Par Ridha Tlili
Je pense que tout a été dit ou presque à propos des archives nationales suite à « l’affaire Ben Sedrine » ou plutôt à l’affaire « Des archives de la présidence de la République ». Cependant, il y a quelques remarques à ajouter :
La collecte des archives nationales n’est pas une chasse aux trésors, ce n’est pas donc celui qui arrive le premier qui en prend possession.
Tout transfert d’archives ne peut se faire sans établir au préalable un inventaire précis en indiquant le nom de la personne qui a conduit l’opération et la date de sa clôture. Le nom de celui qui a conduit l’opération est significatif et surtout la date (j’insiste sur la date) parce que cette dernière constitue un indicateur important dans l’analyse. Dans certains cas, elle est essentielle s’agissant notamment des archives politiques et diplomatiques.
L’accès à cet inventaire doit être possible à tous « dans le cas où il existe » aux historiens, journalistes et chercheurs de tous bords…. Par ailleurs, une copie de cet inventaire doit être remise impérativement aux Archives nationales avant tout transfert.
La véritable question serait de savoir s’il existe un inventaire des archives de la Présidence même partiel et est-ce que nous pouvons y accéder ? Quand cet inventaire a été établi et par qui ? Une autre question non moins importante serait de savoir aussi si cet inventaire a été fait avant ou après la Révolution et s’il y a eu présence d’un huissier-notaire, d’un représentant de la direction des Archives nationales ou encore des représentants d’instances mandatées.
Les services de la Présidence ont publié une sélection de documents lors du mandat de l’ex- président le Docteur Moncef Marzougui. Quel sens accorder à ce choix ? S’agit-il d’un déclassement qui obéit à une logique politique sélective de l’histoire de la Tunisie ou s’inscrit-il plutôt dans un contexte de sensibilisation à accorder à ces fonds existant à la présidence de la République. ( je n’évoque pas le livre noir parce qu’il relève d’une autre démarche). En tout cas, ces deux publications démontrent que ces fonds d’archives ont été bien visités et qu’il fallait les remettre immédiatement aux Archives nationales, nous aurons ainsi évité de vivre une situation grotesque marquée par l’absence de tout professionnalisme et par une légèreté du moins étonnante.
Un conseil à toute la classe politique : Ne transférez jamais des fonds d’archives sans mandat précis et surtout sans inventaires vérifiables et identifiables. Toute entorse à ces règles même de bonne foi fait de celui qui la commet un receleur voire même un faussaire.
Un autre conseil aux nouveaux locataires du palais de Carthage, ne manquez surtout pas de faire l’inventaire de tous les biens de la Présidence, y compris les archives. En toute logique ce sont les Archives nationales qui doivent disposer d’une copie de cet inventaire, autrement cette affaire fera partie « des mystères » de Carthage lors du mandat du Dr Moncef Marzougui.
Cependant, il ne faudrait pas croire qu’en étudiant ces archives, des révélations spectaculaires seront découvertes, et ce pour trois raisons :
– Ceux qui ont déjà gouverné et manipulé ces archives ne sont pas assez stupides pour laisser des traces évidentes de leurs compromissions effectives dans les exactions et les crimes commis
– Les contenus des archives ne constituent pas nécessairement la vérité.
– Certaines faux/vraies archives sont établies précisément pour étouffer la vérité.
Il ne faudrait donc pas croire à l’impartialité, la neutralité et l’authenticité de tous les documents d’archives. Il y’a donc un travail d’investigation qu’il faudrait envisager, qui prend du temps parfois, pour faire parler les archives. C’est un travail de spécialistes.
Enfin, je rappelle pour ceux qui ne le savent pas encore, que la collecte, le traitement et la conservation des archives est une profession difficile qui demande plusieurs années d’études supérieures et que les acquis d’aujourd’hui permettent d’avoir de hautes institutions qui symbolisent l’État. Nous pensons ainsi tout particulièrement aux Archives nationales, à la Bibliothèque nationale qui sont, en grande partie, le résultat de plusieurs années de lutte de nos associations professionnelles archivistes, documentalistes et bibliothécaires et des collègues historiens pour ériger ces institutions, essentielles pour la sauvegarde de la mémoire nationale.
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A propos des Archives nationales , Ça n’est pas une chasse aux trésors