L’adoption de la loi sur la réconciliation administrative par l’Assemblée des Représentants du Peuple, réunie en session extraordinaire au début de la semaine écoulée, a suscité un véritable tourbillon politique, des questionnements et un zeste de satisfaction chez les parties qui ont soutenu l’initiative du président de la République.
Ce qui a le plus surpris et attisé la colère, ce n’est pas tant l’adoption de cette loi, fortement soutenue par Nidaa Tounes, Ennahdha et d’autres formations qui se situent dans leur giron, mais le peu de respect des formes au niveau du fonctionnement de l’ARP qui a décidé de passer outre l’avis, pourtant obligatoire, du Conseil supérieur de la magistrature. Pour une jeune démocratie en construction, tout indique que le Rubicon a été franchi et que la nouvelle constitution du pays a subi une flagrante transgression. Pour les parties qui ont combattu ce projet, dès son annonce et empêché par tous les moyens son adoption, les conditions de la programmation de ce projet par la présidence de l’ARP est un alibi qui leur est tombé du ciel, ce qui explique peu ou prou l’onde de choc provoquée, que ce soit en Tunisie ou à l’étranger par leur réaction et les appréhensions exprimées sur les risques qui entourent le processus démocratique dans le pays.
Manifestement, le tourbillon s’est nourri du mode chaotique qui caractérise le fonctionnement et la gestion des affaires au sein de l’Assemblée des représentants du peuple, qui semble se soucier plus de l’accessoire que de l’essentiel et qui n’en finit pas de décevoir l’opinion publique et les observateurs lucides de la vie politique dans le pays.
Censée être l’un des importants centres du pouvoir et un levier essentiel de contrôle du gouvernement l’ARP, qui vit dans le désordre et la tension, a failli à ses missions originelles. Ne dit-on pas que « La colère nous rend semblables à ces machines, où un rouage en désordre cause une désorganisation entière ».
La responsabilité de cette désorganisation incombe à toutes les parties sans exclusive, dans la mesure où certains n’ont pas reculé pour l’instrumentaliser et que d’autres l’ont transformée en une arène de guerre improductive et de surenchères stériles. Alors qu’elle devrait être le haut lieu d’un débat profond sur des questions essentielles et une source d’initiatives législatives courageuses, elle est devenue, par le jeu politicien et le manque de maturité politique des élus, la caisse de résonnance du blocage de la vie politique et de l’impuissance à aller de l’avant sur la voie du renforcement de la construction démocratique.
Au moment où de sérieux doutes planent sur l’organisation des prochaines élections municipales prévues initialement le 17 décembre 2017, l’ARP a offert aux Tunisiens et à l’opinion publique internationale une piètre image, celle d’une institution qui marche à deux vitesses au gré des influences et des machinations ourdies dans les coulisses.
Résultat, elle n’a pas pu réunir le quorum nécessaire pour débloquer le vide créé par le départ de trois membres de l’ISIE, tout en parvenant par on ne sait quel artifice à faire passer au forceps le projet de loi sur la réconciliation administrative. Cette cacophonie provoquée aussi bien par les manœuvres des partis politiques de la droite ou du centre (Nidaa Tounes, Ennahdha) que par l’aveuglement de la gauche progressiste ( Front populaire…), désoriente et laisse dubitatif.
Ceux qui ont considéré l’adoption de la loi sur la réconciliation administrative comme un complot contre la Constitution, transformant l’hémicycle du Bardo en véritable champ de combat, ne se sont pas pressés au portillon pour permettre le renouvellement partiel de l’ISIE, objet de toutes les spéculations et les calculs. A l’évidence, derrière cette crise, qui donne une image terne de la rentrée politique, apparaît la responsabilité de la majorité des partis politiques, qui font montre d’une complicité suspecte pour le report d’un processus électoral dont ils étaient, dans un passé non lointain, les défenseurs acharnés.
Le spectacle désolant qu’on a pu suivre en direct sur nos écrans, ne fait que renforcer la méfiance des Tunisiens, notamment des jeunes qui ne se reconnaissent pas dans leur classe politique, ni dans les institutions républicaines qui trouvent du mal à jouer pleinement leur rôle de gardien du processus démocratique et de réceptacle de débats contradictoires et féconds. Résultat : au moment où l’on s’attend à une qualité de débat, on a eu droit à un échange d’insultes, de violence verbale et de chamailleries indignes.
Ce qui s’est passé mardi dernier à l’ARP montre, tout compte fait, la perversion de la pratique démocratique, qui reste un slogan qu’on entonne à tout bout de champ et que certains utilisent abusivement pour consacrer la dictature de la minorité. Quel gain ont pu glaner ceux qui ont préféré troubler le déroulement de cette séance plénière en répétant à satiété l’hymne national pour ensuite prendre la poudre d’escampette en laissant le terrain libre à des élus, mobilisés pour la circonstance, pour passer cette loi?
En lieu et place de faire le tour des plateaux de télévision et de multiplier les déclarations incendiaires, les représentants des partis socio-démocrates opposés à ce projet, auraient gagné en crédibilité s’ils ont dénoncé à l’enceinte de l’ARP les véritables visées de cette loi, plutôt amnistiante que de réconciliation.
Il semble que, pour certains, l’apprentissage de la démocratie reste un discours creux, un simple slogan qu’une conviction ou une pratique palpable. Toute la question est là !
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