Cinq ans après le 14 janvier 2011, un sentiment d’inachevé se dégage oscillant entre espoir et désillusion, optimisme et désenchantement, attentes et contrariétés. L’espoir que la Révolution de la dignité et de la liberté a fait naitre, ce soulèvement mené par une jeunesse aux abois, au bord de la crise de nerf, s’est transformé, année après année, en une grande frustration. Cette révolution qui n’avait ni chefs, ni idéologues, a donné lieu, à la faveur de la grande mutation qu’a connue le pays, à une lutte acharnée pour l’accaparation du pouvoir, à une économie en ruine et à une situation sociale intenable.
L’acquis le plus inestimable est incontestablement le raffermissement du processus démocratique. La construction de l’Etat civil et démocratique et la mise en place des institutions républicaines se sont poursuivies, lentement, non sans difficultés, mais avec assurance.
Au bout de ce laps de temps, deux élections démocratiques ont pu être organisées et une alternance pacifique au pouvoir s’est amorcée. En même temps, des avancées notables sur la voie de la consécration des libertés et des droits ont pu être enregistrées. Néanmoins, un sentiment d’inachevé persiste et il semble que les libertés et les droits, dont s’enorgueillissent les Tunisiens, restent étrangement fragiles. On a la vague impression qu’on assiste à un certain recul et parfois à un retour de la tentation autoritariste.
Plus grave, le débat public reste décalé, avec des partis politiques qui s’entredéchirent tout en demeurant incapables de jouer le rôle qui leur est dévolu en termes d’encadrement de la population et de son orientation. Avec une classe politique peu prompte au dialogue serein, à une participation efficiente au renforcement des assises d’un processus démocratique en butte à de graves défis et à une mobilisation de toutes les énergies pour préserver l’unité du pays, son modèle sociétal et sa sécurité, il est peu loisible de s’attendre de sitôt à de meilleurs lendemains.
Un sentiment d’amertume et d’impuissance également, face à l’amplification du péril terroriste, qui s’est étendu des régions montagneuses de l’ouest aux villes, semant peur, désolation et questionnements lancinants. Un péril auquel on a déclaré la guerre, que tout un chacun savait d’avance qu’elle sera longue et douloureuse, mais que par égoïsme, manque de discernement et un certain déficit de conscience, on s’abstient à lui consentir les sacrifices qu’il faut pour l’extirper de la racine.
Aujourd’hui, le pays est en train de payer le prix fort de ce laxisme et de la désinvolture froissante avec laquelle les premiers gouvernements post révolution ont traité cette menace. En témoigne la chute ininterrompue de l’économie tunisienne aux abysses d’une crise devenue structurelle amplifiée par l’absence d’une vision, la perte de confiance des opérateurs, le dysfonctionnement du secteur productif, de l’aggravation des déséquilibres macroéconomiques et la dévalorisation de la valeur du travail et de l’effort. Faute d’un nouveau modèle de développement alternatif, la Tunisie a fini par perdre ses avantages compétitifs, devenant une destination à risque et dont le nom est constamment associé au terrorisme, à l’insécurité, aux tensions sociales permanentes et aux revendications salariales les plus fantaisistes.
Désenchantement d’une jeunesse, fer de lance de la Révolution, trahie et laissée en marge de tout processus de développement. Faute de signes qui auraient pu être salvateurs pour cette frange importante de la population éprouvée par le chômage, l’exclusion et la précarité, elle a été gagnée par le désespoir devenant la proie facile des semeurs de la mort et des groupes terroristes.
Désenchantement des régions intérieures du pays, longtemps exclues du développement, dont les attentes pour un changement furent vaines et frustrantes.
Malgré ce décor quelque peu sombre, une lueur d’espoir demeure, elle se reflète encore à travers la grande vitalité du corps social. Une société civile aux aguets, se présentant en gardienne des libertés et des droits avec en sus une presse affranchie, malgré les errements de certains médias, et une propension à défendre ces acquis par tous les moyens. C’est là que réside, peut-être, la plus grande chance de la Tunisie.
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