Comment faire en sorte que les multinationales payent leurs impôts et ne profitent pas des règles et des législations en place pour payer le moins possible et éviter ainsi des manques à gagner de plus en plus importants pour des finances publiques en souffrance dans la plupart des pays ? C’est la question, aussi ancienne que la mondialisation, à laquelle les experts économistes ont essayé de trouver des réponses. Les experts sont familiers avec cette question qu’ils appellent « les prix des transferts » et qui permet aux grandes entreprises multinationales, par des mécanismes internes, de faire paraître leurs profits dans les pays à fiscalité réduite et particulièrement dans les paradis fiscaux.
Or, en dépit des critiques des experts et des dénonciations des activistes et des organisations de la société civile, la volonté politique n’a pas suivi et les multinationales ont pu continuer à mettre en concurrence les législations nationales pour réduire leur fiscalité et surtout utiliser les mécanismes en place pour payer des sommes symboliques aux différents pays. Mais, la grande crise financière des années 2008 et 2009 et la crise des finances publiques dans la plupart des pays ont été à l’origine d’un changement important de cap en matière de législations fiscales. La plupart des pays se sont engagés dans une lutte sans merci contre la fraude et l’évasion fiscale afin de soutenir leurs finances publiques et de trouver les moyens financiers pour faire face aux dépenses supplémentaires exigées par la crise notamment pour recapitaliser les banques et sauver le système financier.
Cette lutte devenait d’autant plus urgente que de plus en plus d’études ont commencé à montrer l’ampleur de cette évasion pour les multinationales. En effet, une étude récente de l’OCDE a montré que les pratiques des multinationales coûtent entre 120 et 140 milliards de dollars par an soit entre 4 et 10% des recettes fiscales. Par ailleurs, on sait que de grandes entreprises comme McDonald’s ne payent en France que des sommes symboliques. Cette pratique est au cœur de la gestion des grandes entreprises des nouvelles technologies ou celles qu’on appelle les Gafa (Google, Apple, Facebook et Amazon) qui utilisent de manière agressive ces techniques d’optimisation leur permettant de payer de faibles sommes.
Depuis la crise de 2009, les pays du G20 se sont engagés dans un effort coordonné afin de mettre fin à ces législations qui favorisent l’évasion fiscale des grandes entreprises. C’est dans le cadre de l’OCDE que cette réflexion a été menée et qui a permis au G20 de développer ce qu’on appelle le BEPS (Base Erosion and Profit Shifting) ou Projet sur l’érosion de la base fiscale et le transfert des profits. Il s’agit d’un projet porté par trois idées essentielles. La première consiste à obliger les grandes multinationales à payer l’impôt dans les pays où les activités économiques sont réalisées. Ce principe permet de mettre fin aux pratiques de transfert où ce que les experts appellent le « sandwich hollandais » ou le « double irlandais » qui leur permet d’éviter le paiement d’impôt dans les pays à haute fiscalité.
La seconde idée concerne une plus grande transparence dans les activités des grandes entreprises multinationales. Ainsi, les entreprises qui réalisent plus de 750 millions d’euros de chiffres d’affaires doivent détailler leurs activités pays par pays et ces informations seront partagées entre les différents pays et leurs administrations fiscales. Ainsi, les activités des grandes entreprises seront de plus en plus contrôlées et elles seront obligées d’effectuer leur devoir fiscal.
La troisième idée porte sur une plus grande coordination entre les pays afin de mettre fin à la concurrence fiscale que les grandes firmes multinationales ont su utiliser par le passé pour faire pression sur les pays. De ce fait, les accords fiscaux préférentiels entre certaines firmes et les pays ne seront plus conclus dans une grande opacité et seront examinés au cas par cas pour mettre fin aux abus et favoriser ainsi une plus grande coopération fiscale entre les pays.
Ainsi, les pays du G20 disposent aujourd’hui d’une proposition de 17 mesures dans le cadre du « Base Erosion and Profit Shifting » qui vont leur permettre de mettre fin à l’évasion fiscale des grandes multinationales. Certes, les milieux activistes et les associations de la société civile considèrent que ce projet est insuffisant avec notamment le caractère confidentiel des données qui seront à la disposition du projet. Il est également impératif que l’exécution de ce projet soit efficace et suivie par un organisme mondial capable d’assurer la supervision. Il n’empêche qu’un pas a été fait et les multinationales ne pourront plus s’adonner au jeu de l’évasion fiscale dans l’impunité totale.
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