À propos de Daech, L’exogène et l’endogène dans la transformation tunisienne

Un spectre nommé Daech dresse le miroir où la Tunisie de Bourguiba perçoit l’image de son pire à venir. Tel est le point de vue ruminé par les franges émancipées de la société bipolarisée. Aux mines ponctuelles et aux quinze décapitations succéderait alors l’attaque éclair menée au rythme dont furent conquis, comme par magie, les territoires envahis à l’interface de l’Irak et de la Syrie. À ce cauchemar de modernistes correspond l’idéal des djihadistes. Par son discours performatif, l’émir autoproclamé, une fois reconnu par des milliers, abolit la distance établie entre la représentation et la réalité armée. Incarner « l’État islamique » prescrit sa frontière indéfinie entre le profane et le sacré. Au plan de l’investigation, les tenants des sciences dites sociales observent là un flagrant délit commis par le pouvoir de la représentation.

Et ceci par delà je ne sais quelle géostratégie ou complot ourdi. Pour l’instant, les interférences étrangères, la présence d’Algériens parmi les activistes arrêtés en Tunisie ou les nombreux tunisiens partis combattre avec l’EI subvertissent la barrière de coutume supputée entre les dynamiques externes et internes. Par ce biais, la mondialisation exhibe l’un de ces multiples aspects. Peu conformes aux antiques spéculations utopiques, ainsi opèrent aujourd’hui les modalités empiriques de l’universalité. Jamel Abdennasser paraît inspirer des héritiers.

Selon l’Émir, son État islamique étendra ses assises telluriques du Golfe arabique à l’Océan atlantique. En Tunisie et ailleurs œuvrent déjà les affiliés aux espèces d’Ansar Acharia. Divulguée par le ministre de l’Intérieur, la dernière vient de surgir et de rugir, tel un tremblement de terre. Brillante étudiante en médecine, la jeune dame de vingt ans, mandatée par Abou Iyadh figurait parmi les éléments découverts à l’origine de la crainte et du tremblement. Pour les démocrates, par définition allergiques aux théocrates, ce cas suffit à soulever un coin du niqab sur le panier de crabes. Loin d’être singulier, il tend à remettre en question l’explication du djihad par la réduction de ses raisons à la misère et à l’échec scolaire.

Médecins, artificiers, ingénieurs et autres compétences n’ont jamais cessé d’entrer dans la danse. Le second volet de la thèse erronée masque ou minimalise les complicités engrangées par les salafistes armés. Les services de sécurité français alignent quarante pays où les intérêts de l’hexagone seraient menacés.

 

Diriger la coalition et soutenir l’État-colon

Les Talibans d’Afghanistan et des organisations djihadistes à rayon d’action jusque-là plus ou moins localisé proclament leur soutien à Daech et réclament de leurs militants de renflouer les rangs de l’Émir, attaqués par l’aviation de la coalition. La direction de celle-ci par l’éternel et inconditionnel soutien de l’ultime État-colon au mépris de tous les droits nourrit les sympathies captées par l’EI. Au niveau symbolique l’appellation « État islamique » esquisse une entité à double entrée.

La fraction cultivée, modernisée, minoritaire et privilégiée des populations, peu dupe de pareil intitulé aperçoit l’arrière-plan politique du paravent islamique.

Elle porte l’accent sur les massacres, les viols et l’esclavage remis au goût du jour à la manière d’un butin de guerre distribué entre les combattants ainsi récompensés.

Au vu de pareilles informations, mes collègues du quartier prennent partie contre Daech et pour les États Unis. Les employés des deux grandes surfaces, les buralistes, les marchands de fruits et les bouchers ne cachent pas leur adhésion aux avancées guerrières de combattants alignés derrière l’islamique bannière. Ces flux contradictoires et pour une large part sous-analysés donnent à voir la diversité où prévaut la complexité. Ces dessous des urnes pourraient les influencer à l’insu des contrôleurs souvent bernés par leur candeur.

Hafidhta chay’an wa ghabet anka achayaou (tus as appris une chose mais bien des choses t’échappent).

 

Nous pouvons nous passer de nourriture

Manipulée ou non, la religion occupe une position centrale dans les dispositions subjectives et les structures solides des pays compris entre le Golfe persique et l’océan atlantique.

L’illustration exemplaire de cette fonction dévolue à l’imaginaire demeure le mot d’ordre prescrit par l’imam Khomeyni.

Il convie les iraniens menacés par l’embargo américain à monter sur les toits et à crier, tous ensemble Allahou akbar « pour prouver au monde entier que nous pouvons nous passer de nourriture ».

Le procédé pourrait prêter à sourire, mais le réalisme de ce curieux surréalisme renoue avec les épiphanies prophétiques et convoque les effets pratiques du champ symbolique. Pareille sollicitation de l’extraordinaire invité sur terre relève, maintenant, de l’impensé chez Angela Merkel, David Caméron ou François Hollande. A Sidi Bouzid, Kasserine ou Jendouba, qui parmi les autoproclamés athées oserait monter le bout du nez ? Jusqu’à nos jours, Bush et son caniche réunis peinent à digérer le pouvoir mobilisateur du mot proféré par l’imam Khomeyni. Sous les bombes, Saddam Hussein, le chantre du “nationalisme arabe », à connotation pourtant socialiste et laïque, invite le djihad à la rescousse d’une situation critique. Ce bain ou cet ambiant de la croyance religieuse où tout plonge confère à Deach ses conditions de possibilité en dépit des allures insensées.

L’État islamique, phantasme emblématique partagé par les tenants de l’univers charaïque, pousse des ramifications infigurables et trouve de bons amis partout, y compris là où professa Bourguiba. Dès lors, l’étonné par Daech se trompe de sociétés. Infiltrées au cœur de la transformation accélérée, les cellules dormantes ne dorment pas. Elles perpétuent le spectre monté sur le cheval de Troie. Selon les férus de l’explication par le complot, Daech serait la production du machiavélisme isréalo-américain. Les deux économies de guerre provoquent les situations conflictuelles pour écouler des armes et recréer des adversaires à bombarder. Le pire serait la paix. Dans pareille hypothèse, ou une autre du même genre, l’intervention exogène interfère avec les antagonismes endogènes. Chi‘a et sunna préexistent aux impérialismes anglais, français, américain ou les trois à la fois. Les États-Unis ne manquent pas de puissance économique, scientifique et militaire, mais la manière de la représenter sous forme de l’ogre à tout faire ajoute un grain de sel au pouvoir de leur politique hégémonique.

 

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