A quelque chose malheur est bon ?

Le retentissant flop politique et l’abstention massive (90%) ayant caractérisé les élections législatives en Tunisie, ce 17 décembre, altèrent la légitimité du pouvoir absolu du président Kaïs Saïed. Alors que la Tunisie n’arrive plus à payer les salaires de ses fonctionnaires (sans s’endetter) et alors que le FMI exige des réformes économiques douloureuses et structurelles, Kaïs Saïed n’en fait qu’à sa tête ! Les dégâts sont énormes et les lignes de démarcation vont bouger rapidement ! Pourquoi…
Avec un taux de participation de 11,22%, le président Kaïs Saïed est sévèrement sanctionné par les absentéistes (90% des votants) qui lui signifient leur déception, leur désaffection et leur discrédit.
Le président perd de son lustre et de sa crédibilité. Mais va-t-il prendre la mesure du désaveu ? Il ne peut plus jouer son jeu, celui de déblatérer des théories fumeuses (sur les agences de notation, sur les capitaux dans les banques suisses, sur les spéculateurs…). Il doit regarder la vérité en face, et procéder aux choix douloureux et défis à relever par la Tunisie, ici et maintenant. 
Certes, Kaïs Saïed a encore des cartes dans sa manche. Son Opposition est divisée, morcelée et aussi discréditée. Les principaux médias de la place sont infestés par la corruption et rongés par la médiocrité de grand nombre de chroniqueurs girouettes.
Seulement onze pour cent des électeurs ont voté lors de ces élections de samedi pour un parlement factice, édenté, dépouillé de pouvoirs face à un Saïed, qui détient désormais tous les pouvoirs. Un président qui trône sur tous les pouvoirs, voulant être le 1er responsable, et le dernier imputable.
Avec ce taux d’abstention, ces élections législatives seraient invalidées dans de nombreux pays démocratiques. Mais, pas en Tunisie ! En Tunisie, on pactise et on compose avec tout!

Comment expliquer ce flop électoral  ?
Les élections législatives ont eu lieu à l’occasion du 12e anniversaire de l’événement qui a déclenché le soulèvement pro-démocratique du pays, l’auto-immolation du vendeur de fruits Mohamed Bouazizi, à Sidi Bouzid.
L’élection législative du 17 décembre 2022, est venue couronner un an et demi d’incertitudes politiques, depuis que Kaïs Saïed a limogé le gouvernement, encerclé le parlement par des chars de l’armée et pris les pleins pouvoirs exécutifs en juillet 2021. Il faut dire que le parlement dominé par le Cheik islamiste Rached Ghannouchi était devenu un ring de boxe pour les corrompus de tout acabit.
Peu de Tunisiens ont manifesté un intérêt pour l’élection, sans débat public sérieux au sujet des arbitrages requis pour notamment implanter les mesures proposées par le FMI.
Sans vision et sans projet à défendre, les 1 055 candidats, dont 56% sont des fonctionnaires ou des enseignants cherchaient un complément de salaires et plus de prestige social. La plupart étaient d’illustres inconnus et moins de 12% étaient des femmes.
En vertu d’une constitution, que Saïed a écrite et a adoptée dans la précipitation, lors d’un référendum également largement boycotté en juillet, les partis politiques ont été mis à l’écart et les candidats se sont présentés à titre individuel.
La plupart des partis du pays, y compris Ennahdha, avaient appelé au boycott.
La nouvelle assemblée, en plus d’avoir très peu de soutien populaire, sera largement édentée, factice en vertu d’une constitution qui rend presque impossible pour elle de limoger le gouvernement ou de demander des comptes au président.
La faiblesse du taux de participation est aussi explicable par la grave crise économique qui secoue le pays et les désillusions des jeunes en chômage de longue durée et dont le pouvoir d’achat a été laminée par les dévaluations successives du dinar.
Comment cela affecte-t-il Saïed ?
Malgré son emprise autoritaire sur le pouvoir, la faible participation constitue un autre énorme revers pour Saïed. Celui-ci comptait sur le soutien populaire pour légitimer ses actions et resserrer son emprise sur tous les pouvoirs, dans le cadre d’une approche jugée autoritaire et populiste.
Kaïs Saïed, cet ancien professeur de droit constitutionnel, a été élu avec 70% des voix en 2019. Il s’est appuyé sur cette confiance pour justifier son emprise sur les rouages de l’État, de la police et de l’armée.
Malgré tout, Kaïs Saïed a vu le vent tourner et il avait multiplié les apparitions publiques les jours précédents le vote des législatives pour susciter l’intérêt des électeurs. Vainement, les électeurs ont boudé ces élections, et exprimé leur rage face à toutes ces promesses contradictoires, irréalistes et irréalisables.
La légitimité populaire du président Kaïs Saïed est en train de s’effondrer, en chute libre et cela risque de susciter des troubles sociaux et davantage d’instabilité dans un pays meurtri par 12 ans d’essai-erreur et de mal-gouvernance.

Une opposition divisée et peu crédible
Ennahdha, de l’islamiste Mohamed Ghannouchi (84 ans) est son ennemi juré. Le Parti destourien libre (PDL), résolument laïc, et bien d’autres partis peu populaires (0,01 ou 1%) en vote dans les précédentes élections) ont exigé la démission de Saïed et l’annonce d’une élection présidentielle prématurée.
Des doléances et des vœux pieux, les textes législatifs ne comportent pas de mécanismes institutionnels pouvant invalider son mandat et le pousser au départ.
Connaissant la personnalité du président Kaïs Saïed, ce dernier ne démissionnera pas de son propre gré et il va s’accrocher mordicus au pouvoir.
Il ne va même pas admettre que ces élections ont été un échec et un gros gâchis pour le capital de confiance envers les politiciens en Tunisie.
Il ne sortira pas publiquement pour dire par exemple qu’il a compris le message et que désormais, il va faire mieux, sur une base de concertation élargie et avec l’appui de nouveaux conseillers notamment dans les dossiers cruciaux de l’économie.
Lorsque la constitution a été adoptée lors du référendum avec un taux de participation d’un peu plus de 30%, il a également refusé d’admettre sa défaite et ses maladresses dans l’analyse du contexte politique du pays.
Ce dont il avait besoin pour s’accrocher au pouvoir et pour probablement un autre mandat, est simple : un parlement factice peu crédible et des électeurs qui boudent les élections. Sur ce plan, il a quelque part atteint ses objectifs personnels.
L’opposition tunisienne est profondément divisée, morcelée et peu démocratique dans son fonctionnement propre. La cote de confiance s’érode et plusieurs dizaines de partis créés ex nehilo après la révolution du Jasmin ont simplement disparu de l’espace politique.
Une grande partie de la division provient des attitudes envers Ennahdha, qui avait dominé le gouvernement et le processus législatif tunisien pendant une décennie jusqu’à la prise du pouvoir de Saïed.
De nombreux Tunisiens blâment Ennahdha avant tout pour les difficultés économiques et politiques actuelles du pays. Le trésor public est quasiment exsangue, vidé de ses réserves et marges de manœuvre.
Le manque d’unité de l’opposition signifie que les manifestations anti- Saïed rassemblent rarement plus de 4000 personnes. Des partis qui ne peuvent mobiliser la rue pour mettre pression sur Kaïs Saïed et l’amener à changer ou partir.
Les médias de grande écoute ne sont pas plus crédibles et toutes ces radios et chaines de télévision n’arrivent pas à convaincre par leurs analyses et explications au sujet des choix douloureux que doit faire la Tunisie.
Beaucoup de ces médias sont infestés par la corruption et leurs chroniqueurs sont décriés. La presse écrite ne fait pas mieux que les médias de l’audiovisuel. Le président Kaïs Saïed connait leur fragilité et les boycotte de facto. Il ne donne pas d’entrevues et encore moins de communiqués détaillés sur ses décisions, sur ses prêts…sur le budget de L’État.
La puissante fédération syndicale UGTT est l’un des rares acteurs capables de mobiliser des manifestations de masse.
Seul un effondrement économique peut débloquer la situation et faire changer la donne, par la force même des choses.
La Tunisie connait une grave crise économique, cumulant une dette insoutenable, un taux de chômage énorme, une monnaie qui se déprécie dangereusement et un secteur informel qui draine vers lui les affaires et les devises fortes.
Le FMI impose des conditions strictes et ses réformes risquent de susciter une autre révolte sociale, qui peut emporter Kais Saeid au passage.

Les forces et les puissances étrangères
Pourtant, alors que la Tunisie attend que le Fonds monétaire international approuve un plan de sauvetage de près de 2 milliards de dollars, Saïed avance en reculant, il ne veut pas dire qu’il épouse totalement les douloureuses réformes économiques imposées au pays.
Il développe un double langage, l’un pour les bailleurs de fonds et les pays donateurs et l’autre pour la consommation locale. Les deux langages sont aux antipodes.
Mais, il sait que son salut et maintien au pouvoir passe par le FMI, et autres bailleurs de fonds. Le déficit public est budget budgétaire est 9 milliards de dollars en 2022.
Les Etats-Unis, qui ont critiqué la prise de pouvoir de Saïed, ont déclaré dimanche que les élections étaient « une première étape essentielle vers la restauration de la trajectoire démocratique du pays ».
Le soutien de Washington sera essentiel pour obtenir les fonds du FMI qui débloqueraient ensuite d’autres financements potentiels des pays européens et du Golfe.
Les puissances occidentales essayaient de trouver un « équilibre entre leurs valeurs démocratiques et leurs intérêts » en ce qui concerne la Tunisie.
L’Algérie avance en cachette des fonds (sous conditions méconnues par le grand public) au régime de Kaïs Saïed. Et cela ne peut pas s’éterniser.
Les pays et médias occidentaux n’accordent pas trop d’importance à ce qui se passe en Tunisie, tant que l’ordre public est maintenu et tant que le régime serre le contrôle de ses frontières, pour contenir les départs massifs des jeunes tunisiens vers l’occident. La petite taille de l’économie fait que la Tunisie ne fait pas partie des enjeux et défis à relever dans l’immédiat.
La mobilisation de financements internationaux reste la clef de voûte de la survie du système instauré par Kaïs Saïed. En contrepartie, ces bailleurs de fonds vont exiger la restructuration (privatisation) de certaines sociétés d’Etat et la flexibilité du taux de change (dévaluation du dinar d’au moins 20%).  Kaïs Saïed ne peut pas se débiner et il doit cette fois-ci expliciter franchement ses choix budgétaires et ses priorités économiques sans détour ! Faute de quoi, il expose le pays à une banqueroute certaine !
Voilà à quoi peut-on s’attendre pour cette fin d’année, et pour les prochains mois ! Autant dire, un hiver chaud…
A suivre…

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