Avec l’achèvement de l’année 2013 qui, sans être catastrophique, a été celle de l’incertitude et des doutes, c’est l’heure du bilan. Tandis que la saison des salons européens du tourisme vient de s’ouvrir, il est temps de s’interroger sur les contours et les perspectives d’avenir du tourisme tunisien à moyen terme.
Il convient de ne plus continuer à se préoccuper seulement d’essayer de sauver les saisons, les unes après les autres, avec des mesures d’urgence et des dispositions ponctuelles.
Des réformes et des actions à long terme s’imposent pour relancer le tourisme tunisien. En attendant, quelles sont les prévisions pour 2014 ?
Amélioration des indicateurs touristiques en 2013
Le millésime 2013 du tourisme tunisien a été qualifié d’encourageant si l’on tient compte des évènements d’ordre sécuritaire et politique ayant perturbé le pays au cours de l’année écoulée et qui ont troublé la perception de la destination des opérateurs touristiques sur les marchés émetteurs de touristes.
Ces indicateurs sont en amélioration par rapport à ceux de 2011 et 2012, mais nous restons encore en deçà des résultats de 2010, bien que ces derniers ne soient des performances absolues.
En effet, avec plus de 6,268 millions de visiteurs, l’augmentation par rapport à 2012 est de 5,3%, mais le chiffre est inférieur de 9,2% à celui de 2010. Ainsi, la désaffection de la clientèle touristique vis-à-vis de la destination tunisienne consécutive aux évènements qui ont suivi le déclenchement de la Révolution non seulement se poursuit, mais se complique à cause des rebondissements provoqués par certains évènements, et ce, en dépit des efforts des professionnels tunisiens du secteur et des actions de communication entreprises par l’ONTT pour rassurer les tours opérateurs et l’opinion publique en Europe.
En effet, deux assassinats politiques, des actions terroristes dans le djebel Chaambi et d’autres avortées à Sousse et à Monastir, la multiplication des sit-in et des grèves largement médiatisés, notamment en France, ne laissent pas indifférents les éventuels touristes.
Les recettes en devises se sont élevées à 3229 MD, soit une croissance de 1,7% par rapport à 2012, mais en régression sensible par rapport à 2010 : 8,3%. Cependant il faudrait relativiser les chiffres pour tenir compte de la décote du dinar par rapport à l’euro, car la recette en euros n’a pas dépassé 1.400 M d’euros.
Pour ce qui est du nombre de nuitées en 2013 le chiffre est de 29,981 M soit 0,2% seulement de plus qu’en 2012, mais inférieur de 15,7% à 2010.
Mais la comparaison avec 2011 est cependant remarquable : +45%. Cela montre que le tourisme tunisien revient de très loin, il y a eu entre-temps beaucoup de travail accompli par les responsables du secteur. En 2010 il y a eu 35,566 millions de nuitées.
Régression du marché européen
On sait que notre traditionnel marché émetteur de touristes est le marché européen. Or celui-ci est en régression. En effet en 2013, 2,900 millions de touristes européens ont visité notre pays contre 3 millions en 2012 et 3,814 en 2010.
Ainsi, la baisse par rapport à 2010 est de 24%, ce qui est beaucoup (presque le quart) alors qu’elle est de 2% seulement par rapport à 2012.
Notre tourisme a donc perdu une partie de son réservoir de touristes européens. Après de multiples efforts, il a eu récupération, mais seulement de certains marchés.
Priorité à la reconquête du marché français
En 2012, la France était le premier marché, avec 985.000 visiteurs, mais les évènements survenus dans notre pays ont engendré en 2013 une baisse sensible, soit 22% par rapport à 2012 et elle a été de 45% par rapport à 2010.
En somme, nous avons perdu depuis 2010 près de la moitié de notre marché principal : de 1,285 million de visiteurs nous sommes passés à 767.000, une hécatombe lourde de conséquences sur les recettes, le taux d’occupation (rentabilité des hôtels) et le transport aérien.
Ainsi, 700.000 Français ont préféré d’autres destinations, et ce, malgré les efforts conjugués de l’ONTT, des professionnels, des tours opérateurs et des agences de voyage, sans négliger la “compréhension des autorités diplomatiques françaises” qui ont tempéré la qualification et l’évaluation du risque concernant la Tunisie sur leurs sites Web à l’intention des Français qui partent à l’étranger. Il y a encore beaucoup à faire en matière de promotion de l’image pour amorcer le redressement du marché français : diffusion de reportages sur les chaînes de télévision françaises, évènements festifs organisés en Tunisie et retransmis en direct, invitations d’agents de voyages et de leaders d’opinion…
Parmi les autres marchés en baisse, le marché suisse a perdu 10% seulement en 2013 par rapport à 2012, mais la baisse est nettement plus importante par rapport à 2010, soit 44%. Cela signifie que la tâche sera très lourde pour récupérer la clientèle suisse.
Pour le marché espagnol, la régression a porté sur 20% en 2013 par rapport à 2012, mais 71% par rapport à 2010. Cela signifie que tout reste à faire pour reconquérir ce marché d’autant plus que plusieurs grandes enseignes du voyage et de l’hôtellerie espagnoles comme Iberotel ont investi dans l’hôtellerie tunisienne.
Les marchés allemand et anglais passent à la vitesse supérieure
Le marché allemand a enregistré des signaux positifs en 2013 avec une croissance de 24% en matière d’entrées de touristes, passant de 311.000 à 425.000 visiteurs par rapport à 2012.
De son côté, le marché anglais a progressé de 25% par rapport à 2012 et 16% par rapport à 2010. Les entrées 2013 étaient de l’ordre de 409.000 touristes.
Développer davantage le tourisme intérieur et maghrébin
Le marché maghrébin représente en fait 62% des entrées de non-résidentiels. Fort heureusement il a progressé de 14% en 2013 et a contribué fortement à compenser la désaffection des touristes européens. Le chiffre de visiteurs est passé de 2.843.000 en 2012 à 3.2440.000 en 2013 (au 20 décembre.)
Il s’agit de nos voisins libyens et algériens qui viennent en masse, les uns pour se réfugier des évènements sécuritaires et se soigner, privilégiant plutôt la location de logements et les longs séjours, alors que les autres, venant en vacances pour le shopping préfèrent l’hôtel et privilégient les courts séjours.
Il n’est pas logique d’avoir un secteur touristique sain et prospère sans pouvoir disposer d’un tourisme intérieur développé et solide.
Or avec 7% des nuitées localisées durant les vacances scolaires ou les fêtes, on ne peut pas dire que nous avons un tourisme intérieur majeur, alors que le Tunisien est dépensier et qu’il n’est pas sensible à la crise.
Il faudrait une stratégie de développement du tourisme intérieur fondé sur des tarifs étudiés, des catalogues et une campagne de communication forte, une organisation du transport par les agences de voyage et une adaptation des modes d’hébergement correspondant aux attentes du Tunisien.
Tous les grands pays touristiques comme la France, l’Espagne ou l’Italie peuvent compter sur un secteur touristique intérieur prospère et solide qui compense la baisse de fréquentation des étrangers en période de crise.
2014 : l’année des incertitudes
Le mois de décembre 2013 n’a pas été satisfaisant pour les hôteliers, car i l a connu une régression des entrées par rapport à 2012 à cause des déclarations maladroites de certains responsables politiques relatives à d’éventuels attentats terroristes lors des fêtes de fin d’année. Les échos rapportés, notamment par des médias français, ont eu l’effet néfaste que l’on connaît en pareilles circonstances : détournement de la clientèle sur d’autres destinations mieux sécurisées, et ce même s’il n’y a eu finalement aucun incident dans notre pays à déplorer lors de cette période. Pour 2014, les professionnels et l’administration du tourisme doivent s’employer lors des différents salons touristiques qui vont se succéder durant le premier trimestre, à rassurer aussi bien le public européen que les principaux tour-opérateurs sur la stabilité politique et la sécurité du pays.
Il faut dire que plusieurs évènements politiques qui ont lieu actuellement sont considérés comme favorables à une amélioration sensible de la situation. Il s’agit de la démission du gouvernement de la Troïka, de la prise des rênes du pouvoir par un gouvernement neutre composé de compétences, de l’adoption imminente de la Constitution et de la future fixation de la date des élections.
La perception favorable de ces événements par l’opinion publique européenne ne manquera pas d’avoir un impact positif sur la fréquentation touristique de notre pays. Du moins faut-il l’espérer.
Toujours est-il que nous devons rester vigilants sur la gestion du phénomène terroriste et sur le bon déroulement des élections.
Opération sauvetage du tourisme saharien
2014 devrait être l’année de la relance du tourisme saharien dont la situation s’est dégradée de façon sensible depuis le déclenchement de la Révolution. Les avantages du tourisme saharien étant très nombreux.
Tout d’abord la diversification du produit touristique tunisien dominé par le balnéaire, ensuite la modération de la saisonnalité, car le produit saharien est surtout un produit hivernal et printanier.
Il faut dire que le tourisme saharien souffre de plusieurs difficultés, dont la baisse de la fréquentation, d’où la perte d’un chiffre d’affaires de 25 MD par an soit 75 millions en trois ans, ce qui a engendré la fermeture de dix-neuf hôtels sur les trente-cinq existants et donc la perte de 1.500 emplois directs soit 50% des emplois hôteliers.
Les répercussions sur le secteur de l’artisanat, du commerce et des services sont considérables. Le plan d’action arrêté par l’ONTT comporte la relance du transport aérien, que ce soit les liaisons quotidiennes avec Tunis ou les vols directs bihebdomadaires sur les capitales européennes. Il y a également la réouverture de Dar Cheraïet, musée original, qui constitue un centre d’intérêt culturel évident pour la ville de Tozeur. Il y a également l’aide financière pour la réouverture des hôtels en difficulté, le nettoyage de l’oasis et des villes sahariennes. Mais aussi une campagne de communication spécifique en Europe pour mieux faire connaître et valoriser le tourisme saharien.
Il a aussi été décidé la construction d’un centre de congrès conforme aux normes internationales, sur un terrain de 5 hectares, pour faire de Tozeur une ville de congrès.
Ridha Lahmar
Mutations qualitatives de la clientèle touristique
Les clientèles touristiques diffèrent, leurs attentes et leurs exigences évoluent, le mode de vie en vacances des Allemands est différent des Français, le niveau de vie et le budget réservés aux vacances changent d’une clientèle à l’autre.
Les Maghrébins prennent leurs vacances en famille au sens large du terme, tandis que les Européens viennent en couple ou seuls. Certaines nationalités se contentent du forfait demi-pension alors que d’autres sont dépensières et préfèrent dîner à la carte et être servies à table plutôt que le self-service standard.
Il y a des clients disciplinés et assidus aux heures de repas alors que d’autres prennent leurs repas à toute heure du jour et de la nuit.