Après quatre années de la montée spectaculaire de l’extrémisme et du terrorisme, quel bilan pouvons nous faire aujourd’hui de l’action accomplie et particulièrement existe-il réellement une véritable stratégie pour combattre ce fléau ?
Certes, la Tunisie avait accompli un processus électoral dans de bonnes conditions, et un gouvernement élu peut normalement travailler dans la durée. Ceci étant, les Tunisiens attendent toujours une véritable politique sécuritaire face aux dangers qui les guettent de toutes parts. Car, si au temps de la Troïka, maintes raisons furent évoquées pour justifier le manque d’engagement politique pour faire face au fléau terroriste, ce manque de mordant ne trouve désormais aucune justification maintenant. Face à une situation nationale délétère, les retombées régionales, à l’exemple de la Libye, du Mali et de la Syrie ne manquent pas non plus de mettre le pays en péril. Avec les deux dernières opérations terroristes à Sidi Ali Ben Aoun et Ghardimaou ainsi que le rapt des fonctionnaires tunisiens au consulat de Tunisie à Tripoli, une grande question se pose aujourd’hui : le gouvernement en place et la présidence de la République ont-ils vraiment une vision stratégique digne de ce nom pour lutter contre le terrorisme et redorer le blason de l’Etat piétiné de toute part ?
Des défis et des réponses : l’amateurisme
Avec le double attentat terroriste à Sidi Ali Ben Aoun et Ghardimaou, la crainte se fait grande quant à l’amplification des attentats terroristes à l’entrée de l’été et du mois de Ramadan. De par son statut de commandant supérieur de l’Armée Nationale et président du Conseil de la sécurité nationale, il serait grand temps au président de la République de réviser le statut et la place de l’Armée dans la préservation de la sécurité nationale. Le ministère des Affaires étrangères a aussi montré ses limites dans la gestion des crises : la libération du libyen Walid Glaieb montre à quel point l’absence d’une politique étrangère en matière de résolution de crises : conflits, rapt, justice internationale, absence de la Tunisie dans les pourparlers entre libyens ne peut aucunement continuer ainsi : c’est de l’amateurisme face à des situations où il va de la dignité de l’Etat et de sa souveraineté. La politique étrangère, pas plus que la question sécuritaire, ne peut être gérée par des conseillers pour la plupart politiques et généralement incompétents. Sinon comment expliquer l’absence, jusqu’à nos jours, de centres de recherches spécialisés sur les questions sécuritaires et dans les relations internationales et les compétences ne manquent pas. On ne peut se hasarder à engager le pays dans le tumulte d’une situation internationale changeante et où les interférences d’intérêts et les alliances se payent cher. Pourquoi faire la sourde oreille face à un choix important qui est celui de recourir simplement à la connaissance et au savoir ? Occulter cette dimension si importante, montre à quel point les politiques sont réellement engagés dans des calculs politiques plus que de s’occuper réellement de servir le pays, car le savoir est la locomotive de tout progrès. Dans quasiment tous les pays qui se respectent, aucune décision d’envergure ne peut être prise sans le recours aux centres de recherches et l’avis d’experts (et ce n’est pas un vain mot !).
Le manque de décisions courageuses
Depuis le gouvernement Jomaa, on a entendu parler d’un symposium national sur le terrorisme ; pure spéculation verbale dira-t-on !!! Même chose pour les lois pour la protection des forces de sécurité et la loi anti-terroriste, l’attente se fait longue et le manque de détermination est clair. Sur le plan opérationnel, on n’a pas manqué de souligner l’absence d’un commandement unifié pour la lutte anti-terroriste, ce commandement devrait être sous la tutelle du ministère de la Défense avec un commandement général et des chefs de région uniques pour recueillir les informations et mener la traque sans attendre des ordres hiérarchiques. Cela se fait normalement quand une décision qui émanerait du Chef du gouvernement et de la présidence de la République tranche une fois pour toute par décret sur cette question combien importante pour le mode opérationnel des forces armées. Or, chez nos forces armées chacun est jaloux de ses prérogatives et ne veut aucunement céder : où est l’Etat dans tout ça ? Ce commandement aura aussi comme rôle de s’attaquer de front au phénomène de la contrebande et faire face aussi à toutes les formes de défiances de l’Etat national. Encore faut-il que nos politiques aient une vision claire de l’étendue de la conception cruciale de la sécurité nationale. Car en effet, quand on parle de l’éducation nationale, des grèves des pilotes de lignes, comme c’était le cas récemment, de l’entrée des marchandises, de l’électricité ; ce sont des secteurs qui doivent impérativement figurer dans la sécurité nationale. Pas plus que les citoyens tunisiens résidants à l’étranger ou nos relations avec nos voisins, questions qui doivent être gérés sous l’angle exclusif de ce concept. Ainsi, les matières premières et les phosphates ne doivent-ils pas figurer dans le calendrier de la sécurité nationale. Il est bon de l’affirmer et d’engager des décisions immédiates. Malheureusement de tout ça il n’en est rien !!!
Les occasions stratégiques manquées
La résolution du problème libyen est aussi une question de sécurité nationale pour la Tunisie. Alors qu’on a vu l’Algérie et le Maroc prendre une part active dans le dialogue inter libyen, la diplomatie tunisienne est restée quasiment muette. Pire encore, avec le rapt des fonctionnaires tunisiens à Tripoli, la passivité de notre diplomatie a atteint son paroxysme. La saison touristique vient tout juste de débuter et l’arrivée des Tunisiens résidants à l’étranger appelle à une vigilance accrue par une coordination de tous les corps d’armée et de faire attention aux mouvements sociaux souvent déguisés par des manipulateurs politiques et syndicaux.
Il aurait fallu engager une véritable politique décisive et tranchante sur toutes ces questions brûlantes. Mais pourquoi le gouvernement est-il resté dans la réactivité et non dans l’anticipation et la planification ? Il y a tout simplement à dire qu’il n’existe aucune vision stratégique. Gérer ces questions au quotidien, se réunir dans des bureaux fermés, faire appel à des conseillers de complaisance sans aller dans un travail perspectiviste réalisé par des experts chevronnés, tout cela mène à ces désastres diplomatiques et ces failles sécuritaires. On déplore aussi le manque d’antennes sécuritaires dans nos ambassades à l’étranger, la dissolution de la police politique avait laissé un vide et de nombreuses associations douteuses avaient trouvé un terrain de prédilection afin de noyauter des jeunes et financer ses projets terroristes en Tunisie.
La Tunisie, et devant les bouleversements régionaux et internationaux, n’a rien fait jusqu’à présent pour devancer les faits et engager une véritable vision géopolitiques sur les compromis et les alliances qui se font.
Un Etat est une entité totale, et la coordination entre les différents ministères doit avoir une priorité absolue : la sécurité du pays. Or, aujourd’hui, on assiste à des décisions fragmentaires, sectorielles et la vue d’ensemble qui imprime une véritable cohésion du travail gouvernemental est absente. Peu importe si les lois tardent à passer, il y a des décisions urgentes qui peuvent rétablir le sentiment de confiance chez les citoyens.
Que Faire ?
En matière de relations étrangères : La Tunisie n’a jamais vécu une période aussi creuse et parfois insensée dans sa politique étrangère, il serait grand temps que notre diplomatie revienne à défendre les intérêts de la Tunisie d’abord et non la gloire d’une personne. Rétablir les relations diplomatiques avec la Syrie, l’Egypte et remettre la pendule à l’heure avec l’Algérie, les Emirats Arabes Unis et l’Arabie Saoudite doivent être une priorité. Pensons aussi à la diplomatie économique et à la situation des Tunisiens à l’étranger dans de nombreux pays, leur représentativité compte beaucoup pour soutenir l’effort économique qui nous attend pour les années à venir.
Il faudrait à notre sens exploiter au plus haut point cet engagement démocratique de la Tunisie afin que son image resplendisse et son blason redore, car on regarde avec beaucoup d’admiration ce processus accompli. Les hommes qui doivent représenter cette diplomatie doivent être à l’image de la politique étrangère du pays et les qualités de compétence, de propreté et d’intégrité doivent être des conditions absolues pour être les ambassadeurs de notre pays.
Pour un projet national : nous pouvons énumérer de nombreuses mesures à engager de suite, mais il incombe, en premier, aux deux chefs de l’exécutif de se mettre d’accord sur une véritable vision de la sécurité nationale. Comme la législation tarde, faire dans l’urgence, peut aussi mener à des erreurs monumentales, il serait sage de constituer un véritable comité qui veille à la sécurité nationale, qui regrouperait des représentants de chaque ministère et surtout trancher sur les secteurs sensibles qui ne doivent aucunement être affectés par des grèves ou des mouvements sociaux. Ces mesures sont appliquées dans des pays qui ont de longues traditions dans la démocratie. Ainsi va des grèves et des obstructions de routes dans divers secteurs : phosphates, électricité, transport, enseignement, points de frontières, l’eau, les réseaux sociaux, les mosquées, les associations, l’environnement etc. Faire la coordination et engager des rapports au quotidien doivent être suivis d’actions immédiates et visibles.
Face aux volte-face remarquées dans quasiment tous les secteurs, il serait judicieux que l’Exécutif aille vers des décisions de rétablissement de la confiance en l’Etat. Encore faut-il que les élus montrent du mordant à faire régner l’ordre. Quand le philosophe allemand Kant évoque « le progrès comme conséquence du développement de l’ordre » on peut bien voir où en est l’Allemagne aujourd’hui.
Il serait sage aussi de ne voir dans cette conception de la sécurité nationale que le volet opérationnel des forces armées ; il n’est que minime par rapport à l’absence d’un véritable projet éducatif et socio-culturel. Opter pour une approche globale du phénomène terroriste, engagera des politiques en matière scolaire, culturelle et éducative et dans les loisirs. Car nous pensons foncièrement qu’en l’absence de ces projets et avec le manque d’horizons, bon nombre de jeunes seront recrutés dans des nébuleuses terroristes. Qu’offrons-nous à nos jeunes aujourd’hui ? L’Etat n’est pas le seul appelé à trouver des solutions. C’est la responsabilité de tous. Celle de la société civile, des organisations syndicales qui sont également appelés à offrir d’autres perspectives aux jeunes, aujourd’hui livrés à eux-mêmes face à une propagande savamment orchestrée et qui attire !!!
Conclusion
Il est vrai qu’en l’absence de ce « véritable projet de société », les politiques ne peuvent qu’engager des actions limitées et sans horizons. Occulter le savoir, la technicité et le savoir-faire au profit de désignations à caractère politique ou pour contenter un allié, ne peut être qu’improductif et montre les limites de cette façon de voir. Le problème aujourd’hui n’est pas uniquement un problème de communication entre gouverneurs et gouvernés ; il est beaucoup plus profond : c’est l’absence d’un projet national à même d’unir tous les Tunisiens sous une seule bannière : la cohésion nationale pour bâtir une nouvelle Tunisie. Ce slogan est un projet en soi, faut-il aller dans les détails et consacrer une réflexion sur tous les secteurs en faisant appel à toute personne compétente, intègre et désintéressée. C’est un vœu certes, mais l’histoire nous a appris aussi que les grands hommes ont réalisé des œuvres monumentales en commençant par un grand dessein.