La conjoncture socio-économique est dominée au bout de trois trimestres par les déséquilibres financiers macro-économiques, que ce soit au niveau du Budget de l’État, des difficultés au niveau des liquidités bancaires, ou encore des déficits croissants des autres indicateurs comme le commerce extérieur et la balance des paiements. Analyse
Il faut dire que la structure même du Budget de l’État recèle en elle-même les ingrédients du blocage du processus de croissance du PIB.
En effet, recrutements massifs dans la fonction publique et augmentations salariales ont alourdi la part dédiée aux salaires soit 40% du Budget. 20% sont réservés à la caisse de compensation et 20% au service de la dette.
Le Budget de l’État soutient les entreprises publiques en leur versant des subventions d’équilibre destinées à combler les déficits mais aussi à financer leurs investissements.
Dans ces conditions il ne peut être question de booster la croissance du PIB, car la part réservée aux investissements publics est réduite or l’État est tenu de donner des signaux forts à l’intention de secteur privé, —infrastructures de base, grands projets—, supposé créer des emplois en investissant dans les projets économiques, ce qui est loin d’être le cas en ce moment.
Déséquilibre et impasse budgétaires
Le déficit budgétaire atteindra en fin d’année 2013 le taux de 20%, suite aux dérapages du budget de la Caisse de compensation qui est passé de 4,2 MD à titre de prévision à 5,9 MD fin 2013 à cause de la flambée des prix du pétrole brut sur le marché mondial et à l’envolée des prix des céréales importées.
A remarquer que le Budget 2013 est dominé par les dépenses de gestion, 30% du Budget seulement sont consacrés à l’investissement, ce qui constitue une anomalie en soi. Ces 30% sont d’ailleurs amputés de 20% soit 1100 MD.
L’investissement en panne
La clef de voûte de la croissance c’est l’investissement. Or celui-ci est en panne : -3% durant le 1er semestre 2013 par rapport à 2012, qui n’a pas été performant de toute façon. Cela prouve, si besoin est, qu’il y a une perte et un déficit de confiance de la part des acteurs économiques à cause des évènements sécuritaires, de la persistance et de la gravité de la crise politique qui sévit dans le pays, ainsi que de l’absence de visibilité à court et moyen termes pour ce qui est de l’agenda politique : adoption de la Constitution, date des prochaines élections…
Or, si l’investissement est en panne, cela remet en question le processus de croissance économique ainsi que le dispositif de création d’emplois. Au contraire, on risque des pertes d’emplois dans le secteur privé. En effet, le mécontentement des investisseurs extérieurs suite à la régression de la compétitivité du site investissement Tunisie dû aux revendications sociales des salariés, aux augmentations des salaires et des coûts de production, grèves et sit-in qui engendrent une détérioration du climat sécuritaire et risquent de provoquer des fermetures d’usines et des départs. Les investisseurs privés tunisiens sont perplexes et déboussolés devant cette situation morose et sont peu enclins à prendre des risques.
L’État a déjà dépassé ses potentialités de création d’emplois et ne peut continuer à recruter 25 à 30.000 fonctionnaires chaque année comme il l’a fait en 2011 et 2012.
C’est théoriquement le secteur privé qui doit prendre le relais, ce qui n’est pas le cas. Le marché de l’emploi risque donc de se détériorer si la crise politique n’est pas dénouée d’extrême urgence.
L’inflation se stabilise à un niveau élevé
Le taux réel de l’inflation est en réalité beaucoup plus élevé que les chiffres officiels publiés par l’INS. Ces chiffres font état d’une légère baisse qui doit être perçue comme une stabilisation à un niveau élevé puisqu’on est passé de 6,4% à 6,2% puis à 6%. Cela qui est considéré comme excessif, le taux de référence étant un taux maximal de 3% par an.
D’ailleurs, même les taux officiels sont beaucoup plus élevés pour les denrées alimentaires non homologuées par l’État, mais nécessaires pour l’alimentation quotidienne de la population comme les fruits et les légumes. Cette inflation est la mère de tous les maux puisqu’elle est à l’origine des revendications et des augmentations salariales incessantes qui entretiennent une course-poursuite permanente entre les prix et les salaires. Son caractère pernicieux décourage l’investissement et fausse les prévisions d’exportation et d’importation et donc perturbe les coûts de production. À l’origine il y a une intensité des flux de contrebande aux frontières et une hyperactivité des spéculateurs, ce qui alimente le commerce parallèle, lequel tue à petit feu l’économie légale, celle qui paie l’impôt, les cotisations de sécurité sociale et favorise l’emploi stable et la création de la valeur ajoutée.
Il n’y aura pas de paix sociale sans régression sensible de l’inflation, c’est pourquoi la lutte contre la contrebande doit être une priorité nationale autant que la lutte contre la corruption aux frontières et contre le terrorisme où qu’il soit.
Défaillance des liquidités bancaires
Le déficit quotidien moyen du marché interbancaire en matière de liquidités s’est élevé au mois d’août 2013 à 4974 MD contre 4803 MD, ce qui contraint la BCT à injecter tous les jours la masse monétaire nécessaire pour permettre aux banques de faire face aux besoins de leur clientèle, notamment les entreprises économiques.
La défaillance des liquidités bancaires est due à la lenteur de la croissance des dépôts bancaires de la part de la clientèle soit 2,8% en 2013 contre 4,7% en 2012. Cela est dû au manque de confiance des épargnants qui retirent leur argent pour le mettre dans des coffres chez eux ou dans leurs entreprises. D’ailleurs ces coffres clandestins se vendent au bord des routes par camions entiers.
Tandis que les encours des crédits accordés par les banques accusent une décélération : l’augmentation est de 4,2% en 2013 contre 6,3% en 2012, les crédits à court terme continuent à baisser ceux à moyen et long termes ralentissent leur progression. Cette conjoncture est à rapprocher avec la régression de l’investissement dans le pays à cause de la détérioration du climat des affaires et à la baisse du taux de la confiance placée dans les politiques de la part des chefs d’entreprise et des investisseurs.
Relance timide du secteur phosphatier
La CPG et le groupe chimique, du temps de leur splendeur, avant 2011, pouvaient dégager en fonction des fluctuations du cours mondial des phosphates entre 600 MD et 1000 MD de bénéfices chaque année. Ce qui permettait d’alimenter le Budget de l’État de façon confortable grâce à une production de l’ordre de 8 M de tonnes par an.
Avec les grèves, les sit-in et les blocages des mines, laveries et voies ferrées, la production et le transport des phosphates ont été asphyxiés durant des mois et des mois, les pertes des deux compagnies sont lourdes depuis 30 mois et difficiles à récupérer, surtout qu’il y a perte de gros clients à l’export alors que le prix des phosphates est au plus haut sur le marché mondial.
Il semble qu’il y ait une reprise lente de la production avec un objectif difficile à réaliser de 3 MD pour 2013. Dans le meilleur des cas 200 MD pourraient être dégagés en 2014 au titre de l’exercice 2013.
Il y a lieu de rappeler que trois ou quatre spéculateurs et opportunistes se sont improvisés transporteurs de phosphates par camions à prix exorbitant, après avoir fait bloquer la voie ferrée et fait perdre à la SNCFT des dizaines de millions de dinars.
Réformes projetées : quel impact sur la conjoncture ?
Le gouvernement a mis en chantier certaines réformes économiques structurelles et à l’intention d’en entreprendre d’autres, comme celle de la Caisse de compensation, pour lesquelles il a commencé à conditionner l’opinion publique afin d’amortir les réactions populaires éventuelles.
Il y a lieu d’examiner rapidement l’impact possible sinon probable de ces réformes sur l’évolution de la conjoncture socioéconomique, à court et moyen termes.
C’est pourquoi elle est appelée à être réformée en 2014, car son niveau est devenu insoutenable pour le Budget de l’État.
Il s’agit de revenir à la vérité des prix pour tous, tout en accordant des subventions directes aux catégories populaires pour soutenir leur pouvoir d’achat.
La restructuration et la recapitalisation des trois banques publiques est une réforme destinée à jouer un rôle vital pour financer non seulement les entreprises publiques, mais surtout le secteur privé donc l’investissement générateur de croissance et d’emplois.
Elle ne sera pas décidée avant la fin du 1er trimestre 2014 et sera appliquée à moyen terme dans six mois ou dans un an et par étapes.
La réforme fiscale entamée au niveau des commission il y a trois mois débouchera sur l’approbation de mesures par le Conseil supérieur de la fiscalité en octobre avant d’être soumise au conseil des ministres et d’être approuvée par l’ANC. Dans le meilleur des cas elle sera intégrée dans la loi de Finances pour l’exercice 2014 et mise en application au cours de l’année prochaine.
Il faut s’attendre, après la parution des textes d’application, à une amélioration sensible des recettes fiscales.
La Caisse de compensation a quadruplé entre 2010 et 2013, passant ainsi à 5,9 MD fin 2013 avec la hausse vertigineuse des prix du pétrole et l’envolée des cours mondiaux des céréales. En outre, ce sont les nantis qui en bénéficient beaucoup plus que les démunis.
Ridha Lahmar