On me pardonnera d’avoir emprunté le titre d’un film américain connu pour intituler la présente tribune ; il s’est en quelque sorte imposé à moi lorsque l’envie m’est venue de railler l’hypocrisie qui caractérise le débat sur la réconciliation économique. En effet, qui aurait pu imaginer qu’après plus de 4 années de populisme à deux sous et de démagogie braillarde, il y aurait encore des gens pour rejeter la réconciliation nationale. Pourtant, le président Caïd Essebsi avait inclus cette promesse dans son programme électoral sans que cela ne provoque, alors, les petits cris de pucelles effarouchées que l’on entend ces derniers temps. Rassurons-nous, ces hypocrites patentés ne sont pas légion et leur démonstration de force du 12 septembre sur l’Avenue Habib Bourguiba faisait plutôt de la peine à voir: au plus un millier de traîne-savates scandant des slogans puérils. En somme, un flop magistral après des rodomontades et des promesses d’apocalypse. Dorénavant, il faudrait quasiment encourager, à chaque crise politique, le Front populaire et ses acolytes à descendre dans la rue histoire de bien rigoler et de saisir leur poids réel. En fait, le Tunisien, par son refus de souscrire à une énième mascarade populiste, a prouvé sa grande maturité politique et sa volonté de tourner la page d’une pseudo-révolution qui a dégradé son pouvoir d’achat ainsi que l’image de son pays. La réconciliation nationale portée par le projet de loi, contrairement aux mensonges colportés par les nostalgiques de la faucille et du marteau, ne vise en aucune manière à blanchir la corruption sous Ben Ali; en effet, elle se propose d’offrir aux hommes d’affaires impliqués dans des procédures judiciaires la faculté de régulariser leur situation en remboursant l’intégralité des sommes détournées ou des avantages injustifiés. En outre, ce projet de loi entend mettre un terme aux poursuites contre les fonctionnaires dont le seul crime est d’avoir exécuté les ordres de leurs supérieurs hiérarchiques. Quand on voit dans quel état se trouve l’Administration tunisienne, on se dit qu’il n’est pas trop tôt pour mettre un terme à la terreur qui s’est installée dans l’esprit et le cœur de l’élite de la fonction publique.
En vérité, ceux qui, aujourd’hui, pourfendent la réconciliation nationale, ont commencé à la pratiquer dès le 15 janvier 2011 mais sous sa variante individuelle. En effet, très tôt, ces grands révolutionnaires se sont précipités sur les hommes d’affaires pour en faire leurs meilleurs amis et, accessoirement, en tirer quelques avantages pécuniaires. Les exemples de ce copinage intéressé fourmillent et si l’hypocrisie de ces prétendus révolutionnaires devait perdurer, il ne faudrait plus hésiter à livrer en pâture au grand public leurs beaux patronymes. Le matin, ces hypocrites notoires ne jurent que par la reddition des comptes et, la nuit tombée, ils partagent l’apéritif avec les hommes d’affaires les plus compromis sous l’ère Ben Ali. Cette forme de schizophrénie n’est ni désagréable ni innocente puisqu’elle permet à nos défenseurs de la pureté révolutionnaire de s’habiller en Prada, de dîner à l’œil dans les restaurants à la mode et de faire étudier, à grand frais, leurs enfants à l’étranger. Cette dernière forme de réconciliation qui s’apparente davantage à du racket et à de la mendicité déguisée n’a rien à voir avec la réconciliation nationale prônée par la présidence de la République. L’une a le mérite d’être claire et d’être encadrée par une commission interministérielle et des règles de Droit strictes, l’autre, celle préférée par Hamma Hammami et ses amis, se pratique sous le porche des immeubles, à l’abri des regards et souvent sous le manteau. L’une bénéficie à la caisse de l’Etat et sert à financer des projets destinés aux plus démunis, l’autre engraisse des vendus et alimente le marché de la corruption la plus vile. En fait, à bien y réfléchir, on comprend pourquoi la réconciliation économique et financière dérange voire effraie tant ces hypocrites avides : elle risque de les priver de leur gagne-pain et de les obliger à se nipper de nouveau à rue Zarkoun alors qu’ils ont pris goût, depuis la Révolution, aux costumes bien taillées de Prada et aux boutiques huppées des Berges du Lac.
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