Par Ridha Lahmar
Cependant, si ces trois urgences sont confirmées et font l’objet d’une quasi unanimité de la part des experts économiques et des institutions financières internationales, il semble que pour diverses raisons les pouvoirs publics hésitent ou traînent en longueur pour mettre en application ces réformes structurelles. Alors que le temps joue contre l’efficacité de ces mesures et engendre encore plus de difficultés pour sortir de l’impasse financière dans laquelle se trouvent non seulement les finances publiques, mais aussi l’économie nationale, aucune initiative n’est prise pour avancer dans le bon sens. Il s’agit de la réforme fiscale, de la réforme du système bancaire ainsi que celle de la compensation des prix de base, du carburant et des produits alimentaires.
Pourquoi cet attentisme ?
Plusieurs motifs sont invoqués par les observateurs avisés. Éviter de provoquer le mécontentement des uns ou des autres. La crainte de l’échec des nouvelles mesures à prendre. Les lenteurs et les complications de l’Administration. La réforme fiscale a trop tardé, car la fraude fiscale a atteint des records dans notre pays et elle est doublée par une grande inégalité sociale. En effet, plus de 70% des recettes fiscales proviennent des salariés alors que les forfaitaires qui brassent de grosses sommes d’argent et bénéficient de revenus élevés ne contribuent que pour 0,01% aux recettes fiscales qui alimentent le budget de l’État.
Il est inadmissible, irrationnel et injuste que 390.000 forfaitaires qui exercent des activités lucratives ne paient en moyenne que 100 dinars par an et ne tiennent pas de comptabilité réelle sous prétexte que le système fiscal tunisien est déclaratif et qu’il n’y a pas suffisamment d’inspecteurs et de contrôleurs du fisc pour sévir. Le pays s’endette lourdement à l’étranger alors qu’il y a des fortunes qui sont hors de portée du fisc.
Le principe de base d’une fiscalité équitable et supportable consiste à faire payer chacun selon ses revenus et non à surcharger les salariés, alors que les professions libérales et commerciales échappent au devoir fiscal. Les commissions constituées par l’ancien ministre des Finances ont travaillé sérieusement et déposé leurs conclusions, ce qui devrait permettre au budget de l’État de bénéficier de recettes fiscales significatives. Il manque une petite dose de courage aux pouvoirs publics pour mettre en application les décisions attendues de la commission supérieure de la fiscalité.
On parle depuis 18 mois avec insistance de la réforme des trois banques publiques, mais le processus a peu avancé. Certes, l’audit confié à des cabinets spécialisés a abouti à des conclusions pour la STB et la BH, mais pas encore pour la BNA. Le constat global est celui de banques qui n’ont plus de ressources financières pour financer le développement de l’économie et les entreprises. Des fonds propres dérisoires, des dépôts en baisse et des créances accrochées en hausse avec une malgouvernance et un surendettement des entreprises publiques clientes.
Il faut assainir les bilans, recapitaliser, instaurer une nouvelle gouvernance de maîtrise des risques, restructurer et recycler le personnel. Même s’il y a une tentative de créer une grande banque publique pour financer les grands projets de développement, la fusion n’est pas la bonne solution, car le mariage de cultures d’entreprise différentes se solde souvent par un échec. Cependant, une bonne dose de privatisation, même partielle, ne peut faire que du bien.
Il faut croire que la BCT a depuis décembre 2013 pris des mesures pour engager les banques privées à assainir leurs bilans et à renforcer leurs fonds propres en prenant des mesures de recapitalisation. En effet la circulaire de la BCT n°2013-21 du 30 décembre 2013 impose aux banques de respecter de nouvelles règles de provisionnement relatives à leurs créances accrochées.
Il s’agit de nouvelles normes destinées à pousser les banques à renforcer leurs fonds propres et à se prémunir contre les difficultés et risques futurs. Il faut croire que la commission chargée de décider de la réforme du système bancaire n’est pas pressée de se réunir et de décider des mesures à prendre. En attendant, la situation des banques empire et les entreprises économiques en souffrent faute de liquidités.
En revanche beaucoup d’argent liquide circule dans le pays, non bancarisé, celui de l’économie parallèle et dont le fisc a grand besoin. Depuis deux ans on parle de réviser le système de la compensation qui a dépassé 5 milliards de dinars et qui bénéficie en fait plus aux riches et aux nantis qu’aux catégories sociales défavorisées. C’est la subvention destinée aux carburants qui occupe la part principale avec plus de 3 milliards de dinars.
Cela concerne la production d’électricité tout d’abord et porte ensuite sur la bonification du prix des carburants. Or, ce sont les grosses voitures 4X4 et berlines de luxe qui consomment le plus et qui bénéficient le plus de la compensation, ce qui est injuste, car c’est la collectivité toute entière qui finance la compensation.
Pour ce qui est des produits alimentaires de base, le même raisonnement est valable, puisque par exemple, sucre et farine compensés servent à la préparation des pâtisseries qui ne figurent pas parmi les denrées de base. Certes il y a des tentatives à la fois timides et maladroites qui ont été prises pour lever la compensation sur le concentré de tomate, mais dans l’ensemble il n’y pas d’initiative dans ce sens et le problème reste entier.