La visite du premier ministre tunisien Mehdi Jomâa aux États-Unis, a permis de réaliser pour le moins quatre objectifs : l’instauration d’un dialogue stratégique tuniso-américain encadrant la coopération entre les deux États et permettant l’accès au marché américain, le lancement de la caisse de développement et de l’autofinancement des petites entreprises, l’accord de 400 bourses aux étudiants tunisiens et l’accord d’une garantie de prêt de 500 millions de dollars par les États-Unis. Hormis les objectifs escomptés réalisés, la réception du premier ministre par le président Obama indique un renforcement des relations tuniso-américaines et marque le soutien US à la transition démocratique en Tunisie.
Arrivé mardi, le premier avril à New York, le chef du gouvernement Mehdi Jomâa entamait une visite aux États-Unis après une tournée au pays du Golfe. Un autre signal américain à forte charge symbolique a été émis lors de la visite : la levée de l’alerte du voyage en Tunisie décrétée le 14 septembre 2012 suite à l’attaque de l’ambassade américaine à Tunis. Accompagné d’une délégation composée des ministres de l’Économie et des Finances Hakim Ben Hammouda, des Affaires Étrangères Mongi Hamdi, du ministre délégué chargé de la sécurité nationale, Ridha Sfar, du secrétaire d’État à la Coopération internationale, Noureddine Zekri et du conseiller diplomatique, Hatem Ataallah, le premier ministre aligne ainsi les secteurs de coopération et les dossiers à traiter lors de sa visite. Contrairement à celle du Golfe, elle a été bien préparée, aidée en cela par l’arrivée « surprise » de John Kerry en Tunisie le 18 février dernier.
Lors de sa visite, Mehdi Jomâa a fait le tour des lieux d’influence : locaux de presse et entreprises, rencontres avec le directeur du Fonds monétaire international (FMI), Christine Lagarde, et avec le président du Groupe de la Banque mondiale (BM), Jim Yong Kim. Médias, nouvelles technologies, économie et diplomatie, aucun des quatre piliers du pouvoir n’a été omis durant la visite.
La Tunisie au cœur des enjeux
Le premier enjeu que représente la Tunisie pour les États-Unis est géopolitique. Il est important pour les Américains que la transition réussisse afin d’en créer un modèle démocratique à suivre dans le monde arabe. La démocratie représente en elle-même un facteur essentiel pour la sécurité. Une fois la culture des droits, libertés et citoyenneté assimilée en Tunisie, le pays « produira » moins de fondamentalistes vouant aux gémonies le monde occidental et la démocratie. Le modèle tunisien permettra ainsi de soutenir la sécurité régionale dans une région riche en ressources naturelles et en opportunités économiques.
Le président américain Barack Obama avait, par ailleurs, relevé, en recevant le premier ministre Mehdi Jomâa, que « certains pays ont eu du mal dans cette transition » et de souligner «La bonne nouvelle est qu’en Tunisie, où les révoltes populaires ont commencé, nous avons assisté aux progrès que nous espérions, même s’il y a eu des difficultés ».
L’importance de la réussite de la transition démocratique a, quant à elle, été clairement exprimée par le président américain qui a déclaré lors de la même rencontre « les États-Unis ont un grand intérêt à ce que l’expérience tunisienne soit couronnée de succès »
Le deuxième enjeu consiste en le pari idéologique fait par les Américains sur l’Islam modéré comme rempart à l’Islam radical. En effet et depuis les attentats du 11 septembre, les États-Unis ont tenté en vain, par plusieurs moyens, de contrer le danger terroriste ou de le combattre. Les États-Unis ont continué, comme tant d’autres pays, à en être les cibles. Les USA ont dans une seconde étape soutenu l’Islam politique modéré au pouvoir espérant que les dirigeants islamistes arriveraient à le contenir. Néanmoins, les événements qui ont eu lieu après, à titre d’exemple, l’attaque de l’ambassade des États-Unis en Tunisie et l’assassinat d’un ambassadeur américain en Libye, les troubles survenus en Égypte, ont prouvé l’échec de cette stratégie.
Aujourd’hui, les États-Unis affichent leur soutien au gouvernement de Mehdi Jomâa, composé de technocrates et chargé de sortir la Tunisie de la crise et de la mener aux élections qui ne marginaliseront pas, pour autant, la mouvance islamiste dite modérée, mais offriront aussi la chance à d’autres camps démocrates centristes d’exister politiquement.
En soutenant la Tunisie, les États-Unis amplifient aussi leur pouvoir régional en Afrique. Appartenant au même camp mais souvent en concurrence, la France et les États-Unis ne négligent pas l’importance géostratégique du continent. Riches en potentiel économique et naturel, les anciennes colonies africaines demeurent un terrain du jeu complexe d’influences.
La Tunisie apparait aujourd’hui comme un laboratoire pouvant offrir une nouvelle redistribution des cartes dans la région.
Le président américain Obama a justement annoncé lors de sa rencontre avec Mehdi Jomâa « Je peux résumer ce qui se passe en Tunisie, ce grand projet, comme une start-up», a-t-il affirmé. «Il faut y croire, prendre des risques et investir ».
Coopération stratégique
La coopération entre les deux pays date de plus d’un demi-siècle. En fait, en 1963, un rapport, rédigé à l’intention du président Kennedy, stipulait, entre autres, que les buts de la diplomatie américaine se rapportant à la Tunisie consistaient en l’appui d’une Tunisie indépendante, modérée, pro-occidentale et plus démocratique.
Bien avant son indépendance et lors de son combat pur l’émancipation, la Tunisie a pu compter sur l’appui des États-Unis. Les relations américano-tunisiennes, ont connu peu de crises, les plus mémorables s’étant produites lors du raid israélien sur Hammam Chott en 1985, ou suite à l’assassinat du Palestinien Khalil Al-Wazir en 1988 ou encore lors de la guerre du Golfe en 1990. En matière de sécurité, la coopération a toujours existé entre les deux pays. Elle se décline aujourd’hui sous le titre de la coopération stratégique.
Le chargé de la sécurité au ministère de l’Intérieur, Ridha Sfar, a d’ailleurs, annoncé lors de sa visite aux États-Unis que cette visite s’inscrit dans le cadre de la collaboration stratégique entre les deux États, notamment dans la lutte contre le terrorisme.
L’Économie au secours de la transition
La coopération stratégique entre Washington et Tunis se rapporte aussi au volet économique. Hormis la garantie d’un prêt de 500 millions de dollars, les USA engagent 10 millions de dollars d’allocation à la bourse Thomas Jefferson au profit de 400 étudiants tunisiens voulant étudier aux États-Unis. Il s’agit là, de toute évidence, d’un investissement à caractère stratégique qui vise à former une élite dans la tradition anglo-saxonne en général et américaine en particulier.
Hajer Ajroudi