L’adoption de la loi sur la justice transitionnelle visant à mettre en place des mécanismes d’indemnisation des victimes d’atteintes aux Droits de l’Homme commises lors des régimes de Bourguiba et de Ben Ali, attendue depuis trois ans, fait polémique. Et cette polémique a un nom : le Fonds Alkrama.
Toutes les révolutions survenues dans le monde ont connu la justice transitionnelle. Elle a pour mission de reconnaître les torts et de dédommager ceux qui ont souffert des anciens régimes. La Tunisie ne déroge pas à la règle et a mis en place sa propre justice transitionnelle tout en s’appuyant sur des expériences similaires. Ce qui fait l’exception de la Tunisie c’est la création du Fonds Alkrarama. Il s’agit de la loi 41 qui préconise la création d’un fonds de la dignité pour l’indemnisation et la réhabilitation des victimes de la dictature. Une exception contestée par l’opposition, par des économistes, par des défenseurs des Droits de l’Homme et également par le citoyen lambda. Le seul fonds créé dans ce cadre l’a été au niveau de l’ONU. Il s’agit d’un Fonds de compensation créé en 1991 et destiné à réparer les dommages dans le cadre de plaintes individuelles, de sociétés du secteur privé, de gouvernements et d’organisations internationales.
En Tunisie, outre le fait que l’adoption de la création de ce fonds a été votée à une heure tardive et à une majorité de 87 voix seulement — , 13 voix contre et 19 abstentions, sachant que l’opposition était presque absente —, la polémique porte autant sur le fond que sur la forme. L’ambiguïté apparait aussi dans le principe ainsi que dans les modalités d’application et de financement. Le problème touche même à la souveraineté du pays. Bien que le gouvernement n’ait pas affecté le moindre millime à ce fonds, du moins pour l’instant, il est cependant inclus dans la loi des Finances 2014, puisque la loi organique du budget stipule dans son article 19 que «les fonds spéciaux du Trésor sont créés et supprimés par la loi des Finances». Cela dépendra donc du prochain gouvernement qui décidera de consacrer ou pas de l’argent à ce fonds. Si le gouvernement n’est pas amené à financer ce fonds, quels en seront alors les moyens de financement ? Selon le ministère des Droits de l’Homme et de la Justice transitionnelle, le Fonds Alkarama sera alimenté par des aides et des dons internationaux et tunisiens. Donc pour alimenter ce fonds la Tunisie sera amenée à activer sa politique internationale afin de drainer des aides internationales. La notoriété gagnée par la Tunisie grâce à la Révolution ne sera pas déployée pour attirer des IDE ou des financements et réaliser des projets socioéconomiques bénéfiques à la compétitivité du pays à l’échelle internationale, mais pour mendier. Et c’est là où la question de la souveraineté du pays se trouve mise en péril. Reste de plus le problème de l’origine des financements. L’argent issu ou dédié au terrorisme, pourrait passer subtilement dans ce fonds, comme c’est le cas actuellement pour certaines associations. D’autres réflexions vont plus loin. Que donnera le gouvernement en contrepartie de certains dons ? Certaines entreprises ou pays riches peuvent demander des avantages ou contreparties économiques. Selon le ministère des Droits de l’Homme et de la Justice transitionnelle, les modalités de financement de ce fonds reviennent au ministère des Finances. C’est donc à lui de fixer une réglementation solide, empêchant toute corruption. Mais il faut noter que même si la loi sur la création de ce fonds a été adoptée par l’ANC, les prochains gouvernements pourront l’annuler. Selon M. Chokri Ben Amara, universitaire et spécialiste en matière de justice transitionnelle, cela pourrait susciter des protestations et des réactions de la part de ceux qui soutiennent ce projet. Le parti Ennahdha, initiateur de ce projet, a voulu récompenser sa base du travail effectué durant toutes les années écoulées.
N.J