L’Assemblée des représentants du peuple a rejeté la semaine dernière le projet d’une motion appelant le gouvernement français à présenter des excuses au peuple tunisien pour « les crimes commis pendant et après la colonisation« , présentée par la coalition « Al Karama » de la tendance islamiste extrémiste et dont plusieurs des dirigeants et députés sont de nationalité française! Devenue éminemment dangereuse, cette épineuse question ne doit laisser personne indifférent. De récentes études démontrent en effet que sa manipulation idéologique, politique et religieuse a fait basculer plusieurs citoyens du côté du vote « populiste« . Une manipulation sauvage, sous la coupe des seuls seigneurs de l’ignorance et de l’obscurantisme, ferait planer une véritable menace sur notre jeune et très vulnérable démocratie.
Notre rapport à la France devrait être régi autrement, et principalement par le principe de la transparence et de la compréhension mutuelle, et ce, en dépit de deux références totalement contradictoires. La première est lumineuse, puisqu’elle est imprégnée des valeurs spirituelles et des nobles principes humanitaires prêchés par la Révolution française, source d’inspiration pour le monde moderne. La seconde est sombre, incarnée par l’étape coloniale, avec son corollaire d’injustices, d’exploitations, de crimes affreux et de tentatives inhumaines en vue de dépouiller tout un peuple de son identité nationale. Si la première référence est un héritage humain transcendant les contingences, la seconde est une partie de notre mémoire nationale qui se confond avec l’idée de tolérance et de pardon.
Toutefois, il ne nous est guère permis, au moins moralement, de soustraire l’étape coloniale de notre histoire, puisque l’oubli risque de légitimer et reconduire le crime commis.
La limite doit donc demeurer infranchissable, car elle est fragile et exposée à tout moment à la dissolution, surtout avec la résurgence du sentiment nationaliste et colonialiste. Nombreux, en effet, étaient les exemples de ceux qui, en France, plaidaient en faveur de la colonisation. Pire, ils faisaient l’éloge, de manière on ne peut plus rancunière et raciste, des crimes coloniaux.
Pendant soixante-quinze ans, la Tunisie a fait partie de l’Empire colonial français. Conquête sanglante, relégation à une sous-citoyenneté, à une sous-humanité, école ségréguée, enseignements discriminants, « code de l’indigénat » avec des assassinats politiques sans enquête, sans défense, sans procès, sans passer par la case justice. Scandalisé, Tocqueville écrivait: « Nous avons dépassé en barbarie les barbares que nous venions civiliser« .
De tels souvenirs sont indélébiles, d’autant que certaines « plumes » de la droite négationniste française continuent à déverser leur venin raciste pour assombrir davantage l’image de la France multiculturelle et multiraciale. Mais que quelques politicards et députés trouvent dans cette question incendiaire de quoi nourrir leur ignorance et leur arrivisme mesquin, est semblable en fait aux agissements des traîtres du temps de ladite colonisation. C’est qu’on assiste à un déferlement de clowns et d’interprètes du « patriotisme » hauts en couleur, qui font semblant de comprendre les nouveaux enjeux stratégiques! La carnavalisation de cette question par quelques « députés » intégristes et populistes ne désarmera pas. Qu’est-ce que le résultat d’un Carnaval?! C’est d’avoir fêté. L’important, c’est de danser! Quand tout le monde est chantre du patriotisme ou prédicateur du nationalisme, il n’y a ni l’un ni l’autre. Il n’y a que dans le carnaval que tout le monde peut être laudateur et prédicateur. « Ça crée de l’ivresse, de la satisfaction fictive« , écrivait le philosophe Allemand Peter Sloterdijk en évoquant le carnaval des populistes.
La question maintenant n’est pas de savoir qui est « patriote » et qui ne l’est pas, mais plutôt comment empêcher que ces faux patriotes montent au pinacle. Dans notre scène politique, on connaît trop bien les noms des prétendants. Ce sont eux qui soutiennent la tendance vers le chaos.