Décevante, la dernière interview télévisée du Président Béji Caïd Essebsi. A peine deux mots sur les volets économique et culturel? C’est dire que personne n’a compris les enjeux qui nous attendent. Comme si a priori, le président de la République veut se décharger de ces deux dossiers et les léguer à Chahed, alors que c’est à lui de donner le la de la politique à suivre.
Commençons tout d’abord par la forme : Je pense que cette interview en toute franchise a été mal préparée et j’y reviendrai en abordant les questions choisies, mais déjà, je remarque que Zied Krichen est tombé dans le panneau en succombant à l’appel des sirènes et aux manœuvres de flatterie de BCE qui a si bien exploité ses connaissances des fables de La Fontaine (1) Et cela se voyait sur son visage béat et épanoui. Béji a ainsi appuyé sur la corde sensible de l’intervieweur. Quant à Meriem Belkadhi, elle a été placée en hors -jeu par Béji qui ne s’y intéressait pas réellement et axait sur les pseudo-connaissances de Zied en matière de civilisation islamique. Elle-même n’était pas combattive et laissait l’initiative à Krichen qui poursuivait dans la marge étroite que lui offrait BCE et dans lequel il le supplantait à fond. Et d’ailleurs il lui avait dit puisqu’il l’avait informé qu’il l’avait choisi pour cette interview. Il jouait donc en apparence franc jeu (sic) !
Poursuivons par le volet politique sur lequel je ne m’étendrai pas en abordant deux points uniquement :
D’abord, quelle différence sur le plan constitutionnel d’être un chef de parti ou d’être président de la République. Béji semble faire la différence pour justifier son abstention de condamner le jugement innocentant les accusés du meurtre de Lotfi Nagdh. Or cette distinction est ridicule. Avant d’être président de la République, il est un citoyen tunisien qui détient des informations incriminant les accusés comme il l’a déclaré dans l’interview et à ce titre, il doit mettre ces informations à la disposition de la justice et à celle de toute personne ayant intérêt pour agir sur le plan de ses intérêts civils. Bien plus, dans le cadre de la procédure inquisitoire en matière pénale, le Ministère Public peut lui réclamer de tels documents ou éléments probatoires, s’il n’en dispose pas pour les joindre au dossier. Un juge peut même lui demander de comparaître en tant que témoin à charge ou à décharge s’il le souhaite. Cette question n’a rien à voir avec la séparation des pouvoirs et la charge présidentielle.
Et là, il est étonnant que les journalistes qui l’ont interviewé n’aient pas évoqué ce point.
Seconde question occultée de manière surprenante : Les affaires Brahmi Et Belaïd. Sur la même base que précédemment, Béji peut intervenir. En tout cas, il aurait dû être interrogé sur ces affaires.
Maintenant sur le plan des questions économique et culturelle, des défaillances notoires sont constatées dans les choix des questions des journalistes.
Un président de la République ne peut quand même pas répondre en deux mots sur le dossier économique et culturel. Au moins parler des grands axes: sur le dossier économique par exemple ajouter les exportations au menu en associant le succès des investissements à celui des exportations (qui patinent), organiser par exemple au niveau régional et national des colloques et journées de réflexion sur les facteurs de relance des investissements et des exportations (après le constat du recul du classement de la Tunisie à Davos et à celui de la Banque mondiale).
BCE a vaguement parlé du prochain colloque Tunisia 2020 qui doit intervenir les 29 et 30 novembre prochains. En fait cette manifestation est actuellement très mal médiatisée. Le site du ministère du Développement d’investissement et de la coopération internationale n’en fait pas état.. Certes, le MDICI possède sa propre base de données, mais comment les consultants non répertoriés peuvent-ils y participer ?
D’ailleurs, ce colloque ne résout pas tout. Les décrets d’application du nouveau code des investissements ne sont pas encore parus (ils le seront paraît-il avant la fin de l’année, mais après le colloque en tout cas).
Par ailleurs il faut constater que les facteurs de compétitivité du site Tunisie ne se circonscrivent pas à celui de la main d’œuvre et à la proximité de l’Europe. Le climat de stabilité politique fait encore défaut alors que la modernisation future des infrastructures à l’échelle régionale est d’un grand intérêt.
Au niveau culturel c’est la stratégie qui est en jeu qui importe et non le succès ou l’échec des JCC –microcosme dans l’édifice- . On aurait pu poser à BCE des questions sur le plurilinguisme, la relance de la francophonie comme on a fait au Maroc, la relance du secteur cinématographique et l’accélération de notre niveau de veille concurrentielle au niveau maghrébin et africain (nous situer par rapport aux grands pays émergents d’Afrique comme l’Afrique du Sud et le Maroc). Chez nous, c’est des Think tanks spécialisés qu’il nous faut comme on le fait ailleurs.
Enfin où en est le partenariat public –privé dans le secteur culturel ? Pourquoi les sites domaniaux ne sont pas exploités pour favoriser ce type de partenariat….Beaucoup de questions en suspens qui laissent tout le monde sur sa faim et c’est dommage.
Donc en fin de compte, nos journalistes ne sont pas à niveau et toujours concentrés sur les divergences politiques car ils ne connaissent pas autre chose.
Bien plus grave : s’il s’avère que cette interview sonne comme un discours et que la censure vient d’en haut nous ne sommes pas sortis de l’auberge car il ne fait aucun doute que comme le dit le proverbe « Si tu ne vas pas à la montagne, c’est la montagne qui viendra à toi ». Dans l’étape poste-révolution, c’est « la montagne » ou le sommet qui doit en effet aller vers la base, à savoir les journalistes et par son biais, le citoyen.
Or il se trouve que cette interview est bien maigre et tardive par rapport à ce que l’Etat doit faire en matière de communication et en restant le plus souvent retranché dans ses appartements, le Chef de l’Etat n’exploite pas suffisamment ses capacités de persuasion et en particulier ses qualités de tribun-né.
*Conseiller en exportation