Parmi les obstacles majeurs à la concrétisation des réformes, il y a le corporatisme sauvage de certaines professions et catégories socioprofessionnelles, ainsi que le diktat des syndicats de travailleurs, opposés à un patronat omnipotent et attaché à ses faveurs traditionnelles, mais il y a également, une oligarchie de l’Administration, ulcérée d’avoir perdu son rôle décisif et son pouvoir discrétionnaire suite au soulèvement démocratique du 14 janvier 2011, outre les partis politiques jaloux de leurs prérogatives et préoccupés par les sauvegarde des intérêts financiers de leurs riches donateurs et généreux sponsors.
Il y a là une hypocrisie politique à peine voilée qui consiste pour le plupart des partis au pouvoir à dénoncer la corruption et à demander une sanction sévère pour les corrompus, alors qu’ils font tout pour protéger les corrompus, bien qu’ils soient d’accord pour voter la loi pour la réconciliation nationale.
Le gouvernement de Youssef Chahed s’est montré incapable d’entreprendre les réformes de base pour redresser la situation 18 mois après la prise du pouvoir. Il y a là un manque de courage politique, voire d’audace, pour imposer le respect de la souveraineté de l’Etat dans des secteurs vitaux de l’économie du pays et la sauvegarde de l’équilibre des finances publiques.
Chaque fois qu’il y a eu un bras de fer avec les syndicats de travailleurs pour les augmentations de salaires par exemple, le gouvernement a capitulé ou battu en retraite. Aux îles Kerkennah, à Tataouine et à El Fawar, c’est “la rue” qui décide la fermeture des vannes de pétrole ou de gaz, ce sont les sit-inneurs qui font la loi face aux forces de l’ordre pour empêcher que le gaz dont nous avons besoin pour survivre soit produit par nous-mêmes, mais plutôt importé en devises de chez nos voisins au prix cher.
Le processus des réformes entreprises est tellement lent et timide qu’il devient caduque, inefficace et inopérant.
Sans procéder à un inventaire fastidieux, il y a une sorte de consensus sur les principales réformes socio-économiques indispensables pour optimiser le taux de croissance économique et veiller à l’équilibre des indicateurs fondamentaux dont l’équilibre du Budget de l’Etat. Il s’agit de la réforme du système bancaire et financier qui a été entamée il y a deux ans, mais le processus est en panne et la cacophonie consiste pour les responsables prolitiques, tantôt à confirmer, tantôt à démentir la privatisation des trois banques publiques.
La réforme fiscale qui traîne depuis cinq ans est nécessaire pour instaurer une justice sociale et lutter contre la fraude, cela permettra de ralentir l’endettement extérieur apurer la déficit du budget de l’Etat, tout en trouvant les ressources nécessaires pour financer le développement régional. Il est indispensable de faire payer chacun en fonction de ses revenus.
La réforme des caisses sociales est indispensable et très urgente, car les trois caisses sont déficitaires de 2000 millions de dinars et au bord de la faillite, d’où la nécessité de trouver un consensus parmi les partenaires sociaux.
Cette réforme est au point mort.
La réforme de la caisse de compensation s’impose d’urgence d’autant plus que le budget gonfle chaque année, alors que les avantages profitent surtout aux déjà nantis.
Rien n’a été fait dans ce sens.
La réforme du système éducatif pour en améliorer le niveau et la rentabilité mais aussi adapter la spécialisation des cursus des apprenants aux besoins de recrutement de l’économie.
Rien n’a été fait dans le bon sens.
La réforme de l’Administration et la maîtrise des salaires de la fonction publique marquent le pas. Ce sont des obstacles majeurs à l’investissement et à la croissance.
La lutte contre la corruption, la contrebande et son succédané, le commerce parallèle, privent l’Etat de ses principales ressources, il y a une inefficacité et un manque de volonté de la part des politiques.
Prenons l’exemple flagrant du dossier explosif des entreprises publiques qui représente une des réformes urgentes et indispensables devant lesquelles les gouvernements successifs ont reculé depuis six ans alors que la gravité de la situation s’accélère chaque mois. En effet, le dossier présente plusieurs facettes : financière, économique et sociale. L’endettement bancaire de ces entreprises publiques dépasse les 10 milliards de dinars. C’est donc un risque majeur pour la situation financière des trois banques publiques, mais pèse également très lourd sur le budget de l’Etat et les finances publiques, car ces entreprises survivent grâce aux subventions d’équilibre de l’Etat.
Elles sont tellement déficitaires qu’elles ont perdu leur capital social et ont besoin d’être recapitalisées, or l’Etat n’a pas les moyens de le faire alors que ces entreprises souffrent d’un véritable problème de gouvernance, outre la vétuste de leur outil de production, ce qui implique le repositionnement stratégique de ces entreprises donc la révision de leur statut d’entreprise publique.
C’est là que le bât blesse, puisque l’UGTT s’oppose de façon farouche à la privatisation de ces entreprises, ce qui bloque le processus de réforme d’une manière primaire et irrationnelle.
D’autant plus que ces entreprises sont en sureffectif de personnel, ce qui nécessite un dégraissage intensif pour les rentabiliser, donc un dédommagement coûteux à la charge de l’Etat.
Les cas les plus flagrants sont ceux de la STIP, El Fouladh, la SNT Cellulose, Tunisair, SNCFT, ainsi le processus de mise à niveau est grippé à cause du comportement des partenaires sociaux.
Le rôle du FMI n’est pas d’imposer des réformes ou de dicter des conditions draconiennes, mais d’accompagner et de donner des conseils techniques, tout en répondant aux demandes de crédit en devises pour permettre à notre pays de sortir d’une grave crise économique et financière ou plutôt une catastrophe programmée.
Tous les « conseils » du FMI ne sont pas réalisables et/ou souhaitables pour notre pays même si leurs experts ont un œil neuf et objectif pour juger la situation et exprimer aussi bien un diagnostic qu’un plan d’action salvateur.
Le FMI a toujours adopté un comportement positif et favorable à notre pays pour des raisons politiques, découlant du constat « Tunisie mérite d’être aidée car c’est le seul processus démocratique en devenir de réussite parmi tous les pays du printemps arabe ». D’où les déblocages successifs des crédits accordés.
Mais le récent communiqué public, publié suite à la mission d’experts qui ont séjourné début août permet de constater que le feu vert a viré franchement à l’orange, même si le ton relève plus de la diplomatie que du reproche ou de la sanction, après avoir constaté qu’il y a une croissance économique même si elle est molle grâce à certains secteurs qui connaissent une certaine amélioration comme le tourisme, les phosphates et l’agriculture. Cependant le FMI remarque la lenteur dans la mise en place des réformes et tire la sonnette d’alarme pour ce qui est de l’inflation effrénée des salaires de la fonction publique, la plus élevée dans le monde, soit 14% du PIB, de l’ampleur du déficit non contenu du commerce extérieur et de l’approfondissement du déficit budgétaire entre 7 et 8%. En toile de fond se profile la flambée de l’endettement public qui atteint 74% du PIB, ainsi que le taux d’inflation : 5,5% par an et l’effondrement du dinar.
Il y a encore plus grave : le FMI recommande la création d’un organisme destiné à aider le gouvernement dans sa lutte contre la corruption (action appréciée) et les pratiques commerciales illégales en vue d’une plus grande efficacité.
Il y a là une évaluation très négative vis-à-vis de l’action du gouvernement, considérée comme « peu efficace », mais qui participerait à cet organisme et faire de telle sorte pour le rendre plus efficace ?
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