On nous a promis la restauration du prestige de l’Etat. Deux ans après, on a eu droit à un délitement de son rôle, à son impuissance à conférer à la loi et au droit toute leur force et leur primauté et à une défiance permanente de l’autorité publique.
Par le jeu pervers des acteurs politiques et sociaux et l’insoutenable insouciance des Tunisiens, il ne se passe pas un jour sans que l’autorité de l’Etat ne soit battue en brèche, sans que la vie politique, économique et sociale ne soit frappée d’une sorte de paralysie et sans que l’impunité ne s’érige en règle, en exemple à suivre.
Dans ce tourbillon que connaît la Tunisie, tout le monde est à blâmer. A commencer par les pouvoirs publics qui ont tout le temps fourni la preuve de leur extrême vulnérabilité, incapacité à gérer les situations de crise et à appliquer la loi et de leur propension à céder aux pressions pour préserver un semblant de paix et de stabilité politique et sociale. Toutes les concessions faites par les gouvernements successifs ont été le catalyseur de la défiance du pouvoir, toutes les reculades observées ont été à l’origine de l’exacerbation de certaines tensions et toutes les tentatives déployées pour limiter les dégâts et rechercher les voies du compromis ont abouti à la compromission des pouvoirs dans des choix dont ils ne maîtrisent plus les tenants et les aboutissants.
Peut-on pour autant craindre que l’Etat tunisien est devenu défaillant, incapable d’exercer ses fonctions essentielles ? La question ne cesse de tarauder bien des esprits et de susciter interrogations et inquiétudes, au regard des risques qui pèsent sur la transition démocratique et de l’immobilisme qui se ressource de l’incapacité à conduire le changement.
Manifestement, il faut noter qu’un Etat failli trouve sa déclinaison dans son incapacité à assumer ses missions régaliennes, un Etat dans lequel, rien ne fonctionne correctement, particulièrement le respect de l’Etat de droit, la préservation de l’ordre, la garantie de la sécurité et la normalisation des relations sociales.
Avec le désordre qui ne cesse de gagner du terrain, l’incapacité à appliquer la loi et le règne de l’impunité, les symptômes de l’affaiblissement de l’Etat n’ont fait que se multiplier, gagnant en complexité et en gravité.
Au-delà du cercle vicieux dans lequel le pays ne cesse de se débattre, avec son corollaire l’exacerbation de tensions sociales, le blocage de l’activité économique et l’atteinte à ses intérêts économiques, c’est l’incapacité de l’Etat à exercer ses missions essentielles qui interloque, surprend et inquiète. Qu’il s’agisse des événements de Tataouine où les installations pétrolières ont été vandalisées, de Kébili où les demandes ont perdu leur dimension purement sociale, de Sidi Bouzid où la résurgence de l’esprit tribal a dégénéré en bataille rangée coûtant la vie à un agent de l’ordre…, on a l’impression que le bateau Tunisie est emporté par la houle, risquant à tout moment de chavirer.
A l’évidence, en plus de l’immobilisme, la Tunisie renvoie de plus en plus l’image d’un pays presque ingouvernable, en ce sens qu’à force de céder aux pressions et de rechercher le compromis, l’Etat est en train de perdre son autorité.
Le sens de la discipline, de la responsabilité et, a fortiori, de la hiérarchie, n’ont plus aucun sens. En lieu et place, l’impunité, la corruption et le passe-droit ont pris le relais, rendant tout espoir de redémarrage de l’activité économique, de la relance de l’investissement et de la restauration de la confiance, une simple vue de l’esprit. Les exemples qui peuvent rendre compte de la descente du pays dans les abysses de l’anarchie sont légion, suscitant rarement la réprobation de la classe politique ou de la société civile et ne servant pas de leçon dont il importe de tirer les enseignements.
L’annulation au cours de la semaine dernière de deux traversées de la CTN pour motif d’insubordination d’agents est passée presque inaperçue, comme s’il s’agit d’un simple fait divers. Survenant en pleine période de retour des Tunisiens à l’étranger, occasionnant des pertes considérables et une altération de l’image de la compagnie, ce grave incident n’a suscité de la part des autorités que la formulation de vagues excuses et l’annonce de l’ouverture d’une simple enquête.
Dans le secteur du transport, la SNCFT détient la palme en matière de déclenchement de grèves sauvages et de négligences assassines à l’origine d’accidents de plus en plus fréquents et de souffrances insupportables.
Pour compléter le décor, c’est la compagnie aérienne nationale qui continue, dans une insouciance et une insoutenable légèreté, de battre de tristes records en matière de retards de ses vols.
Des événements graves qui, à force de se reproduire, de provoquer des dégâts et des situations embarrassantes, sont entrés dans la normalité, même chez les premiers responsables de ce secteur, gagnés à leur tour par l’insouciance et l’impuissance.
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