Le projet de loi de Finances 2018 déposé récemment par le gouvernement à l’Assemblée des représentants du peuple ne finit pas de susciter critiques, appréhensions, voire même rejet. Ces critiques ont commencé avant même son dépôt et lorsque les discussions au sein du gouvernement n’étaient pas encore finalisées. Elles vont se préciser après le dépôt du projet et sa publication par le gouvernement. Ainsi, Ouided Bouchamoui, la Présidente de l’UTICA, a-t-elle indiqué que son organisation pourrait se retirer du pacte de Carthage si des amendements n’étaient pas faits dans la loi de Finances pour prendre en considération ses propositions. Par ailleurs, le Secrétaire général de l’UGTT a souligné qu’il était hors de question que la classe ouvrière assume seule le poids de la crise et il a appelé à un partage équitable des sacrifices. Par ailleurs, un grand nombre d’experts ont exprimé une sorte de lassitude face à la crise qui perdure et devant l’incapacité des lois de Finances et des projets économiques des différents gouvernements de voir le bout du tunnel dans lequel s’est retrouvée l’économie tunisienne depuis quelques années.
L’analyse et l’appréciation de la loi de Finances doivent se faire sur la base de sa capacité à relever les défis de l’économie tunisienne et plus précisément à relancer l’économie pour sortir de la croissance fragile qui caractérise notre pays depuis plusieurs années et où la moyenne annuelle n’a pas dépassé 1,5%. Mais, en même temps, cette loi de Finances doit contribuer à relever les trois défis majeurs de l’économie et particulièrement la dérive des finances publiques, la relance de l’investissement et de la croissance et l’accélération des réformes économiques.
C’est sur la base de sa capacité à relever ses défis que la loi de Finances est analysée et appréciée. Reprenons ses défis et essayons d’examiner les réponses apportées par le projet de loi de Finances. Le premier d’entre-eux est celui de la dérive des finances publiques et qui est le résultat d’une progression rapide des dépenses alors que les recettes ont évolué à un rythme beaucoup plus modéré. Quelques données sont significatives de cette descente aux enfers de nos finances publiques. Pour l’année 2017, les dépenses vont atteindre un niveau de 34,5 milliards de dinars alors que les recettes ne seront que de 24,1 milliards de dinars laissant ainsi un gap de 10,3 milliards de dinars qui se traduiront par un recours à l’endettement pour près de 10,3 milliards de dinars. Cette évolution va se traduire par une progression du déficit budgétaire qui se situera autour de 6,1% à la fin de cette année.
Mais, l’évolution la plus inquiétante dans l’analyse de nos finances publiques, c’est le recul de nos ressources par rapport à nos dépenses et qui représente un important indicateur de notre autonomie par rapport aux sources externes de financement et particulièrement aux institutions multilatérales avec lesquelles nous commençons à éprouver les plus grandes difficultés. Cet indicateur devrait se situer autour de 70% à la fin de cette année et nettement en dessous du seuil de prudence fixé par les institutions internationales à près de 85%. Mais, le résultat le plus immédiat de cette dérive concerne l’envolée de l’endettement public qui sera de 67,8 milliards de dinars à la fin de cette année, ce qui représente 69,6% du PIB. Et, même si cette part n’est pas importante si on la compare aux pays fortement endettés dont les pays européens, le service de la dette reste élevé (7 milliards de dinars) et pèse sur les grands équilibres des finances publiques.
Pour faire face à cette crise des finances publiques, le projet de loi de Finances a fixé un budget de 36 milliards de dinars avec des recettes propres qui ne dépasseront pas les 26,4 milliards avec un gap à mobiliser de 9,5 milliards de dinars. Cette prudence dans la gestion des deniers publics pour la prochaine année permettra de ramener le déficit public à 4,9%.
Ainsi, les intentions derrière ce projet sont bonnes et l’objectif de faire face à cette dérive est importante. Mais, ce projet suscite trois commentaires. Le premier est l’accent mis sur les nouvelles taxes ou l’augmentation des impôts existants. Ce choix est au cœur des polémiques et des critiques de cette loi de Finances et de cette exaspération de la part du grand public comme acteurs économiques, l’expression d’une importante « fatigue » et lassitude de ce recours à ce que beaucoup considèrent comme des solutions de facilité dans le domaine fiscal. J’avais mis l’accent sur l’importance et la nécessité d’accorder une plus grande attention au recouvrement et au contrôle fiscal. Le second commentaire concerne le réalisme des hypothèses fixées dans ce projet. Cette question a contribué à la dérive des finances publiques et au recours à des lois de finances complémentaires pour corriger l’optimisme exagéré des différents gouvernements. Enfin, il faut noter que nos finances publiques, et tant que la croissance n’a pas atteint son rythme de croisière, auront besoin de l’injection de 2 milliards de dinars de ressources externes.
Pour ce qui est de la relance de l’investissement, il faut noter que le projet de loi de Finances a inclus quelques mesures et quelques incitations fiscales, notamment la non-imposition pendant trois ans des sociétés créees au cours des années 2018 et 2019, l’appui aux programmes de restructuration des entreprises publiques et les incitations accordées aux entreprises qui vont s’installer dans les régions du développement prioritaire. Ces incitations aussi importantes soient-elles ne suffiront pas à relancer l’investissement et les acteurs économiques n’ont pas cessé de demander des améliorations du contexte et de l’environnement institutionnel pour sortir de cet attentisme. Nous avons également souligné que le véritable défi pour une relance ambitieuse de l’investissement concerne l’absence de grands projets structurants et qu’il est urgent de lancer un grand programme dans ce domaine.
Enfin, le dernier défi concerne l’accélération des réformes et même si elles ne font pas partie proprement dit d’une loi de Finances, il est urgent de favoriser l’exécution des réformes majeures et que nous n’avons cessé de reporter, dont celle des caisses sociales, la caisse de compensation, les entreprises publiques, la fonction publique et bien d’autres. Pour cela, il faut mettre en place les dotations nécessaires dans le budget afin d’exécuter ces réformes.
Certes, le contexte économique est difficile et la fragilité de la croissance ainsi que la forte détérioration des grands équilibres macroéconomiques invitent à la prudence et à la précaution. Mais, nous pensons qu’il faut faire preuve de courage et d’audace afin de sortir de ce tunnel et d’accélérer le rythme de transition économique.
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