Pour le secteur de l’huile d’olive, l’année 2015 est un très bon “cru”. Un chiffre d’affaires d’environ 1.200 millions de dinars jusqu’à fin avril, et un niveau d’exportation record sur le marché européen. Le potentiel de ce secteur demeure énorme et les opportunités sont également multiples. Comment promouvoir un vrai label de l’huile d’olive tunisienne, dont 80% est exporté en vrac, sur le marché international et tirer profit de la spécificité de ce produit qui constitue un véritable patrimoine national ? Abdellatif Ghedira, Président directeur général de l’Office national de l’huile (ONH), fait part à Réalités de toutes les questions en relation avec le développement de ce secteur stratégique.
Interview
Qu’elle est la situation de l’Office national de l’huile et comment gère-t-il aujourd’hui le secteur ?
J’estime que la situation de l’Office national de l’huile (ONH) est à l’image du secteur oléicole. Si le secteur oléicole va bien, il en sera de même pour l’Office. Ce dernier est également le reflet de la situation des producteurs et exportateurs de l’huile d’olive. Quand il y a une production abondante et de bonne qualité et quand les marchés internationaux font appel à nous, l’Office retrouve sa place. Pour les saisons de vaches maigres, comme c’était le cas de l’année dernière, l’Office se trouve logiquement confronté à des difficultés à l’instar de tous les opérateurs du secteur.
Dès sa création, l’Office avait le monopole de la gestion du secteur oléicole. Il avait seul le droit d’exportation sur les marchés internationaux. Même le transport de l’huile d’olive était soumis à l’autorisation de l’Office. Ce monopole n’était pas un choix mais une tradition. L’exportation de notre huile était aussi une tradition, puisque depuis les phéniciens, la Tunisie est un grand producteur d’huile d’olive et un grand exportateur. L’Office avait pour rôle d’être l’interlocuteur des producteurs locaux auprès des marchés internationaux. Un rôle qui l’autorise à vendre le produit tout en garantissant une plus-value importante pour les producteurs tunisiens. Cela veut dire, aussi, défendre le produit tunisien et le valoriser auprès des marchés étrangers. Bien qu’il s’acquitte d’un rôle commercial, l’Office relève du ministère de l’Agriculture, pas celui du Commerce. Cela tient au fait que son métier est plus orienté vers l’assistance et le soutien des agriculteurs, tout en assumant les tâches de commercialisation et de valorisation de ce produit. Dans la commercialisation de l’huile d’olive, l’Office se contente d’une petite marge qui lui permet de survivre, le reste est récupéré par les agriculteurs.
Je dois préciser que conformément à l’accord d’association avec l’Union européenne signé en 1995, des quotas d’exportation pour l’huile d’olive sont prévus. Ce quota est géré totalement par l’Office qui approvisionne le marché européen par contingent en vrac.
Qu’est ce qui a changé depuis la libéralisation du secteur ?
Après les problèmes qui ont secoué le secteur en raison des politiques commerciales, qui avaient montré leurs limites, la décision de libéraliser le secteur a été prise en 1996 ouvrant le secteur au privé. 20 ans après, l’Office ne contrôle que 10% de la production, contre 90% par le secteur privé. Il faut reconnaitre que le secteur s’est beaucoup développé, comme le montre bien l’évolution de la production nationale, du rendement et de la qualité du produit. D’ailleurs, on n’est pas le deuxième producteur d’huile d’olive au monde, pour rien. Il y avait une volonté pour développer ce secteur à grand potentiel. Le privé bénéficie de mécanismes que le public n’a pas. Le privé, et c’est la où réside sa force, est capable d’exploiter au mieux tous les moyens pour conquérir des marchés et vendre mieux le produit tunisien. Les 10% restant au secteur public n’obéissent pas à un objectif commercial, mais à un but stratégique consistant à réguler le marché et à garantir une marge de sécurité nationale en huile d’olive.
Il faut également préciser que les intervenants dans le secteur sont multiples, à savoir l’agriculteur, les oléiculteurs, les exportateurs, les importateurs. La présence d’une instance publique qui régule le marché et garantit le droit de chacun, est incontournable dans ce cas. Ce genre d’instances existe partout dans le monde, en Tunisie cette instance est l’ONH. Ainsi l’Office fixe les prix, en se basant sur les tendances observées sur les marchés internationaux. C’est ce prix qui est adopté par le secteur privé. Aujourd’hui, l’Office oriente ses intervention pour appuyer le secteur privé à développer plus le conditionné. Les italiens et les espagnols ont pris 100 ans pour arriver à leur niveau actuel. Ce n’est pas en 4 ou 5 ans que nous les rattraperons.
Qu’est ce qui empêche de développer plus l’huile conditionnée et que faire pour y arriver ?
Un simple exemple mais très explicite peut tout expliquer. Un bon chocolat devrait être suisse, pourtant le cacao vient d’ailleurs. Pour une personne qui ne connait rien en chocolat, il va vers une valeur sûre, le chocolat suisse. C’est exactement pareil pour l’huile d’olive. Si on parle d’huile d’olive sur le marché international, l’huile d’olive italienne est la plus connue et se présente comme la valeur la plus sûre. Il y a trois ans une marque d’huile italienne a été achetée par des espagnols à 100 millions de dinars. Cette somme a été payée beaucoup plus pour le nom de la marque que la qualité de l’huile elle-même. Pourtant beaucoup ignorent qu’au moins le un quart d’une bouteille d’huile d’olive européenne est tunisien. Ils améliorent l’huile européenne par l’huile tunisienne.
C’est en même temps honorable et frustrant ?
Oui, c’est pour cette raison qu’il est grand temps de revoir nos politiques pour montrer que l’huile que les européens commercialisent est tunisienne. Maintenant que la Tunisie est connue grâce à la Révolution, profitons de cette notoriété pour faire connaître la vrai Tunisie. Cette année, pour des raisons conjoncturelles, l’huile tunisienne est arrivée à de nouveaux marchés. En effet, les marchés européens, souffrant de pénurie d’huile d’olive, n’arrivant pas à répondre aux demandes de leurs marchés, se sont trouvés dans l’obligation de chercher ailleurs et ils sont venus vers nous. Les opérateurs américains, australiens et asiatiques sont venus vers nous parce qu’ils savent que nous avons un stock d’huile d’olive mais ils ne savent pas encore que cette même huile est d’une grande qualité. A titre d’exemple, les pays du Golfe croyaient que l’huile d’olive palestinienne était la meilleure. Jusque-là, la valeur des exportations a atteint 1.200 millions de dinars, soit cinq fois de plus qu’on n’a pu faire une année auparavant. Il s’agit d’exportations nettes qui montrent le grand potentiel qu’offre ce secteur.
Comment exploiter encore plus ce potentiel?
Tout d’abord il faut limiter les intervenants dans le secteur. Nous avons l’ONH, le ministère de l’Agriculture avec ses multiples organismes, les ministères de l’Industrie et du Commerce. Les opérateurs privés sont éparpillés entre toutes ces structures. C’est un secteur particulier qui doit être traité d’une façon particulière. Pourquoi ne pas mette en place un seul organisme public qui aura pour mission de gérer le secteur dans toutes ses étapes ? Cet organisme pourra être l’interlocuteur unique du secteur. Sa mission, ses objectifs et ses attributions doivent être discutés par toutes les parties prenantes. L’ONH pourrait être cet interlocuteur mais pas dans la situation actuelle. L’Office a pour mission d’importer de l’huile végétale pour le compte du ministère du Commerce. Cela fait-il partie de notre attribution ? Je ne crois pas ? Le deuxième élément essentiel, consiste à réduire l’irrégularité, d’une année à l’autre, de la production, c’est possible. Il faut juste mettre les moyens, les grands moyens. Il s’agit des nouvelles technologies agricoles de l’irrigation, de sélection des espèces et de leur taille et du choix des zones de cultures. Si vous signez un contrat de quelques années d’approvisionnement en huile d’olive avec une grande enseigne, celle-ci se soucie peu si votre production est tributaire du climat. Il nous faut assurer un niveau de production minimum par an. De 2014 à 2015 on est passé de 70.000 tonnes à 300.000 tonnes, c’est quasiment ingérable. Nous avons notre propre département de recherche-développement et nous pouvons également s’inspirer des autres expériences qui ont réussi. Il faut mentionner également le problème de rigueur dans le suivi des maladies. A titre d’exemple la bactérie « Xylella fastidiosa » a fait de grands dégâts dans les oliviers européens. Il faut mettre une politique sérieuse pour combattre ces éventuelles bactéries qui peuvent s’avérer dangereuses pour toute notre culture.
Il y a, en outre, la question du rajeunissement de cette culture. Il faut accélérer ce processus car nous reculons actuellement en termes d’âge de nos plants et garder au moins le même nombre d’oliviers producteurs. Il faut savoir qu’un olivier rajeuni demande cinq ou sept ans pour être productif. Au niveau de l’extraction de l’huile d’olive, beaucoup reste à faire, notamment la mise à niveau des huileries. Certes notre huile est de bonne qualité, d’ailleurs 80% de notre production en huile d’olive est extra-vierge répondant aux normes internationales, mais il faut savoir garder ce niveau et pourquoi pas le développer. Pour ce faire, il nous faut des mécanismes d’analyse et de perfectionnement dans nos huileries. Ce dont je suis sûr, c’est que la volonté politique existe et cela a été exprimé par le Chef du gouvernement Habib Essid lors de la remise récemment du prix de meilleure huile d’olive tunisienne conditionnée. Le moment est maintenant propice pour engager une grande réflexion sur l’avenir de ce secteur. Un comité vient d’être mis en place réunissant toutes les parties prenantes. Il essayera d’identifier les besoins du secteur et les moyens stratégiques pour le hisser à un niveau international notamment en termes de conditionnement. Cette année serait l’année des grandes décisions, car la saison est excellente et nous n’aurons pas à affronter des problèmes conjoncturels. J’espère que le comité présentera un projet au conseil national oléicole. Une fois validé, ce projet devra être soumis à un conseil ministériel puis à l’ARP pour adoption. Espérons qu’en 2016 on entamera la réalisation de cette nouvelle stratégie.
Comment évaluez-vous le comportement du secteur privé qui détient 90% de la production?
Tout d’abord, le secteur privé est représenté par les agriculteurs, les huileries et les exportateurs. Pour les agriculteurs, par exemple, il existe les petits et les grands. Les grands sont capables d’investir et de produire une olive de grande qualité et ils font même des jaloux auprès des agriculteurs européens qui sont subventionnés. Il existe, en même temps, de petits agriculteurs dont la production est faible en termes quantitatif et qualitatif. Nous comptons 320.000 agriculteurs, c’est qui est énorme et difficile à gérer en même temps. Comment peut-on rassembler ces agriculteurs du moins les petits, parmi eux. Je ne dirais pas dans des coopératives, quoique ce concept fut à l’origine de la réussite du secteur en Europe, premier producteur mondial. Le plan vert des marocains, par exemple, a aussi réussi. Comment peut-on convaincre nos agriculteurs de s’associer ? Il faut que nos agriculteurs voient un intérêt. Cela ne peut se faire que quand le gouvernement s’implique et offre, par exemple, des avantages financiers et fiscaux à tous ceux qui s’associent. Pourquoi des agriculteurs ne s’associent-ils pas pour créer leur propre huilerie et le gouvernement appuiera ce projet en les exonérant des taxes et impôts ?
Le secteur souffre également du quota imposé par l’UE à l’exportation, que faire pour contourner cette contrainte ?
L’huile d’olive est exportée essentiellement et traditionnellement sur le marché. Plus de 70% de notre production va vers ce marché, 20% pour les USA. Plus de 40% de l’huile conditionnée est exportée vers les Etats Unis. En termes de chiffres, le kg de vrac se vend à 6.200 dinars contre 8.500 dinars pour le kg conditionné. Il faut savoir que l’huile d’olive est un produit périssable qui doit se vendre en une année. Le conditionné est une alternative sérieuse pour contrer cette contrainte. En même temps, les opérateurs privés tunisiens préfèrent les voies les plus faciles pour commercialiser leur huile. Ils se disent qu’au lieu d’investir pour conditionner l’huile et chercher des marchés, mieux vaut l’exporter en vrac. Comment peut-on les motiver pour aller vers le conditionnement ? Je connais au moins 20 opérateurs prêts et capables de relever ce défi. Ils sont conscients de l’importance de ce secteur stratégique. Pour cela il faut donner à cette huile sa qualité de patrimoine tunisien. Pour montrer leur volonté, les opérateurs ont accepté de payer une taxe sur l’huile d’olive exportée de 0.5%. Cette taxe est versée dans le Fonds de promotion de l’huile d’olive conditionnée.
Dans tous les cas, nous pourrons réussir, car nous avons des atouts incontournables, à savoir la bonne qualité de notre huile et notre statut de grand producteur. Il faut croire que l’or vert est une composante essentielle de l’avenir de notre économie. Une composante qui n’est tributaire ni de la politique, ni de la sécurité. Il s’agit d’un fonds propre à développer. Aujourd’hui des pays traditionnellement non consommateurs d’huile d’olive (États-Unis, Canada, Australie, Brésil, Japon et Chine) représentent aujourd’hui une opportunité pour notre produit qu’il faut savoir conquérir.