A Madame la ministre des Finances

Madame la ministre.
Il n’est pas besoin d’avoir lu l’œuvre d’Ibn Abi Dhiaf «Ithaf ahl-alzaman bi Akhbar muluk tounes wa āhd el-aman» (présent des hommes de notre temps. Chroniques des Rois de Tunis et du pacte fondamental) et de connaître les déboires de Sadok Bey pour savoir qu’on ne peut indéfiniment compter sur les dettes pour sauver une économie dévastée. Il n’est pas besoin, aussi, d’avoir une idée bien précise sur la théorie d’Ibn Khaldoun dans son œuvre majeure «Le livre des exemples» (kitab-al-ibar) et surtout sa «Muqaddima» pour découvrir que les inégalités économiques sont un poison. Lorsqu’elles se creusent et ne sont pas bien traitées, elles font vaciller la paix sociale. Karl Marx a éclairé le même chemin en mobilisant, au premier tome du «Capital», la figure du vampirisme pour symboliser celle des spéculateurs. Je ne suis pas un expert en économie, mais je connais, en tant qu’homme de lettres et d’histoire, que l’art d’être ministre des Finances exige de respecter ces trois piliers de l’économie. Un tabouret à trois pieds. Si votre politique en oublie un ou en privilégie un autre, cela peut mal finir. Tous ceux qui ont ignoré cette évidence se sont obstinés dans une escalade qui n’a réglé aucun des problèmes économiques et sociaux du pays. La vraie crise de notre pays marque les illusions perdues d’un modèle économique et social daté des années cinquante, ainsi que d’un pouvoir d’achat toujours financé à crédit. Les grands experts de l’économie mondiale n’ont jamais cessé de rappeler que la création de monnaie par le crédit mène au désastre. Il faut reconnaître que, face à ce qui apparaît aujourd’hui comme une crise aiguë, surtout dans un domaine aussi stratégique, il y a eu un aveuglement de vos prédécesseurs, une défaillance majeure.
Il va sans dire que réformer cette situation ressemble aux travaux d’Hercule. Il faut, à la fois, beaucoup d’énergie et de patience et plusieurs compétences autour de vous pour y arriver et vaincre tous les fléaux qui alimentent la pauvreté, le chômage, le mépris social, le népotisme et la corruption.
Vous savez certainement, Madame la ministre, que les dents du vampirisme sont en train de repousser pendant que les slogans perdent leurs attraits. La mondialisation a complètement changé le monde et nous continuons à appliquer des théories classiques qui n’ont pas notablement changé depuis des décennies. Cette situation doit conduire tous les responsables à réfléchir sur cette logique économique et financière qui montre quotidiennement des signes d’essoufflement dramatique.
Tout le monde reconnaît que vous avez hérité d’une situation très difficile, qui fait eau de toutes parts. Mais l’heure n’est plus aux rafistolages, aux petits ravalements de façade, ni aux «solutions» populistes qui ne sont, en fin de compte, que des miroirs aux alouettes.
Laissez-vous guider par l’urgence de la situation : la vocation première d’un haut responsable est de protéger les citoyens, à commencer par les plus jeunes, les vieux et les pauvres, non seulement des risques qu’ils encourent, mais de tout ce qui, de près ou de loin, est dangereux pour leur vie. Il faut pousser à des réformes pour casser les structures monopolistes en faisant preuve d’audace dans cette démarche, car le temps n’est plus aux atermoiements. On est en droit de s’attendre, après votre nomination, à une nouvelle donne pour l’économie de notre pays. Après tout, au milieu de tous les problèmes, accumulés depuis des années, existe un chemin étroit, dont vous pouvez devenir l’éclaireuse sur le terrain de la réforme en renonçant à une politique économique et financière verticale et en partageant sa mise en œuvre avec les organisations ouvrières et patronales.

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