La publication du Rapport sur les discours de haine dans la presse écrite en Tunisie, suscite depuis lundi dernier une vive polémique dans la presse tunisienne comme sur les réseaux sociaux. Certains ont tenté d’instrumenter ce rapport en faveur de telle ou telle partie, et de se défausser de toute responsabilité dans ce type de discours, alors que d’autres ont mis en cause le rapport et lui ont dénié toute pertinence scientifique. La polémique en elle-même est significative : Au-delà de l’usage à charge ou à décharge, pour se disculper ou pour accabler les confrères, les différentes rédactions ont bien pris connaissance des résultats du rapport, et cela traduit l’impact positif de l’enquête, du moins en partie.
Cet article, tout comme le rapport lui-même, ne vise pas à émettre des jugements et encore moins à accuser la presse arabe, et la presse tunisienne, de diffusion des discours de haine et de ressentiment. Nous voulons juste attirer l’attention des journalistes et des médias et insister sur le danger de tels discours dans le contenu de l’information et le devenir des médias.
Le Rapport n’a pas vocation à demander à qui que ce soit de souscrire à ses résultats comme des évidences incontestables. Il se veut une invitation à méditer et analyser le discours produit par les médias et son rôle dans la préservation de la paix civile, contre la tentation de la haine. On ne gagne rien à reproduire contre les organisations terroristes, y compris Daech, leur propre discours ni à recourir à leurs méthodes pour se venger de leur forfait.
L’enquête indique que 50% des discoursde haine sont concentrés dans les rubriques d’opinion (les éditoriaux, tribunes, commentaires et autres analyses…). Ces genres sont propices au glissement de l’analyse de l’information à l’appréciation subjective de l’événement, et à la prévalence des opinions des rédacteurs portés par une rhétorique lourde de partis pris sur l’information objective. Les résultats de l’enquête ressortent également que 2/5èmes des discours de haine observés proviennent de la presse yéménite durant la période qui a précédé de quelque mois la guerre civile –et qui correspond à la durée d’observation. C’est dire combien nos craintes étaient fondées : la guerre médiatique précède et alimente la guerre civile.
A l’évidence, ce travail d’observation ne vise nullement à faire le procès des journalistes, fut-il virtuel. Cette intention n’a effleuré aucun des auteurs du rapport. Personne n’a songé à mettre en cause le travail des différents organismes de presse. Bien au contraire, cette contribution n’a pas d’autre ambition que de défendre la profession et de valoriser l’image des journalistes. En mettant l’accent sur la nocivité des discours de haine, nous œuvrons à affirmer la déontologie des métiers de la presse contre les pratiques de l’insulte, de la calomnie, contre les appels à la violence, voire au meurtre, les accusations d’apostasie et de blasphème qui sont autant de coup portés à cette déontologie. Nous voulons éviter que la presse ne devienne, à son corps défendant, une source de menace pour la paix civile et sociale et ne s’éloigne de sa vocation pionnière dans la réconciliation nationale. Les sociétés arabes ont aujourd’hui, en cette phase de transition démocratique, grand besoin de discoursde nature à sauvegarder l’unité nationale, à renforcer l’esprit de tolérance et d’acceptation de l’autre, selon les règles du pluralisme, dans le respect de la loi. Le tout sans renoncer à la liberté d’expression qui doit être sans cesse défendue. Dans l’effort collectif pour une transition sans encombres, sans violence ni exclusion, pour une démocratisation des États arabes dans le maintien de la cohésion sociale et de la paix civile, ilimporte que les médias se chargent eux-mêmes de réguler leur fonctionnement sans intervention d’appareils gouvernementaux.
Faut-il rappeler que ce monitoring des medias tunisiens n’est pas le premier du genre, il ne sera pas non plus le dernier. Déjà en 2013, un échantillon de la presse de ce pays a été observé, mais curieusement la réaction à l’époque était différente de celle d’aujourd’hui : on a même vu un journal dont les prestations avait été mise en cause pour les même raisons, s’engager à changer de ton et présenter ses excuses dans un éditorial. De même, une chaine de radio s’est mise à contrôler le contenu de ses diffusions en direct… En vérité, les réactions varient d’un media à l’autre. Ce qui importe, c’est de se donner le temps et les moyens de se réformer et d’améliorer le produit destiné au public.
L’observation des discours de haine dans les medias de cinq pays arabes,La Tunisie, l’Égypte, le Yémen, Bahreïn et l’Irak, visant àen limiter la pénétration dans les médias, tente de répondre à deux soucis :
• Le premier est lié à la crainte de la diffusion de ce type de discours, dans le contexte international qui est le notre qui non seulement produit des différences mais a tendance à les exacerber sous des formes diverses comme le racisme, le régionalisme, le tribalisme, l’extrémisme religieux et politique… qui touchent de larges catégories de populations. Les guerres et les tensions qui en découlent transforment souvent les médias en moyens d’amplification de la haine et d’appels à la violence.
• Le second a trait à l’engagement à respecter les principes du droit international consignés dansla Déclaration universelle des droits de l’Homme (en particulier les articles 7 et 37), le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (article 20), la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale ; ainsi que les textes de lois locaux dans les pays arabes, qu’il s’agisses des codes pénaux ou des lois régissant l’information.
Les auteurs de ce rapport qui, rappelons-le, s’appuie sur la méthode d’observation quantitative, tiennent à souligner que l’objectif recherché est la l’élimination de la haine et du ressentiment dans les discours médiatiques. Objectif qui ne pourra être atteint qu’avec la mise en place d’une stratégie nationale, dans chaque pays arabe, pour combattre ce type de discours, associant toutes les parties concernées : les institutions étatiques en charge de l’information ou de sa régulation, les Conseils d’administrations des divers organismes de presse et leurs directeurs de rédactions, les syndicats de journalistes, les organisations civiles de défense de la liberté d’expression… Ainsi seulement, la stratégie en question aura des chances de réussir. Et de répondre aux questions soulevées par le rapport du monitoring sur les discours de haine dans les pays arabes.
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