Au moment où le président de la République annonce, sur un ton grave, que la transition démocratique en Tunisie est menacée, non par l’émergence de périls extérieurs, mais plutôt par le refus d’une partie de l’opposition tunisienne de respecter les règles du jeu démocratique, certaines voix se sont élevées rapidement pour lui donner raison. En effet, l’alternance pacifique au pouvoir qui est consubstantielle à tout système démocratique est contestée par ceux-là mêmes que les résultats des urnes ont cantonnés dans une position de minorité, dans un rôle de comparse.
Pour ces derniers, les structures représentatives, qui sont l’émanation de la volonté populaire, ne satisfont pas leur ego, leurs tentations populistes débordantes. Pour compenser leur faiblesse, ils ont trouvé l’astuce : agiter la menace de la rue, de la désobéissance civile et aller jusqu’à se présenter comme la seule alternative crédible à des pouvoirs élus « corrompus, une survivance du régime déchu ». Les propos tenus par une députée, dont les frasques et les dérives sont devenues une insulte au bon sens, illustrent bien les errements d’une classe politique sans repères et le délabrement de son discours qui, loin de mobiliser, ne suscite plus que questionnements au regard de son insoutenable légèreté. Quand Samia Abbou, déclare que « le chef de l’Etat a prouvé qu’il n’est pas le président du peuple tunisien mais celui de la mafia et des opportunistes qui pillent les ressources du pays », elle franchit la limite de l’indicible. En s’attaquant de façon primaire aux symboles de l’Etat, elle ne sortira pas grandie et, par ricochet, ses propos deviennent une source de honte renseignant sur le nivellement par le bas du débat public entretenu sciemment pour créer le buzz dans des médias de seconde zone.
Manifestement, lorsque le débat politique tombe dans la mélasse de l’invective et des insultes gratuites, on se rend compte de l’indigence des acteurs politiques et de leur incapacité à faire bouger les choses s’agissant notamment, pour un pays en panne et dont l’élite brille par son immobilisme et son action décalée. L’ennemi le plus dangereux pour l’homme politique n’est-il pas la vanité ? Un vice responsable de ce que Max Weber considère comme « péché mortel » pour un homme politique: le désir du pouvoir pour le pouvoir.
Il faut dire que le cafouillage qui marque la vie politique dans notre pays est nourri par l’incohérence d’une opposition qui n’a pas su jouer le rôle qui lui revient en termes d’encadrement de la population, de proposition de choix alternatifs et de développement d’un débat orienté. Il est nourri également par la gestion approximative des affaires du pays par les gouvernements successifs, qui n’ont réussi ni à donner une visibilité à leur action, ni à redonner espoir et confiance aux Tunisiens et encore moins à éviter au pays les écueils d’une crise multidimensionnelle.
Dans son ouvrage « le bon gouvernement », Pierre Rosanvallon définit les qualités à exiger des gouvernants dans le contexte que connaissent de nombreux pays. Il soutient qu’il est, d’abord, essentiel de donner à l’action publique de la lisibilité, que les gouvernants doivent accepter d’être « responsables» ce qui leur permet de transformer les lignes de clivage en objets de débats publics et savoir écouter la société en se montrant réactifs.
L’auteur pense que l’homme politique est appelé à « parler vrai » et être intègre. C’est en restaurant ces qualités que le gouvernant retrouvera l’estime publique.
Par analogie, il faut avouer que malgré les avancées accomplies par notre pays en termes de sa transition vers la démocratie, de consécration des libertés et du droit, il existe bel et bien un déficit de gouvernance qu’il faut savoir combler. Pour que les responsables soient effectivement attentifs aux préoccupations des citoyens, assument pleinement leurs responsabilités, en ne vivant pas en vase clos et en daignant oublier que leur métier est de nous manipuler.
Le malaise latent qui n’en finit pas de s’épaissir, les tensions permanentes qui ponctuent notre quotidien depuis maintenant plus de six ans, l’immobilisme qui bloque notre société et l’absence de perspectives trouvent certainement leurs racines dans ce manquement réciproque à nos responsabilités et à cette incapacité de plus en plus pesante de construire une confiance, d’enclencher un processus vertueux de réformes sur la base d’une feuille de route claire, de choix consensuels et d’un discours direct qui permet d’appréhender la réalité dans toute sa complexité. Un discours qui nous pousse à saisir le haut degré d’implication de nos responsables dans la mission qui leur est dévolue, non leur perplexité et leur hésitation qui ont conduit à l’affaiblissement de l’Etat et à la disparition progressive de son prestige.
52