Terme cruel, qui fait, toujours, allusion à la marche forcée des pays en développement, obtenant le satisfecit des institutions de Bretton Woods, l’ajustement ou l’ajustement structurel suivant l’usage commun, demeure prisonnier d’une fausse interprétation et d’un jugement erroné, aussi bien au niveau de sa portée, en tant que stratégie de développement, qu’au niveau de sa philosophie, en tant que paradigme. Rigueur économique oblige, il n’est pas certain que la notion d’ajustement soit toujours appréhendée dans toute sa signification.
Le tournant libéral des modèles de développement aux années quatre-vingt, marqué par les politiques d’ajustement structurel (PAS), en réponse à la crise de la dette des pays du tiers-monde, s’est soldé par de nombreux échecs et de piètres résultats socioéconomiques qui ont provoqué leur remise en cause. Néanmoins, cette remise en cause ne doit pas incriminer l’esprit de l’ajustement et ce, pour deux raisons fondamentales.
La première raison relève de la revue du cadre théorique régissant les PAS, moyennant, le nouveau paradigme institutionnaliste qui a pris forme à la fin des années quatre-vingt-dix. Le sous-développement serait dû à l’absence d’institutions pour supporter les PAS. Celles-ci doivent s’accompagner de réformes supplémentaires devant faire émerger des institutions sociales facilitant les réformes libérales. L’autocritique du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale sur les lacunes des PAS a fait que les conditions locales, institutionnelles, sociales et politiques soient, désormais, prises en compte dans la conduite de leurs politiques. D’ailleurs, Joseph Stiglitz, auteur de « La Grande Désillusion », n’a pas remis en cause l’objectif de stabilisation, notamment, la lutte contre l’inflation, mais il a préconisé d’élargir la notion de développement retenue par les institutions internationales à des dimensions non économiques, à l’instar de la démocratie, l’éducation, la santé et la réduction des inégalités. Ainsi, ces aménagements ne remettent nullement en cause le cadre idéologique des mesures du consensus de Washington. La deuxième raison a trait à la réussite des PAS dans certains pays dont la Tunisie. Alors, que la majorité des pays en développement se sont enfermés avec myopie dans une vision de stabilisation de court terme, la Tunisie était parmi les pays qui ont persévéré sur la voie de la gestion stratégique des affaires publiques, via, la planification de développement. Le gradualisme et la consistance du processus dictés par le septième plan de développement (1987-1991), privilégiant la stabilité macroéconomique, d’une part, et le huitième plan (1992-1996), indiquant les voies des réformes structurelles, d’autre part, témoignent d’une bonne gestion du plan d’ajustement structurel et faisaient de la Tunisie un exemple réussi, malgré que cette réussite n’ait pas été correctement préservée , eu égard à l’essoufflement tendanciel de la croissance et la montée du chômage et des inégalités.
C’est dans cette perspective historique et à partir des erreurs et des réussites du passé que le concept d’ajustement prenne tout son sens. Cette « vérité » d’une plus grande lucidité consolide la nature conceptuelle et pratique de l’ajustement, et élude tout abus de langage et toute connotation controversée de la notion de l’ajustement structurel. Compte tenu de la fulgurance des changements caractérisant l’économie mondiale, l’exacerbation des risques d’instabilité et de crises ainsi qu’à l’acuité des contraintes pesant sur la compétitivité des pays et leur croissance potentielle, Il semble bien aujourd’hui qu’il n’y ait plus d’alternative à l’ajustement.
Dans toute l’acception du mot, l’ajustement se définit comme le processus permettant à une économie de parvenir à la fois à l’équilibre interne et externe, c’est à dire une croissance durable sans inflation, gage de bien-être social. Partant du principe que la meilleure situation de l’économie est celle de l’équilibre, tous les pays du monde, indépendamment de leurs niveaux de développement et d’intégration aux échanges internationaux, sont toujours amenés, d’une manière ou d’une autre, à œuvrer pour préserver cet équilibre. L’ajustement s’avère, ainsi, un processus dynamique, voire nécessaire. Il n’est pas limité à la stabilisation macroéconomique qui vise à remédier à des problèmes conjoncturels liés à l’inflation et aux déséquilibres du budget ou de la balance des paiements, mais s’attache, également, aux aspects structurels qui visent à supprimer les obstacles à l’efficience des structures économiques au travers des réformes qui rationalisent l’utilisation des ressources et qui rehaussent le potentiel de production.
La Tunisie, qui traverse les moments les plus critiques de son histoire économique et qui aspire à un avenir meilleur, doit s’inscrire dans la vraie logique de l’ajustement. Sortir de la présente tourmente et relever les défis futurs nécessitent le suivi d’une seule thérapie, celle de l’ajustement ou de la pédagogie de la gestion et de la mise en œuvre des mesures de politiques économiques. Ces dernières doivent être équitablement réparties entre les groupes sociaux, satisfaire à une exigence de cohérence, être une préoccupation constante et être soutenables.
Etre équitablement réparties entre les groupes sociaux
C’est sans doute l’appui de l’opinion publique et le consensus social autour de l’exigence de stabilité macroéconomique et de la nécessité des réformes structurelles qui constituent le meilleur soutien de la crédibilité des politiques publiques et la garantie de leur soutenabilité. La stabilité macroéconomique ou la consolidation des fondamentaux de l’économie, ne constitue pas un dogme ou le but ultime et exclusif de toute politique économique, permettant ainsi d’apporter une solution magique à tous les problèmes du pays. Ce n’est qu’une garantie d’un meilleur fonctionnement d’une économie de marché, et d’une croissance durable grâce à la confiance qu’elle établit entre tous les acteurs du système.
Combattre l’inflation et le laxisme monétaire, c’est aussi combattre une forme d’illusion, qui se révèle à terme contre-productive sans rien avoir résolu, et dont le coût pour la collectivité est plus fort ou supporté pendant une plus longue période. La justice dans les rapports socioéconomiques, dans un contexte pareil, signifie que les salariés acceptent un gel des salaires, les entreprises n’augmentent pas les prix, quitte à adapter leur profit et l’Etat ne relève pas les impôts. Dans le cas contraire, et c’est exactement ce qui se passe actuellement, c’est le cercle vicieux qu’il faut s’attendre et qu’il faut accepter ; Le principe de l’équité est respecté mais la descente aux enfers est envisagée. L’équité suppose, également, que la rétribution soit en fonction du rendement. A productivité réduite, normalement un salaire réduit. Faut-il choisir le bon sens de l’équité !
Satisfaire à une exigence de cohérence
L’efficacité d’une politique économique est largement conditionnée par une association cohérente et convergente de tous les instruments à la réalisation de l’objectif final. L’exigence de cohérence touche en premier lieu les mesures de stabilisation à court et moyen termes. L’inflation par les coûts ne peut être bridée moyennant un rehaussement de salaires et une décrue de productivité. Indépendamment du cotexte actuel, le poids de l’ajustement anti-inflationniste devrait être harmonieusement partagé entre les taux d’intérêt, la maîtrise du déficit budgétaire et une évolution modérée des revenus. Les réformes structurelles doivent entre effectuées dans un souci de globalité et de cohérence afin d’exploiter toutes leurs complémentarités. C’est ainsi que les réformes en cours sur la fiscalité, l’investissement, le secteur bancaire, le système de subvention, l’éducation etc., doivent être inscrites, avant tout, dans une vision économique et sociale globale, indiquant le partage des rôles entre l’Etat et le secteur privé, les choix sectoriels, la politique de répartition etc., et non pas être prononcées « isolément ». L’ouverture sur l’extérieur ne peut réussir que si elle s’accompagne d’un environnement interne concurrentiel. Ainsi, l’engagement dans un processus d’intégration plus poussé ne doit pas perdre de vue la résolution de l’économie parallèle qui étouffe l’économie officielle, inhibe sa modernisation et ronge sa compétitivité. La complémentarité entre les mesures de discipline macroéconomique et les mesures structurelles sont aussi essentielles. La meilleure séquence de l’ajustement consiste sans doute à appliquer d’abord un programme de stabilisation.
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Une préoccupation constante
Les systèmes productifs doivent manifester une capacité d’adaptation permanente aux nombreuses fluctuations de l’environnement international et l’évolution des besoins de l’économie domestique. Il s’agit aussi de renouveler en permanence les avantages comparatifs. Dans un environnement incertain, la constance affichée des politiques de stabilité constitue un élément décisif de leur crédibilité. Celle-ci s’acquiert dans la durée. Plus l’incertitude est grande, plus la politique économique doit donner des signaux clairs et doit donc manifester une certaine persévérance. Miser sur l’innovation et la créativité devrait être le leitmotiv de l’action publique et privée. Le développement de la prospective, et les stratégies de veille et la modernisation des outils d’anticipation et de prévision sont impérieusement nécessaires pour faire face à tous les risques et contraintes internes et externes, et être au diapason des changements, des pratiques et des standards internationaux.
Une croissance soutenable doit répondre aux besoins du présent sans compromettre les chances des générations futures. Cette soutenabilité s’apprécie tout d’abord eu égard au changement climatique, aux pressions sur les ressources en énergie et en eau et à la pollution. Elle s’apprécie ensuite en fonction de la contrainte budgétaire en relation avec le rythme d’accroissement des dépenses de l’État providence. Les politiques budgétaires les plus crédibles sont celles qui s’engagent à une progression précise de maîtrise ou de réduction des dépenses publiques. Elle s’apprécie enfin en fonction du cycle. La conjoncture ayant prévalu durant les dernières années ont fait rebondir la dette publique extérieure et surtout crée un passif éventuel assez important. Traduisant des engagements existants dont les effets budgétaires dépendent d’évènements futurs aléatoires qui découlent de l’obligation morale de l’Etat d’assurer un service public ou de sécurité sociale et des obligations juridiques de l’Etat liées à la propriété des entreprises publiques et les garanties y afférentes pour leur faciliter la mobilisation des emprunts à l’étranger, le passif éventuel pourrait avoir des effets épouvantables sur les grandeurs budgétaires. La périlleuse situation financière des entreprises publiques, couronnée par la paralysie totale de l’activité de la société des phosphates de Gafsa, attestent de l’état pernicieux des comptes nationaux et des risques de soutenabilité majeure qu’encourt l’économie du pays.
La soutenabilité de notre modèle de croissance et de développement dépendra, au final, de notre capacité d’appropriation de la nouvelle donne, de notre conscience des dangers réels auxquels fait face le pays, ce qui nous invite, de fait, à repenser notre mode de gouvernance vers plus de réactivité, d’opérationalisme, de persévérance, de vigilance, d’harmonie et de responsabilité, bref, vers la consécration des vertus de l’ajustement dans l’action quotidienne et la gestion stratégique.