. Un incident sans précédent qui «pourrait amener à revoir de nombreux aspects en relation avec l’assurance de la sécurité des casernes tunisiennes», a relevé, un peu plus tard dans la journée, Mohsen Marzouk, conseiller politique du président Béji Caïd Essebsi.
Des médias hors-jeu
Enfin, ce qui peut paraitre anachronique dans pareilles situations exceptionnelles de crise, c’est le comportement des médias, du moins de certains qui, dans la foulée ont essayé d’apporter des réponses rapides ou, plutôt, d’être les premiers à donner l’information, se laissant glisser dans un drôle d’amateurisme. Certains se sont trouvés tout simplement, hors-jeu et leurs premiers comptes-rendus hors-sujet. Dans ce genre de situations, la recherche du sensationnel et du buzz n’est pas toujours la voie la mieux indiquée. Quand il s’agit d’affaires en relation avec la sécurité intérieure du pays, toute information revêt une importance cruciale et pourrait avoir de graves conséquences. Dans le cas d’espèce, les premières informations publiées dans la précipitation, en se référant à des témoins oculaires, ont fait état d’un assaut par un groupe terroriste de la caserne, signalant au passage l’existence de femmes armées. Pourtant, tous les événements ont eu lieu à l’intérieur d’une caserne, de là à imaginer des scenarii montés en toute pièce, ne peut qu’être contre-productif et ne justifiant aucunement la course à n’importe quel prix vers le buzz. Ce jour-là, le prix payé a été la crédibilité des médias qui n’ont pas su prendre les précautions d’usage pour diffuser une information juste et vérifiée. Il ne suffit pas de donner le premier une information comme bon nous semble. Le professionnalisme exige de ne pas se fier naïvement à des témoins dont on ignore tout de la véracité de leurs déclarations. Toute la question est là.