Les mesures disciplinaires décidées contre des hauts gradés de la Douane tunisienne travaillant dans le port de Radès, véritable poumon du commerce extérieur de la Tunisie, suffiront-elles pour guérir un cancer qui s’est métastasé depuis des lustres et dissuaderont-elles les autres corps de métier qui ont pris en otage ce port et mis à mal les intérêts du pays ?
Un port dont les performances, les méthodes utilisées dans sa gestion, les services qu’il assure aux opérateurs économiques et l’image qu’il reflète d’un pays qui ne cesse de vouloir promouvoir l’investissement extérieur et l’exportation, sont devenues une injure au bon sens et le parfait exemple de ce qu’il ne faut jamais faire.
Le port de Radès détient depuis un certain temps un triste record, en se classant parmi les pires ports en Méditerranée, en raison des dysfonctionnements administratifs et autres pratiques à l’origine de sa sulfureuse réputation et d’un grand problème qu’on n’a pu résoudre efficacement. S’agissant de conflits d’intérêts entre différents acteurs l’autorité publique a été quasi impuissante à faire changer l’ordre établi par certains réseaux mafieux. Le résultat peu glorieux de ce laisser aller et du laxisme est en train d’être payé par toute la communauté.
En effet, la prolifération de la corruption et de la contrebande n’en est que la face immergée de l’iceberg. Le diagnostic de la situation est pourtant connu par tous, mais c’est la volonté de réformer et de mettre un terme à la mainmise de certaines parties sur le fonctionnement de ce port qui a fait défaut. Une étude récemment présentée par l’OCDE a montré le gap quasiment infranchissable qui sépare ce port des autres infrastructures similaires que ce soit en Europe ou au Maghreb.
« Par rapport à 2010, la Tunisie a connu une détérioration dans tous les domaines de l’indice de performance logistique. Les détériorations les plus importantes concernent la compétitivité des transports internationaux ainsi que le respect des délais. La performance de la Tunisie apparaît particulièrement faible en matière de douane, de services d’infrastructure, des transports internationaux», souligne le rapport de l’OCDE.
Il faut se rendre à l’évidence et avoir le courage de dire que toutes les tentatives mises en œuvre pour faire bouger les choses se sont heurtées à la résistance de certains corps de métier, qui ont tourné le dos à toute ouverture et à toute recherche de compétitivité et de performance, et à la tentation hégémonique des réseaux mafieux, qui ont étendu leurs tentacules dans ce port dont le fonctionnement dépend de leur bon vouloir.
Résultat, le Port de Radès est devenu l’illustration parfaite de l’impossible réforme d’un secteur, censé être une locomotive de l’économie, se transformant, sous l’influence de ces réseaux qui ont entraîné dans leur sillage, douaniers et autres parties suspectes qui ont tout fait pour que l’anarchie persiste et le désordre règne.
Le plus drôle, c’est qu’au moment où tout le monde s’en plaint de la gestion calamiteuse du port et des interférences suspectes, on a trouvé parfois un malin plaisir de nous faire croire du contraire. Dans l’impossibilité de conduire le changement, le ministre du Transport a essayé de nous contenter de leurres, en osant annoncer, à plus d’une reprise, en guise de prouesse « l’absence pour la première fois d’un navire en rade » et ce, au moment où le délai d’attente n’a jamais descendu au-dessous de 15 jours et qu’a vue d’œil, on peut vérifier des bateaux en souffrance dans le golfe de Tunis en attente d’un hypothétique déchargement.
Incontestablement l’opération menée par Youssef Chahed est un bon signal de la détermination du gouvernement à poursuivre la guerre entamée contre la corruption dont le spectre a concerné cette fois-ci les serviteurs les plus dociles des contrebandiers et des barons de commerce illicite.
Il faut préciser que ce n’est pas la première descente effectuée par un Chef de gouvernement au port de Radès depuis 2011 et que le diagnostic effectué ne diffère pas beaucoup de ceux qui l’ont précédé. Tout le monde connaît où réside le mal dans ce port, où les règles de transparence, de la rigueur, de la compétitivité, de la qualité du service rendu sont bafouées par ceux-là mêmes qui sont prêts à utiliser tous les moyens pour que le statu quo perdure et le système mafieux continue à prospérer.
La faute n’incombe pas aux seuls douaniers, devenus par la force des choses un maillon essentiel dans le système de contrebande, de commerce illicite et de corruption que personne n’a pu vaincre. Les défaillances sont structurelles gagnant en complexité depuis 2011. Le port est devenu une sorte de no man’s land, une enclave contrôlée par une pieuvre prête à défendre ses intérêts par tous les moyens. Par la destruction des installations, des caméras de surveillance, des scanners, des chariots, le blocage de l’activité. Par l’opposition farouche des employés de la STAM à toute concurrence et présence de parties capables d’améliorer les performances de ce port.
La solution des problèmes dont souffre le port de Radès exige inévitablement beaucoup de courage et une détermination sans faille de briser le cercle des contrebandiers, des barons du commerce parallèle et de leurs complices et en même de forcer la mise en œuvre effective des réformes dans ce secteur névralgique.
44