Par Alix Martin
On a toujours quelques jours de libre à la fin de l’année. Faire la fête comme d’habitude ? Faire quelque chose d’inhabituel : fêter la nouvelle année de façon extraordinaire : dans le désert ! Pourra-t-on le refaire, un jour ?
Le départ
En cette fin de décembre 2010, on percevait, à peine, les premiers frissons de la « Révolution des Jeunes ». La preuve : une ministre, une étrangère ne la nommons pas, par charité ! proposait au « tyran » du matériel « antiémeute » ! Le premier de l’an était un samedi et dans la nuit du 2 janvier, la lune était nouvelle : noire !
« En plein délire, en plein vagabondage, chantait naguère M. Sardou, d’accord on prend la route » … Et un groupe d’amis se retrouve à Douz. Ils connaissaient la région, ils étaient déjà venus plusieurs fois. Nous avons rencontré un guide. Il avait des dromadaires en pleine forme. Nous nous sommes entendus avec un loueur de véhicules : un 4×4 tous les deux jours avec un conducteur qui ferait les courses, remplirait les bidons d’eau et nous les apporterait au campement. Cela n’a pris qu’une journée. Lundi, à l’aube, ils ont bâté les dromadaires : des « montures » et des bêtes de somme : portant le matériel de camping, transportant de la nourriture et de l’eau pour deux jours. D’autres pouvaient faire office de roue de secours. Et nous voilà partis, d’abord à dos de dromadaire ; le rythme avait été défini par le guide : une heure de « selle » puis une heure de marche à pied, 20 kilomètres par jour environ, Douz / Timbaïn 70 kilomètres environ ; trois bonnes journées, avec un arrêt éventuel d’une journée au Parc national du Jebel Jbil.
Une journée devait être consacrée à l’arrivée, la mise en place et l’accueil du 4×4 de ravitaillement avec le « matériel de fête » dont un bidon d’eau supplémentaire de 20 litres, pour chacun, pour prendre la douche ! Aucune inquiétude : le guide et le G.P.S. indiquent la « route » à suivre. Les pistes vers Timbaïn et Ksar Ghilane sont parfaitement connues et parcourues – trop même – par de nombreux 4×4. Les « marcheurs » sont obligés de s’en éloigner, un peu, pour cheminer tranquillement !
Cheminer dans le désert
A partir de Douz, on descend d’abord plein sud, vers la petite oasis de Ghelissia puis le petit Chott Maksi, ensuite Chott El Fezazna et jusqu’à Bir Jabeur, on est encore dans la « banlieue » des oasis. On croise des troupeaux de dromadaires sur des pâturages. Il a plu et la végétation est « dense », pour la région. Ce sera la première étape : le balancement du pas des dromadaires met le dos à rude épreuve et nous n’avons pas encore compris on le saura jamais ! pourquoi les pieds du guide se posent sur le sable alors que les nôtres s’y enfoncent presque jusqu’aux chevilles !
Ensuite, on obliquera légèrement au sud-est, pour rejoindre Bir Teriag et arriver au pied du signal du Jebel Berga (145 mètres), au pied duquel existe un Oued Berga. La « route » a été bordée à l’est surtout par des « éminences » connues du guide et dont les noms sont une invitation au voyage : Chouchet El Atrous, Koudiat Touil El Ma.
Ce soir-là, le 4×4 nous rejoint. Nous avons droit à de l’eau fraîche tirée d’une glacière et, à une douche : « délices de Capoue » !
L’étape suivante se terminera au parc national du Jebel Jbil. Il est grandiose, bien qu’à peine aménagé et que les « gardiens » soient assez peu « communicatifs ». Il englobe, sur des milliers d’hectares, des collines escarpées, rongées par l’érosion, des zones, soit de steppes assez « pauvres », soit de dunes et de regs caillouteux. On ne voit que des traces de gazelles, de chacals, de « fennecs ». Les animaux, sauvages sont invisibles.
Dans les steppes, entre les touffes, on distingue les traces de lièvres, celles des serpents : en « S » pour les vipères à cornes, et celles, toutes petites des gerboises qui danseront toutes les nuits autour du campement. Des buissons, s’envolent parfois un moineau blanc, un sirli du désert. Dans les « Mdess » pierreux, les gangas se tapissent, sûrs de leur mimétisme. Il paraît qu’ils rapportent dans les plumes de leur ventre, de l’eau pour abreuver leurs poussins restés au nid. Tous les animaux de cette région doivent vivre sans autres apports d’eau que celui contenu dans leur nourriture et parfois dans la rosée du matin.
On commence à s’habituer à dormir par terre. Nos matelas gonflables, légers : type « randonnée pédestre », sont, paraît-il de l’avis du guide, moins confortables qu’un sillon creusé dans le sable fin, épierré ! Nous sommes bien contents d’avoir des vêtements chauds, un bonnet de laine douce et un gros « duvet » bien confortable : il fait froid la nuit, en hiver, dans le désert. Il paraît qu’il peut y avoir de la gelée blanche sur les pierres, certains matins.
Et, nous voilà partis pour la dernière étape ou peut-être deux : entre le Khechem El Maaguel – nous aimerions savoir quel est cet animal ! – les pointes d’El Guirane et leur 182 mètres d’altitude et les collines de Timbaïn (184 mètres), il n’y a guère qu’une trentaine de kilomètres. Nous n’y camperons pas, craignant l’arrivée de 4×4 bruyants. Nous irons jusqu’au pied du Tebig El Ghedamsi ; des croupes de 200 mètres d’altitude environ, à une dizaine de kilomètres plus loin.
La magie
Est-ce que nous pourrions vous dire l’énorme plaisir de ces journées de marche, silencieuses durant lesquelles on « redescend » en soi-même, ces repas frugaux, ces thés, de nuit, brûlants, toutes ces histoires que les maladresses des langues différentes entrecoupent de grands éclats de rire, ces traces sur le sable qui signalent des vies, impossibles pour nous, parce que sans eau ! Et ces nuits qui tombent tout de suite après le coucher du soleil, et la lumière du matin qui souligne les reliefs ?
La magie de ces espaces « illimités », parce que pratiquement sans repères, pour nous citadins ! Il n’y a plus que le soleil qui indique une direction approximative ! Finies les routes balisées, à vitesse limitée, à sens obligatoire !
La magie d’imprimer, sur le sable « vierge », la trace de ses pieds, avec l’impression d’être le premier à fouler ce sol ! Cette impression de « naviguer » sur une mer immobile soulevée par une houle de dunes bien plus hautes que toutes les vagues connues.
Nous voudrions aussi vous dire les nuits ; un ciel immense, des myriades d’étoiles, des constellations magnifiques. Nous sommes très au sud : Orion avec Betelgeuse, l’œil du Taureau : Aldebaran (arabe), Capella du Cocher, Sirius du Grand Chien, Arcturus du Bouvier, toutes sont des dizaines de fois plus grosses que notre soleil ! Parfois le désert « chante » : les grains de sable, poussés par la brise, glissent les uns sur les autres. Des milliards de menus crissements engendrent une rumeur étrange qui crée, autour du maigre feu de camp, dont les flammes font danser les ombres, une ambiance fantastique. Une fois passée la première dune, bordant le campement, on est tout seul dans la nuit. Il ne fait pas « noir », il fait « nuit ». Le ciel est un velours bleu sombre.
Le blatèrement d’un dromadaire, le glapissement d’un chacal ou la toux du voisin nous ramène sur terre. Cette année, hélas, on ne pourra pas le refaire mais que diriez-vous d’un réveillon, vers Tataouine, dans les Ksour du sud ? Si la lune est pleine, sa clarté fera revivre les Ghorfas écroulées. Venez voir ! Là-bas aussi ce sera magique. Il y a même des gîtes aménagés à Douiret et à Chénini pour les gens douillets !