A la croisée des chemins

La Tunisie se prépare à vivre un rendez-vous politique majeur, ce 6 octobre 2024. L’élection d’un nouveau président de la République pour les cinq prochaines années fera entrer le pays dans une nouvelle phase de son histoire chargée d’imprévus inhérents aussi bien à la situation conflictuelle intérieure qu’aux bouleversements violents que connaissent la région arabe et la scène internationale.
Aucun pays aussi souverain soit-il ne peut vivre en vase clos, coupé du reste du monde, même le plus lointain. La mondialisation avait cet objectif impensable dans des temps anciens qui consiste en l’ouverture et en l’interdépendance entre les pays et les peuples, que certains appellent ingérence, en dépit de leurs différences culturelles, identitaires, économiques, politiques… Si au début, la mondialisation a montré le bon côté de ses ambitions économiques et des échanges culturels entre les nations, très vite les relations se sont compliquées pour nombre de pays, du Sud notamment, qui ne se sont pas accommodés des écarts de développement ni des pressions étrangères dans leurs affaires intérieures, croyant, encore, qu’un monde plus juste, plus équitable, plus respectueux des valeurs universelles et humaines, est possible.
La situation dans le Proche-Orient, après l’assassinat du leader du Hezbollah, Hassan Nasrallah, et de plusieurs commandants de l’organisation de la résistance libanaise, a pris un nouveau tournant dans les relations internationales entre l’Occident et le monde arabe. Ce qu’elle n’a pu réaliser à Gaza, l’entité sioniste l’a réussi au Liban, de manière spectaculaire. Désormais, rien n’arrêtera plus les sionistes colonisateurs et la suprématie occidentale va dorénavant donner le tempo dans la région. Même les pays déjà « normalisés » ne sont pas à l’abri des desiderata incontrôlables israéliens et américains et ils n’auront pas plus les faveurs et les honneurs des colonisateurs (Etats-Unis et Israël sont contre la formule des « Deux Etats ») que ceux qui vont être contraints, d’une manière ou d’une autre, de signer les Accords d’Abraham. Sinon, ce sera la guerre. Netanyahu l’a dit, Biden et tous les dirigeants occidentaux l’ont, également, affirmé et ressassé : Israël a le droit de « se défendre », comprendre par-là « frapper n’importe quel pays sans limites et sans retenue », afin de garantir sa sécurité. Trump pense même qu’Israël est un territoire trop petit et qu’il doit à présent s’étendre. Mieux : le ministre de la Défense américain déclarait récemment : «Tout ce qui nous intéresse, c’est la protection de nos forces armées basées dans la région et la défense d’Israël». C’est tout dire de l’implication des Américains dans les massacres des enfants et des civils palestiniens à Gaza et libanais au Sud-Liban.
Autrement dit, il faut s’attendre à des jours et des années difficiles dès lors que l’entité sioniste a réussi à déstabiliser la plus grande organisation résistante du monde arabo-musulman et qu’elle a les coudées franches pour aller vers la concrétisation de son projet ultime, « le Grand Israël ».
Après Gaza, c’est le tour du Liban, viendra également le tour de la Syrie, de l’Irak, du Yemen, l’axe de la résistance, promet Netanyahu. Les autres, « les amis », ce sera sans doute en fin d’expansion guerrière. Et le Grand Israël sera. Netanyahu s’est fait un plaisir d’exhiber la carte géographique de son rêve et de celui du sionisme lors de son discours à l’Assemblée générale des Nations unies.
C’est l’ancien projet existentiel des sionistes, les Arabes vont-ils laisser faire ? C’est la question à la grande inconnue car les divisions entre les pays arabes sont historiques et si profondes qu’il est quasiment impossible qu’ils puissent un jour s’entendre entre eux au point de former une Union, une Alliance, une Force militaire commune, qui pourrait tenir tête aux forces américaines et celles de l’Otan qui soutiennent Israël aveuglément dans ses massacres contre les Palestiniens et les Libanais, et demain contre tous les Arabes.
Aujourd’hui, Israël compte des amis parmi les pays arabes, mais qu’en sera-t-il demain quand l’entité sioniste voudra encore manger du territoire, dans un contexte mondial où la communauté internationale fait preuve d’impuissance pour faire respecter le droit international et le droit international humanitaire par l’entité sioniste ?
La Tunisie n’est pas bien loin de tout ce brouhaha, contrairement à ce que prétendent certains. La Tunisie, qui a de tout temps soutenu la cause palestinienne aux côtés de quelques autres pays arabes, est aujourd’hui à la croisée des chemins, face à l’absence flagrante de la solidarité arabe dans les moments difficiles, notamment avec Gaza et aujourd’hui le Liban ; hier, l’Irak et la Syrie, le Yemen, la Libye. Des choix difficiles devront être faits. Les Tunisiens devront les faire ensemble, unis.
Dans nos murs, à l’échelle nationale, les choses ne sont pas simples non plus. Ce scrutin présidentiel qui se déroule dans un climat de tensions, de divisions, de rancœur, ne prépare pas le pays à une étape sereine de son histoire. Les divisions vont se poursuivre, voire se creuser et menacer davantage la paix sociale et la stabilité de la Tunisie si le dialogue et la communication ne sont pas rétablis entre les hautes sphères du pouvoir et les différentes catégories sociales et sociétales.
Le président qui sera élu, quel qu’il soit, a une première mission à accomplir, de toute urgence, c’est la réconciliation des Tunisiens entre eux pour préserver leur unité et l’immunité de la Tunisie dans un contexte de bouleversements stratégiques et historiques, régionaux et mondiaux, qui nous échappent mais qui nous menacent. La réconciliation ne signifie pas impunité ou laisser-faire mais expliquer, justifier, convaincre les Tunisiens de la justesse des décisions et des mesures impopulaires, injustes et abusives pour certains. Ce n’est pas difficile quand l’intérêt supérieur de la nation est placé au-dessus de toutes les priorités nationales. Dans le cas d’une escalade au Moyen-Orient, les pays arabes ne seront pas à l’abri de frappes israéliennes ni de soulèvements populaires et la Tunisie devra pouvoir résister et sauvegarder sa stabilité.

Cela ne sera possible que dans l’unité des Tunisiens. L’heure est grave et les défis sont colossaux, voire vitaux pour l’Etat et le peuple tunisiens.

 

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