14h35 – Arrivée de la BAT à l’aéroport
A 14h35, le groupe de la BAT arrive au parking (B). Les témoins de leur arrivée sont très étonnés car il n’y a pas longtemps, les agents du GIPP ont déposé la famille de Ben Ali avant de repartir ; or, les hommes de la BAT portent exactement les mêmes combinaisons et cagoules noires.
Tarhouni et cinq de ses hommes entrent dans le commissariat (A). Surpris, des agents de sécurité s’apprêtent à dégainer. Tarhouni, une main en l’air et une main sur son M4, lance : « Les gars, faites attention, ne vous trompez pas d’ennemis, et que personne n’en vienne aux armes, j’ai des instructions d’en haut, les Trabelsi ont pris l’argent, ils vont se tailler du territoire et nous laisser nous entretuer. Le sang de nos concitoyens, de vos familles, va nous arriver aux genoux. »
Même s’ils doutent du fait qu’il y ait vraiment eu des instructions, la tension baisse d’un cran. L’un des hommes, qui craint un coup fourré, attendra que Tarhouni reparte pour appeler le commissaire, Zouheir Bayéti, occupé à négocier avec la police des Frontières le départ de la fille de Ben Ali.
Entre-temps, Tarhouni et ses hommes traversent le commissariat vers le hall (C), où des diplomates sont surpris de les voir arriver, puis continuent vers le salon d’honneur et fouillent les lieux (D).
C’est à ce moment-là que Bayéti arrive en courant avec deux subordonnés et traverse le parking (B) vers le hall. Trois des hommes de la BAT restés dans le parking les rattrapent au niveau du hall : « Mains en l’air, à genoux ! » Les diplomates présents dans le hall s’allongent immédiatement par terre. Bayéti et ses hommes prennent peur et se couchent à terre eux aussi. Les agents se rapprochent pour les fouiller, Bayéti lance : « Je suis un collègue ! » Un des agents reconnaît Bayéti. Les trois agents le mènent à Tarhouni, à qui il demande :
– Samir, que se passe-t-il ?
– Où est la famille, j’ai des instructions d’en haut pour les arrêter.
– Ils viennent de quitter le salon et s’apprêtent à prendre le bus pour rejoindre leur avion.
Tarhouni et ses hommes sortent sur le tarmac où un bus d’embarquement est à l’arrêt, portières ouvertes. Six personnes sont en train d’y monter. Tarhouni crie : « Stop, stop » et tire deux balles en l’air. Deux personnes fuient du côté de la bagagerie. Le premier fuyard, un garçon de 14 ans, neveu de Leila Ben Ali, arrive à s’éclipser du côté des tapis roulants et le second est rattrapé et plaqué à terre. L’agent lui demande son nom. « Sofiane Ben Ali » répond l’individu qui est alors menotté et conduit au salon d’honneur. Tarhouni vérifie rapidement le bus, remarque des enfants et des Asiatiques. Il ne sait pas qu’il s’agit du personnel de la famille Trabelsi. Il ne reconnaît pas non plus ces derniers et les prend pour de simples voyageurs, surtout que les Trabelsi notoires (Belhassen, Moncef, Imed et Moez) ne sont pas là. Persuadé qu’ils ne voyagent qu’en jet et pensant qu’ils sont déjà à bord, Tarhouni appelle sa femme :
– Où sont les jets privés ?
– Il n’y en a qu’un, sur l’aire P3, près du hangar de Tunisavia.
Par précaution, Tarhouni prend en compte la possibilité de leur départ par vol commercial et demande :
– Quels sont les vols commerciaux en partance ?
– Il y a l’Alitalia pour Milan à 15h10, il y a aussi un Tunisair pour Lyon mais suite à un problème à bord, le vol est cloué au sol le temps qu’un autre pilote arrive. »
Tarhouni charge trois de ses hommes d’aller fouiller l’avion d’Alitalia, puis il monte dans le bus vers l’aire des jets. Ils écartent le chauffeur et l’un des agents de la BAT tente de conduire le bus mais n’y parvient pas. Le colonel ordonne alors au chauffeur de reprendre le volant et de les conduire vers le jet. Tout se passe sous le regard inquiet des passagers auxquels l’un des agents interdit l’utilisation du téléphone. Au vu des enfants terrifiés, Tarhouni se retourne régulièrement vers les passagers du bus, qu’il prend pour de simples voyageurs, et leur dit : « Excusez-nous, vous n’avez rien à voir avec notre mission. »
A l’aire P3, près des hangars de Tunisavia, Tarhouni fait arrêter le bus devant le jet pour l’empêcher d’avancer et ses hommes entourent l’appareil. Certains pointent leurs armes sur le pilote. Des gardes de la présidence sont devant l’avion. Tarhouni leur lance :
– Où est la famille ?
Hostiles, ils répondent :
– La fille de Ben Ali, Cyrine, ses deux beaux-frères et leurs enfants sont à bord.
Tenter de la soustraire par la force engendrerait un affrontement armé avec ses gardes du corps or, Tarhouni ne veut pas faire couler le sang. De plus, pour lui, c’est Leila Trabelsi qui mène la barque, donc Cyrine n’est en rien négociable pour Leila. Et puis, il n’a pas de temps à perdre : il sait qu’une trentaine de Trabelsi sont dans les parages.
– Où sont les autres ?
– On ne sait pas, répondent les gardes du corps.
Les agents de Tarhouni chargés du vol d’Alitalia lui apprennent qu’ils n’ont trouvé aucun membre de la famille à bord. Pensant qu’il a été trompé par Bayéti, il dit à ses hommes restés au salon d’honneur de le retenir le temps qu’il arrive.
* * *
Entre-temps, le jet privé décolle et le chauffeur de la fille de Ben Ali, qui a assisté à la scène, appelle Marouane Mabrouk pour l’informer que le problème du timbre a été réglé, que l’avion a décollé mais que l’appareil a été encerclé par des hommes armés et cagoulés qui comptent arrêter des membres de la famille du président. Marouane Mabrouk est choqué. Déjà pour une petite affaire de timbre, Ben Ali avait fait une crise, alors comment lui faire part d’une histoire pareille… ? Il n’ose pas annoncer la nouvelle à son beau-père. Il demande au chauffeur de se rendre au palais de Carthage et de rapporter lui-même tous les détails.
* * *
De retour devant le salon d’honneur, Tarhouni rejoint Bayéti :
– Zouheir, ne joue pas avec le feu et dis-moi où est la famille !
– Mais ! Dans le bus !
Etonné, Tarhouni va lui-même vérifier les papiers. Il réalise qu’il s’agit bien de quelques membres de la famille, principalement des Trabelsi. Mais il manque les grosses têtes. Partiellement soulagé, Tarhouni demande à ses hommes de les accompagner au salon d’honneur.
Agressif, il se tourne vers Bayéti :
– Où sont les autres ? !
Bayéti, hésitant, demande :
– D’où viennent tes instructions ?
– D’en haut, de très haut.
Bayéti répond alors :
– Moncef Trabelsi est caché dans mon bureau…
Tarhouni envoie ses hommes chercher le frère de Leila. Ils le trouvent caché sous le bureau.
A peu près au même moment, le téléphone de Bayéti sonne : c’est Imed Trabelsi. Avant qu’il décroche, Tarhouni lui demande de rassurer Imed, de lui dire de se rendre discrètement au salon d’honneur.
* * *
Accompagné de sa secrétaire particulière, Imed Trabelsi voit les hommes de la BAT, prend peur et fait demi-tour. L’un d’eux, un capitaine, crie : « On est là pour te protéger ! » Imed revient alors en bombant le torse et va jusqu’à le bousculer. Arrivé devant le salon, le capitaine lui demande son passeport puis son téléphone. Abêti, il les lui remet. Le capitaine ouvre alors la porte et le pousse dans le salon. Imed découvre le reste de la famille cerné d’agents cagoulés ! Il réalise alors qu’il est tombé dans un piège.
* * *
Vers 15h00, les officiers qui avaient hésité à se joindre à l’opération de Tarhouni arrivent à l’aéroport accompagnés d’une trentaine d’agents, désormais décidés à participer à ce qui est clairement devenu une mutinerie avec prise d’otage.