Quand le gouvernement de Youssef chahed a, pour la première fois depuis son entrée en activité, osé entreprendre une action vigoureuse dans la lutte contre la contrebande et la corruption, son message a été bien reçu et il a vite trouvé le soutien dont il a besoin. Non seulement des partis signataires de l’accord de Carthage, qui a commencé à présenter des fissures, mais de la majorité des forces politiques et sociales du pays. La seule voix discordante de Hamma Hammami et du Front populaire, n’a pas beaucoup pesé, ni surpris. Elle renseigne néanmoins sur l’incapacité du Front populaire à tenir un autre discours qui le démarque du négativisme dont il est devenu prisonnier et à se prévaloir en tant que force de proposition.
En déclenchant subitement cette guerre, à un moment où le doute, la peur et la multiplication des signes sur le délitement de l’Etat, Youssef Chahed a surpris et, surtout, tiré le tapis sous les pieds de nouvelles formations politiques en cours de création et d’une opposition minoritaire mais agissante qui n’ont cessé d’accentuer leur pression sur le gouvernement, à leurs yeux, responsable de tous les échecs, et de réclamer l’organisation d’élections législatives et présidentielle anticipées.
En reprenant l’initiative à son compte dans un contexte particulièrement tendu, le Chef du gouvernement court un grand risque, assume une grande responsabilité qui lui interdit de faire machine arrière, d’hésiter, de faire preuve de parcimonie dans le processus qu’il a enclenché ou de fléchir sous le poids des pressions. Il a préféré jouer la seule carte, il est vrai difficile qui lui restait, mais il ne pouvait faire autrement au regard de la complexité et de la gravité de la situation que traverse le pays. Il est investi aujourd’hui d’une responsabilité qui l’oblige à honorer un engagement pris solennellement, « conduire la guerre contre la corruption jusqu’au bout ».
Il faut avouer que la première vague d’arrestations qui a touché les barons de la contrebande, dont la collusion avec le terrorisme et certaines parties qui entretenaient l’agitation sociale dans les régions du sud du pays, tout en faisant beaucoup de bruit et suscitant une forte adhésion des Tunisiens, n’est que l’amorce d’une guerre totale contre un phénomène qui est en train de gangrener l’économie tunisienne et de mettre à mal sa sécurité. Le poids prépondérant pris par la contrebande et le commerce parallèle est entretenu par une pieuvre mafieuse qui s’est transformée depuis 2011, au regard de l’extension anarchique des ses tentacules, en une menace sérieuse pour la continuité de l’Etat, la mise sur pied des institutions républicaines et le renforcement du processus de transition politique et économique du pays.
Il va sans dire que poursuivre le combat est une condition indispensable pour restaurer le prestige de l’Etat, son autorité et éviter que le pays ne sombre dans la violence et l’anarchie. Cela implique de ne pas baisser les bras, de ne pas céder à la pression et de ne pas faire de la politique des deux poids deux mesures. Dans cette guerre comme celle engagée contre le terrorisme, ce qui est avant tout en jeu, ce sont les choix de société et le modèle de développement auxquels les Tunisiens ont délibérément opté. Cela ôte à cette opération, qu’on a baptisée « mains propres », tout caractère ponctuel ou tout le moins de simple manœuvre pour détourner l’attention de l’opinion publique.
Manifestement couper la tête des réseaux mafieux, qui ont mis à mal l’économie du pays, instrumentalisé des mouvements sociaux légitimes pour profiter de l’instabilité du pays et financé le terrorisme, est une entreprise de toute urgence, voire vitale. Il faut qu’avec la même rigueur et la même détermination poursuivre le travail entamé afin d’endiguer définitivement cette menace qui, tel un cancer s’est métastasée anarchiquement n’épargnant aucun secteur, aucune région et aucune structure administrative.
Malgré le grand retard qu’elle a accusé, cette guerre a fourni un message sans équivoque. Elle a été le révélateur de la convergence des Tunisiens qui n’ont pas hésité à apporter leur soutien à un gouvernement qui présentait des signes de faiblesse, d’impuissance et d’incapacité à remettre le pays sur les rails.
En poursuivant sa chasse aux contrebandiers, devenus par la force des choses des hommes de l’ombre et un véritable contre-pouvoir, Youssef Chahed n’a rien à perdre, il ne peut que tirer des dividendes, renforcer la confiance et les fondements de l’Etat de droit. Le pays pourrait également y trouver un argument pour rebondir , présenter une image autre que celle actuellement véhiculée par les médias et regagner la confiance des investisseurs qui ont, longtemps, souffert de la faiblesse de l’Etat, du laxisme de l’Administration et de la mainmise de forces occultes sur des pans entiers de l’économie.
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