La 16e édition des Journées théâtrales de Carthage ont débuté vendredi 22 novembre, avec la présentation de « Tsunami », la dernière création de Fadhel Jaïbi. Mais entre la désorganisation qui a marqué la soirée inaugurale, et les faiblesses de la pièce de Jaïbi, l’événement, pourtant très attendu, n’a pas été à la hauteur.
Ça s’annonçait plutôt bien, ce soir du vendredi 29 novembre : tapis rouge sur les marches du Théâtre municipal, exposition de sculpture et spectacles de rue énergiques malgré le froid sur l’avenue Bourguiba, et au programme, une pièce très attendue du renommé Fadhel Jaïbi, « Tsunami ». Mais l’ouverture de cette 16e édition des Journées théâtrales de Carthage (JTC), n’a pas vraiment été une réussite, ce qui est dommage pour un festival de portée internationale.
Passons sur le manque total d’organisation, les spectateurs qui ont dû attendre dans le froid, les bousculades à l’entrée, l’absence remarquée d’un quelconque discours de bienvenue ou d’inauguration avant le spectacle, qui, d’ailleurs, a commencé avec une heure de retard.
Passons sur la frustration de nombreux spectateurs n’ayant pu entrer ce soir-là. Il a été annoncé au dernier moment qu’une deuxième représentation serait donnée le lendemain, reportant ainsi de cinq jours la représentation de la pièce irakienne « Passeport », de Hayder Jomaâ. Passons enfin sur l’aspect peu démocratique de l’événement, puisqu’il était impossible d’assister au spectacle sans badge ou carton d’invitation, aucune place n’étant mise en vente. Après tout, faire de ce festival un succès populaire n’est peut-être pas l’objectif des organisateurs des JTC.
Venons-en à l’essentiel : le spectacle. « Tsunami », écrit par Jalila Baccar et mis en scène par Fadhel Jaïbi, est la première œuvre théâtrale de ce duo depuis la Révolution. Cette « politique-fiction », déjà présentée cet été lors du Festival international de Carthage, s’inscrit dans une trilogie consacrée à l’histoire contemporaine de la Tunisie, débutée en 2006 avec « Corps otages », et poursuivie par « Amnesia » en 2010, pièce prémonitoire qui racontait la chute d’un dictateur.
Guerre civile et théocratie : bienvenue dans la Tunisie de 2015
Se voulant une nouvelle fois visionnaire, Fadhel Jaïbi situe l’action de « Tsunami » en 2015. La Révolution semble bien loin : les islamistes sont devenus les nouveaux dictateurs, ont instauré une théocratie et imposent brutalement leur idéologie à une société jusqu’ici connue pour son ouverture et sa tolérance.
Mais dans cet univers sombre, anxiogène, où règnent la peur et la violence, certains osent résister. C’est le cas de Dorra, 25 ans. Entre l’Antigone de Sophocle et Amina des Femen, la jeune fille décide d’ôter son voile et de fuir sa famille. Menacée, elle se réfugie chez Hayet (jouée par Jalila Baccar), une femme d’une soixantaine d’années, ancienne militante de gauche désormais blasée.
Le tout sur fond de guerre civile entre « modérés » et « extrémistes ». Et la pièce se termine, tragiquement, par un massacre qui décime ce qu’il reste de jeunesse et d’espoir en Tunisie.
Avec « Tsunami », Fadhel Jaïbi avait pour ambition affichée de provoquer une interrogation chez les Tunisiens sur les dérives possibles du pouvoir en place. Sauf que la pièce ne pose pas de questions, mais assène des vérités, en disant au spectateur ce qu’il doit penser.
Le scénario est basique, pour ne pas dire manichéen : d’un côté les « gentils modérés », et de l’autre les « méchants islamistes qui font peur avec leur barbe et/ou leur niqab ». Les salafistes sont des êtres sanguinaires, et les « niqabées » de ridicules ombres noires, déshumanisées, qui traversent la scène de temps à autre, provoquant l’hilarité des spectateurs.
Manque d’originalité
Après avoir vu « Tsunami », on aurait presque envie de défendre les salafistes, juste pour prendre le contre-pied.
Devant si peu de subtilité et d’originalité, on s’ennuie. Mais on ne s’endort pas tout à fait, grâce aux références à l’actualité distillées régulièrement dans la pièce, aux quelques traits d’humour qui empêchent de sombrer totalement dans la dépression, et à l’excellent jeu d’actrice de Jalila Baccar.
Certes, les spectateurs du Théâtre municipal, hormis quelques impatients qui ont quitté la salle avant la fin des trente premières minutes, semblaient réagir plutôt positivement, riant et applaudissant à chaque fois que les islamistes étaient moqués ou critiqués. Mais parmi le public présent ce soir-là, composé en grande partie de journalistes, d’intellectuels, d’étudiants en arts dramatiques et d’artistes, beaucoup étaient déjà acquis à la cause de Fadhel Jaïbi. Ce qui est compréhensible, au vu de la multiplication des attaques ces deux dernières années contre les artistes, les médias et les opposants politiques.
Fadhel Jaïbi a donc décidé de faire de sa pièce un « spectacle-tract », et il serait trop long de débattre ici de l’opportunité d’un tel choix. Après tout, c’est un parti pris artistique.
Perrine Massy