La lettre d’intention signée entre le Gouvernement et le FMI est au cœur d’une importante controverse à laquelle après, les journalistes se sont mêlés à quelques experts. Une controverse qui a emmené le gouvernement à réagir pour expliquer et clarifier l’accord passé avec le FMI pour obtenir la seconde tranche du Mécanisme élargi de crédit. Mais, en dépit de ses explications des responsables gouvernementaux lors des derniers jours, la polémique est loin d’être retombée.
Mais, avant de discuter de la lettre d’intention et des engagements pris. Précisons d’abord, la nature d’une lettre d’intention. Il s’agit d’un document juridique connu dans les négociations commerciales ou contractuelles inspiré de la tradition juridique de la “letter of comfort ou letter of intent” et qui constitue une garantie que prend une des parties contractuelles pour respecter ses engagements. Le FMI s’est inspiré de cette tradition pour mettre en place ce mécanisme qui précise les engagements pris par les pays en contre-partie des crédits contractés. Mais, plus que la lettre d’intention c’est le Memorandum de politiques économiques et financières qui l’accompagne, qui est important dans la mesure où il précise dans les détails l’ensemble de mesures, de réformes et de choix de politique économique que le pays devrait prendre pour sortir de sa crise économique, renouer avec la croissance et rétablir sa crédibilité pour renouer avec les marchés internationaux.
Ce document juridique est signé par les autorités du pays et adressé au Directeur général du FMI comme un préalable à l’accord du Conseil d’administration pour la signature d’un accord de prêt ou le déboursement d’une tranche d’un prêt. C’est ce que notre pays a fait et notre gouvernement a signé une lettre d’intention accompagnée d’un Memorandum sur les politiques économiques et financières, comme le veut la procédure, à l’attention de la Directrice générale du FMI en date du 29 mai 2017 et suite à la visite de revue qu’une délégation du Fonds a effectué dans notre pays en avril dernier. Ce document était nécessaire pour l’examen du Conseil de l’octroi de la seconde tranche de ce prêt et qui s’est tenu le 12 juin 2017.
Mais, que reproche-t-on exactement à cette lettre d’intention et particulièrement au Memorandum qui l’accompagne ? Pourquoi cette polémique autour de cette lettre ? Des comptes-rendus de presse et certaines interventions, il me semble que trois éléments sont au cœur de cette controverse et de ces polémiques.
Le premier est le caractère « secret » de cette lettre et bien évidemment on impute ce prétendu « secret » à son contenu explosif que le gouvernement tunisien et le FMI ne veulent pas révéler. Or, il faut rappeler que la lettre d’intention comme tous les autres documents qui font partie du dossier ou le « package » présenté par le staff devant le Conseil d’administration n’ont de valeur juridique qu’après son accord pour l’octroi du crédit ou le déboursement d’une tranche. Jusqu’à cet instant, l’ensemble de ces documents n’ont aucune valeur juridique et c’est pour cette raison qu’ils restent confidentiels. Cette pratique n’est pas propre au FMI mais c’est la pratique dans toutes les opérations commerciales et financières et tous les engagements contractuels. Il ne s’agit de mon point de vue d’aucune volonté de cacher le contenu de cet accord et de le garder secret comme le voudrait la théorie du complot. Ceci est d’autant plus vrai que les principes de transparence qui guident ses activités, obligent le FMI à publier toutes la documentation officielle concernant tous les pays et à les rendre public. Il s’agit du principe de l’accès à l’information et de la transparence que toutes les institutions internationales ont mis en place depuis plusieurs années suite aux pressions de la société civile mais aussi à l’évolution du contexte international et des principes d’une société ouverte.
Le second motif de polémique concerne la rumeur d’un engagement pour la privatisation des entreprises publiques. Or, une lecture du Memorandum montre qu’il n’en est rien et que le gouvernement s’est engagé à signer des contrats de performances avec les cinq grandes entreprises à savoir Tunisair, la STEG, la STIR, l’Office des céréales et la RNTA. Ces contrats doivent contenir des indicateurs dont l’exécution sera suivie de manière étroite par le gouvernement.
Le troisième point de controverse concerne les départs à la retraite anticipée (entre 5000 et 7000) et les départs négociés (entre 15000 et 18000) de la fonction publique. Il s’agit d’un engagement dont l’objectif est de réduire la masse salariale dans le budget qui a atteint aujourd’hui le chiffre abyssal de 14,1% du PIB et qui doit repasser à 12,1% en 2020. Pour les départs à la retraite anticipée, une loi a été soumise au parlement et pour les départs négociés une nouvelle loi sera soumise et qui précisera les conditions de mise en œuvre de chacun des deux programmes.
Clairement les questions soulevées lors de cette polémique sur la lettre d’intention ne sont pas essentielles et dénotent au mieux d’une méconnaissance des procédures de fonctionnement des institutions internationales et d’une lecture hâtive du Memorandum.
Est-ce pour autant la lettre d’intention et plus particulièrement le Memorandum sur les politiques économiques et financières qui l’accompagne sont dénués de toute analyse critique ? La question que nous nous devons poser est de savoir si le package de politique proposé par le gouvernement va favoriser la réalisation des objectifs que la charte de Carthage lui a fixé ? Ce package de politique économique pourra-t-il remettre la machine économique sur les rails et favorisera-t-il une reprise de la croissance et de l’investissement ?
L’analyse de ce package m’amène à soulever trois préoccupations essentielles. La première est relative à la vision et à la philosophie qui les sous-tend. Il s’agit d’une vision dominée par la stabilisation et la maîtrise des grands équilibres macroéconomiques. Ce package n’indique pas de manière claire des mesures et instruments afin de relancer l’investissement et la croissance. Certes, la réduction des déficits et la maîtrise des grands équilibres sont essentielles mais elles se feront d’autant plus aisément que la croissance reprenne.
Le second motif d’interrogation concerne la sortie des politiques actives que ce Memorandum inaugure. Notre pays comme beaucoup d’autres pays a adopté dans le contexte post-crise globale et particulièrement au lendemain de la Révolution des politiques actives afin de soutenir l’activité économique. Ainsi, la relance budgétaire et les politiques monétaires expansionnistes ont été mises en place afin d’appuyer l’investissement et la croissance. Certes, l’incertitude grandissante et l’attentisme des investisseurs ont pesé sur les dynamiques de croissance et n’ont pas favorisé une reprise forte de l’activité économique à la hauteur de l’activisme des politiques économiques. Mais, ces politiques économiques nous ont permis d’éviter une récession forte et d’entretenir une croissance fragile. Or, aujourd’hui ce Memorandum inaugure une sortie progressive de ces politiques actives ce qui risque de peser sur la croissance future.
Le troisième motif de préoccupation concerne la cohérence du policy-mix suggéré par ce Memorandum. Certes, il ne revient pas sur la politique budgétaire mais il suppose le maintien de l’effort de relance budgétaire entamé depuis quelques années. Mais, cette relance budgétaire risque de souffrir du changement de cap de la politique monétaire et de la plus grande flexibilité accordée à la politique de change et qui peuvent aussi peser sur cette reprise timide de la croissance que nous avons enregistrée lors du premier trimestre de l’année.
Les négociations avec les institutions internationales deviennent de plus en plus difficiles du fait de la crise économique et particulièrement de la dérive de nos grands équilibres macroéconomiques. Mais, ces négociations exigent la définition d’une vision économique claire et cohérente afin de mettre la coopération avec les institutions internationales au service du retour de la croissance et de la transition économique.
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