« Tout porte à croire que ce sont des services étrangers qui ont commandité l’assassinat de Mohamed Zouari, sans qu’aucune preuve ne vienne encore confirmer cette hypothèse », a affirmé Hédi Mejdoub, ministre de l’intérieur dans une conférence de presse tenue en début de soirée.
« Nous avons pris le risque de tenir cette conférence », a précisé le ministre, compte tenu de la complexité de l’affaire et du déroulement de l’enquête. Ce qui a imposé aux autorités de ne pas s’adresser aux médias avant aujourd’hui » a tenu à souligner le ministre. Pas de grandes nouveautés par rapport à ce qui avait été relayé par les médias, hormis des détails sur la suspecte tunisienne revenue de la Hongrie et sur le profil des personnes impliquées. Sans oublier le profil du journaliste étranger qui fait couler beaucoup d’encre.
« Il existe de nombreuses questions sur lesquelles nous ne pouvons communiquer, compte tenu de la complexité du sujet », a commenté Hédi Mejdoub lors de la conférence de presse tenue au siège du ministère de l’Intérieur lundi 19 décembre 2016. Il est revenu sur le « silence » dont ont été accusées les autorités tunisiennes, réaffirmant, une fois encore, la gravité de la situation et évoquant le bon déroulement de l’enquête.
Après avoir rappelé le profil de Mohamed Zouari, Hédi Mejdoub a axé son intervention sur l’assassinat de l’ingénieur tunisien. Selon le ministre, l’assassinat a été planifié depuis juin 2016.
Le ministre a déclaré que les planificateurs du crime avaient mis en place deux plans. Tout partait d’un site de recrutement soigneusement construit. A travers ce dernier, deux individus de nationalités étrangères ont tenté de « recruter » trois tunisiens : deux hommes et une femme.
Un plan A, impliquant la jeune femme
La jeune femme surfait sur la toile lorsqu’elle avait découvert, par hasard, le site qui proposait une offre d’emploi alléchante sur le plan financier. L’offre consistait à lancer un projet pour le compte d’une société du nom de TVA, spécialisée dans la production de films documentaires sur six pays arabes, dont, bien entendu, la Tunisie. La jeune femme a donc contacté les annonceurs, dont l’un est d’origine arabe, et a postulé. Aussitôt chose faite, elle a été rappelée, en août 2016, par ces derniers, qui sont, en fait les deux étrangers. La nouvelle recrue a, dans ce cadre, passé des tests à Vienne, lors d’un voyage dont toute les dépenses avaient été prises en charge par les deux étrangers.
Par la suite, ceux-ci ont poussé la jeune femme, actuellement entre les mains de la sécurité nationale, à demander à deux hommes tunisiens de louer deux véhicules, dans le cadre d’une couverture médiatique à Sfax. Le 6 septembre 2016, la suspecte s’était à nouveau déplacée à Vienne, à la demande des deux présumés recruteurs. C’est là qu’ils lui avaient demandé de produire un documentaire sur Mohamed Zouari. Ainsi, ils lui avaient proposé une rémunération de 100€ par jour. Chose qu’elle avait acceptée. Il a fallu attendre octobre 2016 pour qu’elle puisse réaliser, enfin, l’interview avec Mohamed Zouari.
D’autre part, la suspecte a avoué aux unités sécuritaires que l’étranger d’origine arabe lui avait demandé de laisser les voitures louées, une fois acquises, dans des endroits spécifiques. Il l’a, ensuite, exhortée à partir en Autriche.
Hédi Mejdoub précisera, dans ce contexte que la femme en question se trouvait à Budapest au moment du crime et les autorités tunisiennes l’ont sommée de revenir en Tunisie par crainte pour sa propres sécurité.
Par ailleurs l’audition de la femme a permis de savoir que le crime était planifié depuis longtemps.
« Cette fille a d’ailleurs eu un contact direct avec la victime, dans le cadre d’un reportage qu’on lui a demandé de réaliser et pour lequel elle a été payée 2000 euros, en plus des frais au mois de septembre » a précisé le ministre.
« Sur la scène de crime les équipes scientifiques ont pu établir que la victime a été abattue par balles et touchée au niveau de la tête et du torse. Nous avons trouvé 5 douilles de 9mm, près de la voiture. Lors des premières minutes qui ont suivi le crime, nous avons trouvé une première voiture abandonnées de type Renault trafic avec du sang sur la portière du conducteur et contenant 3 douilles et 2 armes CZ 9mm équipées de silencieux. Ces armes étaient couvertes d’un liquide visqueux dont nous ignorons encore la composition et que nous pensons avoir été utilisé pour masquer des empreintes. La seconde voiture, une Kia Piccanto, retrouvée plus tard, contenait quant à elle deux téléphones portables avec des puces tunisiennes au nom d’une troisième personne, un tunisien », a-t-il expliqué
Un plan B comparable au A, mais qui a échoué
Les deux étrangers avaient, comme souligné plus haut, élaboré un autre plan, destiné à recruter deux autres tunisiens via le même site qui a été mis en place à cet effet. Néanmoins, ce plan B a échoué. Il consistait, également, à recruter pour le lancement d’un projet, mais avec des voitures achetées cette fois-ci. Les mêmes exigences ont été formulées concernant les deux véhicules, il fallait les laisser quelques parts, loin des regards. Chose qui avait mis la puce à l’oreille à l’un des tunisiens, qui avait donc refusé l’offre des étrangers.
Les deux « chefs d’orchestre » du crime ont fini, selon le ministre de l’Intérieur, par opter pour le plan A, impliquant la jeune femme et les voitures louées. « Le crime a été soigneusement préparé en dehors du territoire tunisien. Les informations récemment relayées laissent entrevoir l’implication d’un organisme étranger dans le crime », a déclaré Hédi Mejdoub, ajoutant, néanmoins, que le ministère ne dispose d’aucune preuve à ce sujet, et que la prudence est de mise. « À l’heure actuelle, dix personnes ont été arrêtées dans le cadre de cette affaire », a-t-il encore précisé.
Qui est le journaliste étranger ?
Autre élément qui suscite encore des interrogations : le journaliste étranger qui s’était exprimé sur la chaîne israélienne Channel 10. « Il n’est pas reconnu en Tunisie », a souligné Hédi Mejdoub. Moav Vardi, nom de ce dernier, est de nationalité allemande, apprend-on. Il a débarqué à l’aéroport de Tunis-Carthage samedi 17 décembre dernier, vers 11h, empruntant le vol Rome-Tunis. Par la suite, il s’est rendu à Sfax le même jour, accompagné de six tunisiens. Ces derniers sont actuellement en détention.
Selon le ministre, les premiers éléments de l’enquête stipulent que Moav Vardi a mené une enquête sur les lieux du crime après l’assassinat, se présentant, tantôt en tant que journaliste de la BBC, tantôt en tant que journaliste pour la chaîne allemande ZDF. Une fois de retour à Tunis, il avait loué une chambre d’hôtel, qu’il avait quittée le lendemain à 7h. C’est là qu’il avait commencé à filmer, en direct, les environs de l’avenue Habib Bourguiba, non loin du ministère de l’Intérieur.
Des zones d’ombre persistent
Les détails qui ont été fournis par le ministre de l’Intérieur sont précieux, mais comme précisé plus haut, il en reste encore et l’institution les a délibérément dissimulés pour le bon déroulement de l’enquête. Néanmoins, de nombreuses questions se posent encore sur le sujet, et notamment sur l’affaire du journaliste étranger. Comment se fait-il qu’il a pu filmer l’avenue Habib Bourguiba aussi librement, et surtout près du ministère de l’Intérieur ? Un citoyen lambda tunisien aurait sans doute été interrogé sur le champ. Sur ce fait, Hédi Mejdoub a également exprimé son incompréhension, disant que c’était un fait inadmissible.
Ensuite, se pose la question de l’efficacité des services de renseignements tunisiens. Leurs réussites sont indéniables ces temps-ci, il n’y a pas à dire. Néanmoins, comment ont-ils pu passer à côté d’un crime aussi atroce et dont les enjeux sont grands, et qui, en plus, se préparait, en douceur, depuis juin dernier ? Là encore, le ministre de l’Intérieur a encaissé le coup, défendant, tout de même, l’efficacité de l’appareil sécuritaire et des renseignements en Tunisie. « Regardons ce qui se passe en Turquie et comparons avec la Tunisie », a-t-il répondu.
L’autre point brûlant, qui a été balayé d’un revers de main par Hédi Mejdoub : la violation de la souveraineté de la Tunisie. Le crime a visé un tunisien, sur le territoire national, et il a été orchestré, semble-t-il, par des parties étrangères. Comment peut-on qualifier cela, si ce n’est pas de la violation de la souveraineté nationale ? Dans tous les cas, l’enquête se poursuit et il faut s’attendre à de nouveaux rebondissements.
M.F.K