À près de 12 jours de la soumission de sa version finale à l’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP), le projet de loi de finances 2018 est sur toutes les langues. Que ce soit les partis politiques ou l’Union Générale Tunisienne du Travail (UGTT), tous ont émis leurs réserves sur le projet, notamment sur les hausses d’impôts qu’il devrait comprendre. Qu’en pensent les experts de la version beta du projet ? Dans une déclaration accordée à Réalités Online, l’économiste Moez Joudi aborde le sujet autour d’une idée principale : oser la privatisation.
Un service à la dette de 8,5 milliards de dinars en 2018
L’approche du gouvernement d’union nationale est constructive, selon Moez Joudi, qui souligne qu’elle se base sur la consultation de toutes les parties prenantes au dialogue. « Le budget 2018 ne doit en aucun cas croître de plus de 5%. Une forte hausse peut, en effet, être source d’inflation. Le budget 2018 devrait sans doute se situer aux alentours de 35 à 36 milliards de dinars », explique-t-il. La hausse des impôts, selon l’expert en économie, devrait permettre de faire face à certaines dépenses, dont le service à la dette qui va atteindre en 2018 les 8,5 milliards de dinars, et c’est sans compter la compensation ou encore les salaires qui représentent 14,5% du PIB.
L’augmentation de 1 point de la TVA, rappelle-t-il, devrait être au programme. « Le système à 3 taux sera maintenu, car un système à 2 taux peut stimuler l’inflation, puisque l’on pourrait passer, à titre d’exemple, d’un taux de 12 à 18% », souligne-t-il, rappelant que la TVA passera de 6 à 7% pour le premier taux, de 12 à 13% pour le second, et de 18 à 19% pour le troisième.
Jusqu’à 7 milliards de recettes pour l’État grâce aux privatisations
« La hausse des impôts constitue-t-elle la seule source possible de revenus pour l’État ? ». Réagissant à cette question, Moez Joudi répond par la négative. De fait, il considère que la privatisation de certaines entreprises publiques représente une voie à emprunter. « La situation est catastrophique dans ces entreprises et c’est une étude menée par le gouvernement qui le prouve », affirme-t-il, soulignant que si les critères de la comptabilité et de la bonne gouvernance étaient appliqués dans certaines entreprises, ces dernières auraient déclaré faillite. « L’État doit, bien entendu, garder les entreprises stratégiques telles que la SONEDE et la STEG », poursuit-il.
L’économiste estime qu’il existe 5 entreprises publiques qu’il faut privatiser. Il y a, tout d’abord, la RNTA (Régie Nationale des Tabacs et des Allumettes). Revendre la RNTA à un intervenant étranger, selon Moez Joudi, permettrait à l’État d’encaisser entre 1,5 et 2 milliards de dollars. « La corruption s’est répandue dans l’entreprise, et c’est sans compter le sur-effectif et la production qui tourne au ralenti : environ 60% de la capacité de la RNTA. En la privatisant, l’État sera bénéficiaire et sortira d’un secteur qui n’est pas stratégique. De plus, il n’y aura pas de licenciement car les grands acteurs du tabac ont besoin du personnel », explique-t-il encore.
Après la RNTA, poursuit Moez Joudi, la STAM (Société Tunisienne d’Acconage et de Manutention) et la SNDP Agil (Société Nationale de distribution de pétrole – l’État oeuvre, en effet dans un secteur concurrentiel pour ce dernier cas -, peuvent être privatisées. Arrive ensuite l’une des 3 banques publiques. De fait, l’économiste considère inconcevable l’existence de 3 banques publiques dans le secteur bancaire. Assurance Star constitue la cinquième entreprise publique que l’État peut céder selon Moez Joudi. « Ces privatisations peuvent rapporter à l’État entre 5 et 7 milliards de dinars. Il ne faut pas non plus oublier de miser sur les partenariats public-privé (PPP). Nous avons une loi portant sur les PPP, pourtant, nous ne l’utilisons pas. L’État ne peut pas tout faire », ajoute-t-il encore.
Privatisation : et l’opposition des syndicats dans tout cela ?
D’autre part, la privatisation constitue un concept qui a toujours attiré les foudres des syndicats, y compris en dehors de la Tunisie. Dans ce contexte, Moez Joudi estime qu’il est temps de « remettre chacun à sa place et de lui attribuer son rôle ». Les entreprises publiques, rappelle-t-il, sont la propriété de ses actionnaires, et l’actionnaire principal est l’État. C’est lui, d’après l’économiste, qui doit décider. « Il est inconcevable de constater qu’un syndicat donné puisse déclarer que la privatisation constitue une ligne rouge. Les syndicats et l’UGTT sont des parties prenantes au dialogue, mais pas les décideurs. Le gouvernement doit exposer ce qu’il compte faire des entreprises publiques marquées par une situation difficile », martèle l’économiste, qui considère « inacceptable » que l’UGTT fixe ce qu’il faut faire ou non dans les entreprises publiques.
Néanmoins, plusieurs responsables de la centrale syndicale, selon Moez Joudi, sont favorables au dialogue et au débat. Ces responsables, dit-il, recommandent un traitement du dossier au cas par cas, c’est-à-dire, en définissant les entreprises à privatiser et celles à garder dans le portefeuille de l’État. « Il y a des privatisations qui ont été des réussites, à l’instar d’Attijari Bank – ancienne Banque du Sud – et d’Assurances AMI », assure Moez Joudi, qui souligne que la privatisation ne doit plus constituer un sujet tabou.
L’économiste rappelle, à la fin, que l’économie doit constituer la priorité absolue en Tunisie. Le débat, poursuit-il, ne doit pas être lancé uniquement durant les discussions sur les projets de lois de finances. « La loi de finances doit être intégrée dans une politique économique sur 5 ans. Le Chef du gouvernement Youssef Chahed nous a parlé d’un plan de redressement économique, alors qu’il communique la-dessus ! », conclut Moez Joudi.
Propos recueillis par: Fakhri Khlissa