Deux hauts fonctionnaires du ministère des Affaires Etrangères du Royaume Uni se sont déplacés à Tunis récemment pour prendre contact avec les autorités tunisiennes et mieux connaître la situation politique et socio-économique du pays plus d’un an après le déclenchement de la Révolution.
Il s’agit de Mme Lin Yan, chef de projet à l’Unité Economique, Département Afrique-Moyen-Orient et de M. Martin Hetherington, chercheur analyste au même Département.
Après avoir eu des entretiens avec un conseiller économique à la présidence du Gouvernement, deux directeurs Généraux au ministère des Finances et des responsables à la Bourse de Tunis et à la BCT, ils ont voulu rencontrer des journalistes économiques. C’est pourquoi M. Patrick Merienne, premier secrétaire à l’Ambassade du Royaume-Uni chargé du Développement, a organisé un débat dans ce sens, dont voici une synthèse.
Les objectifs d’une visite de travail
Il s’agit de connaître les grandes orientations du programme de développement du pays ainsi que les choix en matière de croissance économique et les défis majeurs à relever face aux grandes difficultés de la conjoncture actuelle. Aussi, est-il important pour le Royaum-Uni de prendre connaissance de la situation actuelle du pays et d’approfondir la compréhension de ce qui s’y passe réellement dans la perspective de sa présidence du G8 en 2013.
Quelles sont les priorités du moment ?
Est-ce la lutte contre la flambée des prix des produits alimentaires en particulier et l’inflation galopante en général dans le pays qui réduit le pouvoir d’achat des classes populaires ? Il est urgent de réformer la fiscalité dans le sens d’une plus grande égalité, car la fiscalité actuelle prive le Budget de l’Etat de ressources précieuses provenant des gros revenus, alors que le pays a besoin de financer les infrastructures et le développement dans les régions défavorisées.
Dans quelle mesure le budget de l’Etat est-il en train de donner des signaux forts en faveur des investisseurs privés et étrangers pour la relance économique et de donner satisfaction aux revendications sociales de la Révolution ?
Toutes ces réflexions ont animé le débat avec des prises de position nuancées des uns et des autres.
Y a-t-il un nouveau modèle de développement ?
Il n’y a pas encore eu de définition claire d’un nouveau modèle de développement choisi par le gouvernement.
Certes l’ancien modèle qui consistait à privilégier la croissance économique du littoral et des grandes villes et négligeait les régions intérieures pauvres et défavorisées a été un échec à cause du chômage et de la pauvreté, mais aussi de la corruption et de l’injustice sociale.
Cependant, un nouveau modèle de développement tarde à émerger, même si les principales tendances consistent à mieux partager les fruits de la croissance entre capital et travail, à équiper et à développer les régions défavorisées, à mieux prendre en compte les aspects sociaux et pas seulement la rentabilité économique et financière.
Quelles relations entre le gouvernement et l’UGTT ?
S’agit-il d’une alliance provisoire ou d’un antagonisme de fond ? Dans quelle mesure l’UGTT peut-elle occulter son rôle politique et se contenter de sa vocation syndicale ? Un accord, ne serait-ce que provisoire, s’impose pour favoriser la paix sociale et la stabilité et relancer le processus de développement du pays.
Le gouvernement est-il en mesure de résoudre les problèmes les plus urgents : chômage, pauvreté… sans soutien ferme de la communauté internationale ? Le rôle et la responsabilité des chefs d’entreprise et des hommes d’affaires tunisiens demeure essentiel en matière d’investissement, de création d’emplois dans les régions intérieures du pays et de promotion de la croissance économique.
Comment instaurer la stabilité socio-politique ?
La persistance et la multiplicité des perturbations sociales et des revendications salariales sont un obstacle à la promotion des investissements et à l’instauration d’une stabilité sociale propice à la croissance économique. Pour instaurer la stabilité il est essentiel de parvenir à un pacte national entre la plupart des partis politiques au pouvoir mais aussi dans l’opposition, la société civile avec ses différentes composantes, les organisations nationales ainsi que tous les acteurs économiques et sociaux notamment les syndicats.
La complémentarité sinon l’intégration économique entre les pays du Maghreb doit et peut contribuer à la solution des difficultés du pays. On attribue généralement au non-Maghreb un déficit annuel de croissance économique de 2% par an soit 30.000 emplois ne serait-ce que pour notre pays.
Quelles impressions éprouvent les visiteurs ?
Il y a certes la perception de la ferme volonté du gouvernement de résoudre les problèmes et de maîtriser la situation mais aussi de la multiplicité des revendications sociales et de problèmes impossibles à résoudre en même temps et tout de suite.
Il faut professionnaliser l’investissement et faire face aux difficultés qui concernent en priorité des secteurs aussi porteurs et structurants que les phosphates et le Tourisme, car ils ont un effet d’entraînement sur l’ensemble des autres secteurs d’activité. Il y a urgence de procéder à la révision du Code de l’investissement pour rassurer et attirer les promoteurs et investisseurs étrangers mais aussi le secteur privé local.
L’Etat doit donner des signaux forts au niveau de l’investissement dans les régions pour provoquer la réaction des investisseurs privés. Est-il réellement possible de récupérer les biens mal acquis inscrits au budget de l’Etat au titre de l’année 2012, soit 1200MD dans des délais aussi courts ? Il est permis d’en douter.
Le gouvernement a-t-il un plan B pour assumer la responsabilité du développement du pays s’il y a défaillance partielle de la coopération internationale et du soutien promis par le G8 suite à la crise de la dette souveraine dans les pays de l’Union Européenne ?
Ridha Lahmar