Cette semaine a été principalement marquée par les commémorations du meurtre de Chokri Belaid. En toile de fond, la mort de son présumé assassin Kamel Gadhgadhi lors de l’assaut de son « repère » le 4 février dernier. L’action du ministère de l’Intérieur a, toutefois, laissé un goût amer, car justice n’est pas rendue tant que les noms des commanditaires de ce meurtre ne sont toujours pas dévoilés. Des cérémonies en demi-teinte, entre émotion et amertume.
Le 4 février, le bruit court qu’une opération antiterroriste de grande envergure est lancée dans le quartier de Raoued. Les médias sont à première vue tenus à l’écart, mais, à la veille du lancement des commémorations à l’endroit même de la mort de Chokri Belaid à El Menzah, difficile de ne pas suivre en direct les événements. Le lendemain, le ministère de l’Intérieur annonce le nom des sept suspects tués, dont celui de l’assassin présumé de Chokri Belaid, Kamel Gadhgadhi. Dans sa conférence de presse, Ben Jeddou déclare qu’il s’agit là du « plus beau cadeau qu’on puisse faire aux Tunisiens au premier anniversaire de l’assassinat ».
Abdelmajid Belaïd, le frère de Chokri , confie à l’AFP : « Ce cadeau, il peut le garder, on le lui rend. Tuer un homme n’est pas un cadeau. Un cadavre n’est pas un cadeau. […] Nous ne voulions pas qu’il soit tué, et sa mort ne nous réjouit absolument pas. Il s’agit d’un citoyen tunisien même si c’était un terroriste, et nous voulions qu’il soit jugé équitablement ». Au fil des commémorations, les proches, comme les anonymes, témoigneront de leur amertume.
Tous les soirs, à El Menzah, il y a la veillée avec son parterre de photos, de dessins, éclairés de bougies. Une affiche surplombe l’espace où il est inscrit la question Qui a tué Chokri ? Il y a peu de monde, mais ceux qui sont là viennent honorer sa mémoire avec simplicité.
Le 6 février au matin, quelque 200 personnes étaient là, l’émotion était forte. Puis vient la conférence de presse. Besma Khalfaoui Belaid clame en réponse à l’assaut de Raoued « On ne veut pas la vengeance, on veut la justice ». Le collectif d’avocats compte porter cette affaire devant la Commission africaine des droits de l’Homme et souhaite « la désignation d’un rapporteur spécial onusien pour le meurtre de Belaid », précise Anouar Bassi. Meurtre qu’il qualifie de « crime d’État ». L’affaire n’est pas close, car comme le dit Basma Khalfaoui, « la vérité n’a pas été dévoilée ».
Trois jours durant lesquels l’avenue Bourguiba accueille un écran géant sur lequel est diffusé en continu un court métrage. On y voit la dernière apparition télévisuelle du martyr, on entend ses discours les plus forts illustrés de ses plus célèbres portraits. Et des témoignages qui rappellent les violences policières sur l’Avenue qui ont suivi l’assassinat. Derrière l’écran, des tentes accueillent des animations. Devant l’une d’elles défilent ceux qui souhaitent signer un registre de la mémoire et de nombreux stands avec badges, affiches, cadres, t-shirts à l’effigie du martyr. Un peu plus loin, 4 camions sont installés de part et d’autre du terre-plein pour l’initiative. Le sang de Chokri est le mien, et accueillent hommes et femmes qui souhaitent participer à une collecte de sang qu’a tenu à organiser Basma Khalfoui.
C’est le dernier jour qui rassemble probablement le plus de monde. Militants, citoyens, personnalités et anonymes, parfois venus des régions, ont convergé vers le cimetière El Jellaz samedi 8 février. Au carré des martyrs, on récite la Fatiha. Les gerbes de fleurs sont déposées et les slogans reprennent accompagnant le cortège de manifestants vers l’avenue Bourguiba.
Bilel a participé à tous les évènements, et pour lui, c’est ce jour-là « le moment le plus important. Parce que les gens sont sincèrement tristes. Ils ont le sentiment d’avoir perdu Chokri Belaid ».
Sur la scène centrale de l’Avenue, le discours conjoint de Besma Khalfaoui et M’barka Brahmi et les prises de paroles d’autres veuves de martyrs clôtureront ces trois jours. «C’est une journée de révolte pour dire non à la violence, non au terrorisme. On refuse que la Tunisie soit une terre de terroristes ». Il reste là le même désir de vérité, de justice, les mêmes inquiétudes d’être oubliées, que la mort de leurs maris reste vaine. Basma Khalfaoui le dit simplement : « Le sang coule toujours de part et d’autre. Je n’ai pas envie qu’il y ait du sang ni de ce côté, ni de l’autre ».
Marieau Palacio