A qui profite le décret “premier logement” ?

La convention signée en grande pompe il y a quelques jours en présence du Chef du gouvernement par 15 banques de la place, dont la Banque de l’Habitat, la Chambre nationale des promoteurs immobiliers et les représentants de l’Etat, les ministères de l’Equipement, de l’Habitat et des Finances vient de soulever une grande polémique à l’ARP.
En effet, Mongi Rahoui président de la commission des finances et Samia Abbou, députée de l’opposition viennent de faire des déclarations à la Presse dans lesquelles ils ont pointé du doigt le décret du Chef du gouvernement portant sur l’instauration du “programme premier logement” et dénoncé une vaste opération de présomption de corruption.
Ils menacent de porter cette affaire devant l’instance nationale de lutte contre la corruption. Un recours auprès du Tribunal administratif pour annulation a été introduit.
Du coup, il y a un risque pour l’Exécutif de faire machine arrière ou tout au moins de réviser sa copie.
Pourquoi ? De quoi s’agit-il au juste ?
Les problèmes, car il y en a deux, comportent les données suivantes, l’une à caractère financier essentiellement et l’autre à connotation plutôt socio-politique.
Le premier, c’est que le secteur de la promotion immobilière est aujourd’hui lourdement endetté vis-à-vis du système bancaire avec des échéances échues et impayées, mais provisoirement rééchelonnées à cause d’un ralentissement inquiétant des ventes et un stock qui s’accumule de façon alarmante de logements achevés ou en construction avancée (6000 logements économiques dont 1100 achevés).
Les prix étant très élevés les candidats ne disposent pas des 20% d’auto-financement prévus par la réglementation en vigueur.
A remarquer que les crédits bancaires ne peuvent pas dépasser 150.000 D.
En attendant, le compteur des taux d’intérêts tourne à plein rendement aux dépens des promoteurs, mais finalement ce sera au tour des acquéreurs de payer la facture globale.
Le problème socio-politique, c’est que la classe moyenne et même la frange supérieure de cette classe (cadres supérieurs de l’Administration et des entreprises économiques) ne peuvent même plus accéder à un logement économique, alors que dire pour le haut standing ?
D’où frustration, mécontentement et tensions, voire colère et répercussions sur les résultats des futures élections.
Mais pourquoi donc cette flambée vertigineuse des prix et en quoi consiste-t-elle ?
Pour “faire court” on dira que les prix ont presque doublé en six ans, ce qui est considérable et seulement partiellement justifié. Surtout que la classe moyenne a perdu 40% de son pouvoir d’achat depuis 2011 à cause de l’inflation galopante du coût de la vie alors que les appétits de consommation au lieu de “se calmer” en fonction de la conjoncture morose que traverse le pays se sont au contraire ravivés de plus belle. En effet, la classe moyenne qui assiste impuissante à la dégradation de la situation socio-économique du pays à cause de l’incompétence et de l’incapacité de la classe politique à réaliser les réformes et relancer la croissance, se défoule dans la consommation.
Il y a un paradoxe majeur dans notre politique du logement, en supposant qu’il y en a une, c’est que l’on cherche des montages financiers ingénieux mais combien fragiles et vulnérables pour permettre à des ménages nantis disposant de salaires relativement aisés, entre 1750 D et 3500 D bruts par couple et par mois, d’acquérir un logement coutant 200.000 D au maximum alors qu’il y a des centaines de milliers de familles qui n’ont même pas pu accéder à un logement social de 50 ou 60 mille dinars.
Sans oublier les dizaines de milliers de logements sommaires, insalubres et vulnérables, type gourbis, qui persistent depuis toujours dans notre pays.
Les objectifs poursuivis par le nouveau texte sont relativement louables puisqu’il s’agit de préserver le secteur de la promotion immobilière d’une “grosse bulle” qui pourrait éclater du jour au lendemain si on reste les bras croisés, alors que le risque nous guette à tout moment. Mais à travers l’immobilier, le challenge consiste à préserver le secteur bancaire d’une faillite retentissante tellement il est impliqué dans l’immobilier car le système bancaire tunisien ne survivrait pas à une deuxième couche de créances toxiques d’origine immobilière qui viendrait s’ajouter à celle déjà lourde à assumer, d’origine touristique et hôtelière, évaluée à 2,5 milliards de dinars.
Le prétexte c’est de favoriser les hauts salaires, 1,750 D à 3,500 D bruts par mois et par couple à acquérir un premier logement en assurant les 20% d’autofinancement.
La solution retenue c’est de faire d’une pierre deux coups.
En même temps on projette d’écouler le stock de logements économiques et économiques améliorés, achevés ou en cours de construction.
Et en même temps au passage on “soulage” les promoteurs immobiliers d’un poids lourd qui plombe également le bilan des banques de la place.
Il convient de remarquer que 200 millions ont été budgétisés en 2017 par le gouvernement dans le cadre du ministère de l’Equipement et de l’Habitat pour faire face aux 20% d’autofinancement à la charge des acquéreurs lors de leur achat chez un promoteur immobilier.
L’incartade, l’erreur, ou bien la maladresse ou encore la suspicion de corruption si l’on en croit certains députés de l’ARP, c’est la publication des listes et des coordonnées de certains promoteurs immobiliers qui bénéficient des nouvelles mesures de financement aux dépens des autres.
Ce qui pourrait constituer une incitation au profit des uns aux dépens des autres. Il ne nous appartient pas d’en juger.
Le montage financier consiste en un crédit accordé par l’Etat à travers une banque, remboursable sur 12 ans avec un intérêt de 2% seulement par an dont 5 années de grâce pour financer les 20% d’autofinancement. Ce qui est exceptionnel.
Outre le crédit bancaire accordé par la banque sur 20 ans au maximum à un taux d’intérêt conforme à celui pratiqué sur le marché.

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