Le 3 mai dernier, le monde célébrait la 20e Journée mondiale de la liberté de la presse… L’occasion de défendre l’indépendance des médias et de faire le bilan. Petit tour d’horizon maghrébin.
Le secteur de l’information bouge… Les pays arabes en général et le Maghreb en particulier, ont connu une énième évolution depuis les soulèvements qui ont marqué l’année 2011.
Un bilan mitigé au Maroc
«La liberté de la presse progresse effectivement au Maroc, certes progressivement, mais sûrement», a déclaré le ministre de la Communication Mustapha El-Khalfi à l’occasion de la journée mondiale de la presse, avant de réitérer l’engagement gouvernemental à la consacrer. Au Maroc, la révision constitutionnelle 2011 a consacré la liberté d’expression. Seulement, nuance le syndicat national de la presse marocaine (SNPM) «le peuple marocain attend encore de savoir comment le gouvernement mettra la réforme sur les rails». Dans son rapport annuel, l’organisation professionnelle s’est déclarée «vigilante» quant à toute modification du projet de réforme du Code de la presse. En effet, un nouveau Code prévoyant notamment la suppression des peines privatives de liberté contre les auteurs d’articles mettant en cause «l’institution monarchique, la religion et l’intégrité du territoire» est à l’étude. Toutefois, note le SNPM, «il (NDLR le nouveau Code) va être soumis à une longue procédure de négociation et de discussion qui risque de le modifier dans un sens restrictif». Pour cette raison, Reporters sans frontières (RSF) a classé le Maroc en 136e position (gagnant deux places) sur 179 pays. Malgré cette bonne nouvelle, dans son rapport le syndicat s’est inquiété d’une hausse des violences contre les journalistes. «Les agressions physiques de journalistes par les forces de l’ordre semblent être une méthode supplémentaire, à côté des procès, visant à les empêcher d’accomplir leur devoir d’informer», a affirmé Younès Moujahid, président du SNPM.
L’Algérie, hantée par les décennies noires
Reculant de 3 points, l’Algérie a été classée à la 125e place dans le classement établi par RSF. Agressions à l’encontre des professionnels de l’information, augmentation des procès, pressions (financières) sur les médias indépendants… les raisons avancées par l’organisation sont multiples. «Plus d’un an après le vote par le Parlement d’une nouvelle loi sur l’information, censée abolir le monopole de l’audiovisuel public, l’autorité de régulation, préalable indispensable, n’a pas encore été instituée. Aucune chaîne de droit privé n’a pu voir le jour. La nouvelle législation reste donc théorique, un simple effet d’annonce», constate RSF. Réunis en conclave à Tipasa (50 km d’Alger) les professionnels de l’information, dont les directeurs des quotidiens Liberté et El Watan ainsi que des universitaires ont dressé un constat tout aussi mitigé, faisant notamment état des difficultés qu’ils rencontrent dans un secteur marqué par plus de 400 titres de presse. Certes, depuis douze ans aucun journaliste n’a été assassiné dans le cadre de sa profession.
Toutefois, malgré des progrès enregistrés, la liberté de la presse reste en 2013 un droit précaire. En Algérie, déplorent les professionnels, l’accès à l’information est très limité. La marge de manœuvre des journalistes demeure limitée, notamment en raison du cadre juridique. «Malgré les déclarations des autorités lors de l’élaboration de la loi n°12-05 relative à l’information, la liberté d’expression et le droit à l’information ne sont pas suffisamment garantis», avait indiqué dans un document publié en juin 2012, Frank La Rue, rapporteur des Nations unies sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression. Ce dernier s’était notamment déclaré préoccupé par un article au terme duquel «quiconque offense délibérément le chef d’État en exercice est puni d’un mois à un an d’emprisonnement et d’une amende de 3000 à 30.000 dinars». Dans le même temps, l’État préserve son monopole sur le paysage audiovisuel, le projet de loi prévoyant l’ouverture de l’audiovisuel tardant à être voté.
Les journalistes libyens, premières victimes des violences
Un classement peut être trompeur… En se hissant au 131e rang, la Libye a progressé de 23 places. Deux ans après la chute du régime de Kadhafi et après plus de quarante-deux ans de silence et de contrôle, force est de constater que le paysage médiatique libyen est riche. Toutefois, cibles de choix, les journalistes libyens risquent quotidiennement leur vie. Voilà des semaines que RSF exprime via ses communiqués «sa vive préoccupation face aux menaces continues et aux attaques répétées auxquelles sont confrontés les journalistes libyens dans l’exercice de leurs fonctions».
L’organisation demande régulièrement «à l’État libyen de mettre en place le plus rapidement possible des dispositions législatives et sécuritaires garantissant aux acteurs médiatiques de pouvoir exercer leur métier sans crainte d’être menacés, intimidés ou attaqués». Et les exemples ne manquent pas. Le 20 avril dernier, des journalistes couvrant la conférence (organisée par le gouvernement) sur «la réconciliation du sud de la Libye» ont été attaqués par des membres de la sécurité avant d’être «priés de quitter la salle». Mais l’affaire la plus médiatisée demeure celle d’Amara Al Khitabi. Ce journaliste de 67 ans, rédacteur en chef d’Al Umma a passé quatre mois en prison pour avoir publié une liste de 87 juges et procureurs soupçonnés de corruption. Libéré le 21 avril, il est toujours poursuivi pour «diffamation» et «insulte à l’encontre du système judiciaire». Il risque de trois à quinze ans de prison selon l’article 195 du Code pénal, un texte datant de l’époque Kadhafi.
Mauritanie, le bon élève ?
«Le gouvernement mauritanien est déterminé à renforcer la liberté de la presse et à réunir les conditions morales et matérielles susceptibles de permettre aux médias de s’acquitter pleinement de la mission qui leur incombe», a déclaré le ministre de la Communication, Mohamed Yahya Ould Horma. Placée pour la deuxième fois consécutive en tête de peloton des pays arabes, la Mauritanie s’est hissée à la 67e place au classement de RSF. Dépénalisation des délits de presse ou encore création d’un fonds d’aide publique à la presse privée, le secteur bénéficie de nombreux acquis. Une nouvelle étape vient à présent de commencer. «L’action du Département de la Communication s’est concentrée sur la libéralisation de l’espace audiovisuel, qui a permis pour la première fois dans l’histoire du pays de délivrer les licences, dans le cadre de première génération, à cinq stations de télévision et à cnq stations de radios privées», a ajouté le ministre. Toutefois, ce bilan positif ne cache pas un constat inquiétant. Selon le Syndicat des journalistes mauritaniens (SJM) en Mauritanie, neuf journalistes ont été victimes d’agression ou d’arrestations par la Sécurité, les autorités civiles ou militaires.
A.T
Brèves
Maroc
Profanation
Dans la nuit de lundi à mardi 30 avril, la tombe de Driss Benzekri, militant marocain des Droits de l’Homme pendant les années de plomb, a été brisée. L’information a été révélée par le site Atlas Info. Le Groupe socialiste à la Chambre des représentants a aussitôt demandé au gouvernement de diligenter une enquête. Décédé le 20 mai 2007, il avait passé 17 ans en prison entre 1974 et 1991 pour ses actions politiques. Il était le leader d’une organisation marxiste-léniniste. Driss Benzekri avait présidé à partir de 2003, l’Instance “Equité et Réconciliation” (IER), chargée de solder le passif des années de plomb sous le règne de Hassan-II.
Condamnation
Dix étudiants baâthistes ont été condamnés à des peines de deux à trois ans de prison ferme pour des violences commises sur un campus de Marrakech. Poursuivis pour «attroupement armé» ou encore «dégradation de biens publics», quatre d’entre eux ont écopé de trois ans ferme. Les dix prévenus avaient été interpellés en février dernier alors qu’ils tenaient une réunion. Selon l’agence MAP, « la police avait alors mis la main sur des armes blanches ainsi que des cocktails Molotov ».
Mauritanie
Nouveau-né
Les membres du Mouvement abolitionniste (IRA) ont décidé de lancer une nouvelle formation : le Parti radical pour une action globale (RAG). La formation qui aura pour slogan « Egalité et justice pour tous » attend une autorisation du ministère de l’Intérieur pour démarrer ses activités. Le RAG a par ailleurs promis qu’il sera indépendant du mouvement IRA dont il est issu et considérera le président de IRA, Biram Ould Abdeid seulement comme « guide spirituel ».
Libye
Seif al-Islam devant le juge
Seif al-Islam Kadhafi a comparu devant le tribunal de Zenten, ville dans laquelle il est détenu, pour «atteinte à la sécurité nationale». Les juges ont décidé d’ajourner le procès au 19 septembre, à la demande de la défense qui a souhaité avoir accès à l’intégralité du dossier. Les journalistes présents sur place ont pu brièvement échanger avec l’accusé qui a répondu par l’affirmative à la question de savoir s’il allait bien. La Cour pénale internationale (CPI) a également demandé à juger Seif al-Islam Kadhafi.
Algérie
BP gèle ses projets
La compagnie pétrolière British Petroleum (BP) avait prévu d’investir un milliard de dollars dans l’amélioration de l’usine de gaz d’In Amenas. Toutefois, a noté le gouvernement britannique, « l’Algérie ne fait pas assez pour s’assurer que les travailleurs étrangers soient en sécurité à l’usine », faisant référence à l’attaque terroriste.
BP a confirmé que tous les projets prévus sont en attente jusqu’à ce que l’entreprise obtienne une assurance de sécurité de la part du gouvernement algérien.
Condamnation
Cheb Fayçal a été condamné par le tribunal d’Oran à six mois de prison avec sursis et à 100.000 dinars (1.000 euros) d’amende pour s’être moqué de la police algérienne dans une de ses chansons. Âgé de 29 ans, le chanteur avait été arrêté après une plainte de la direction générale de la sûreté algérienne l’accusant d’avoir qualifié dans sa chanson les policiers de «balances». Le chanteur de l’ouest algérien avait nié les faits, selon les médias. «Ces paroles ne sont pas les miennes», avait-il déclaré. La chanson s’était propagée sur la Toile et chantée dans les stades.