A quoi servirait le boom de « compétences numériques » dans un monde post COVID-19 ?

Si l’on met de côté les innombrables impacts négatifs,qui sont incontestables, le COVID-19, semble avoir eu deux conséquences positivesprincipales. D’une part, cet épisode a permis d’accorder à la nature et à l’environnement une pause sans précédent – avec comme conséquence une amélioration considérable de la qualité environnementale un peu partout dans le monde[1]– et d’une part, mettre au repos forcé une partie non négligeable de la population mondiale avec une réserve de temps disponible, qu’elle n’avait jamais eu au préalable. Une grande partie de la population mondiale aété amené à recourir à de ses interactions sociales via des interfaces numériques (travail, loisirs, vie familiale, même la pratique du sport…). Cet usage intensif des outils numériques a eu pour conséquence d’améliorer sensiblement les compétences numériques (E-skills).

En effet, durant la période récente, nous n’avons jamais eu autant de talk virtuels, de réunions virtuelles, de réflexions via internet, de RDV par Internet,de travail par internet, de consultations de journaux en ligne, de lecture d’articles scientifiques…certains mêmes ont constaté une augmentation significative de leur productivité et parlent d’une intensité de travail sans précédent. Cette situation de confinement de la majorité de la population mondiale, qui pourrait s’étendre dans le temps, a eu comme effet positif de mettre les populations confinées en en situation d’apprentissage accélérée des outils numériques. Il en résulte un « boom » d’appropriation et d’accumulation de compétences numériques sans précédent.

Dans cette note je pose la question des impacts éventuels de cette accumulation des compétences numériques dans notre monde post COVID-19. Je vais rappeler au préalable ce que l’on entend par compétences numériques et leurs modalités d’acquisitions avant de me focaliser sur trois conséquences principales à mes yeux : une redéfinition de notre modèle économique avec une accélération de l’économie digitale, une redéfinition de nos modes d’organisation et de prise de décisions et enfin, une meilleure prise en compte des dangers du monde virtuel.

Le processus d’acquisition des compétences numériques repose essentiellement sur un usage intensif de la technologie…ce que le COVID-19 a permis récemment

La Commission Européenne définit la compétence numérique (E-skills)comme la capacité d’usage des technologies numériques de manière sûre et critique.Ces compétences, concernent la totalité de la population et ne sont pas des compétences spécifiques liées aux développeurs informatiques et autres solutions digitales[2]. Un débat important a eu lieu,par des chercheurs de diverses disciplines, sur la nature, les caractéristiques et la manière de construire ces compétences numériques. Il existe, une grande convergence vers l’idée selon laquelle, la plupart des compétences numériques seraient construites via un usage intensif et par des mécanismes d’apprentissage informels. La plupart d’entre nous utilisent de nombreux outils, logiciels, plateformes, réseaux sans avoir jamais eu de formations spécifiques. D’ailleurs, ce constat est validé par la mise en place de technologies intuitives par les multinationales dans le domaine du numérique.

Ces technologies n’ont pas un gros besoin d’apprentissages formels et semblent évidents. Pour progresser il suffit de les utiliser de plus en plus intensément afin de mieux maîtriser leurs composantes. Face à une difficulté quelconque ce sont les pairs et les amis qui sont mobilisés. Une grande majorité de la population, appellent à l’aide des cousins, des amis, leurs propres enfants ou des collègues de travail. Cette sollicitation de l’entourage permet de consolider les compétences et d’apprendre à maîtriser de mieux en mieux ces technologies.

Mais par manque de temps et en présence de solutions alternatives, nombre d’individus n’ont pu accumuler des compétences numériques – qui deviennent vitales de jour en jour. L’épisode du COVID-19 nous a mis devant la situation idéale pour les acquérir : une réserve de temps importante et une contrainte de continuer nos vies via ses technologies. Dès lors, un usage intensif s’est mis en place permettant un rattrapage sans précédent !

Ce mécanisme, dans la durée a été de deux à trois mois, a consolidé les habilités et les compétences d’une grande majorité de la population. Même les plus récalcitrants, les plus hésitants et ceux qui refusaient de s’insérer dans le monde virtuel se sont trouvés contraints de s’y mettre. Ils n’y avaient pas d’échappatoire. A moins, de considérer que cet épisode est un épiphénomène et qu’il sera vite oublié dans quelques temps. Mais une grande majorité, semble de nos jours, repenser leur stratégie d’existence en prenant cet épisode comme une nouvelle normalité avec laquelle il conviendrait de vivre. De leurs compétences numériques futures, dépendront leurs stratégies de survie.

L’acquisition des compétences numériques par une grande partie de la population accélérera l’économie numérique post COVID-19

Une des limites fondamentales au déploiement des solutions numériques dans tous les domaines de notre vie a toujours été l’argument selon lequel, il existerait des fractures numériques[3]. Le sous équipement de certaines populations ou la non-maîtrise de la technologie par une frange de la population a conduit les décideurs à garder des solutions classiques (en dur) pour ne pas discriminer entre les populations et éviter la e-exclusion. Les déclarations d’impôts sont aujourd’hui disponibles en ligne et sous format papier. Les fonctionnements fondés sur le papier existent encore de nos jours en raison de cet argument. Mais, l’épisode COVID-19 semble avoir donné le dernier coup de massue à toute alternative hors-ligne, dès lors que la société pourrait tourner de manière complètement numérique.

L’épisode du COVID-19 est un point de basculement définitif vers la virtualisation de nos vies. De nombreux services ne sont plus à envisager hors ligne. Il est presque fini le temps de voir des services publics bondés avec du personnel et des usages, des files d’attentes devant des bureaux de postes ou des aides publiques distribuées de main à main. La virtualisation progresse dans le monde entier et le COVID-19, accélérateur de tendance, a sonné l’heure du passage en force.

Cette virtualisation sera accélérée par les acteurs classiques de l’économie numérique (les fameux GAFAM), qui ont vu leurs chiffres d’affaires s’envoler et leur emprise sur l’économie s’accroître ! Mais il conviendra également de noter la dynamique des nouvelles start-ups montées dans la précipitation aux quatre coins du monde pour répondre à de nouveaux besoins. L’aisance manifeste dans la manipulation de la technologie, l’augmentation du nombre d’utilisateurs conduit à un boom de services numériques qui se généralisera en modèle d’organisation de la société post-COVID.

Dès lors que le monde virtuel nous a offert une solution de repli à nos vies réelles pendant cette « guerre », il deviendrait notre refuge ultime. Nos compétences numériques sont nos armes pour s’assurer de sa complétude (permettant de réaliser tout à distance – travail, transactions, loisirs, administration, information…-). Notre quasi-autonomie pour de futurs épisodes de « coronavirus, de catastrophes naturelles, de bactéries résistantes ou de guerres » passe par des compétences numériques de plus en plus affinées.

L’accumulation des compétences numériques devrait conduire à remette en cause le modèle de fonctionnement de nos sociétés (les coûts évitées) 

Cet apprentissage et accumulation des compétences numériques sont des préalables au fonctionnement efficace de nos sociétés via les plateformes numériques. Ils permettraient de nous mettre devant nos contradictions. En effet, dès lors qu’une partie de nos vies seraient coordonnées par le net, nous allons nous poser la question de ce qui est essentiel. Pour de nombreux experts, ils voient émerger une tendance de plus en plus minimaliste et une remise en cause de l’organisation de notre société consumériste.

Quelles tâches pourrais-je supprimer ? quel trajet pourrais-je éviter ? A quelle réunion pourrais-je participer sans me déplacer ? Les options de du travail, d’apprentissage, de loisirs, d’organisation familiale vont changer. Le rapport à la distance physique et à la consommation de biens et services également. Ceci devrait nous permettre de limiter notre impact écologique – solution inévitable dans un monde où l’on devrait arriver à la neutralité carbone d’ici 2050.Ceci devrait également de nous ramener à nous concentrer sur notre environnement immédiat et notre entourage. En économie, cela conduirait sans nul doute à une économie davantage circulaire, solidaire avec de plus en plus de proximité.

Faire fonctionner notre société et prendre des décisions en ligne est une option disponible pour nous. A quoi rime d’entasser des populations dans des bureaux de vote alors que le vote électronique et sécurisé est une option simple et disponible. A quoi rime de faire des déplacements en avion pour réaliser une réunion de deux heures et de perdre deux jours et des moyens financiers importants ! Pourquoi faire venir 300 étudiants dans un amphi surchargé pour une leçon de 3 heures. Pourquoi perdre une demi-journée à attendre un docteur dans sa salle d’attente bondée alors que par une application la télé consultation est disponible facilement sur nos smartphones !

Notre société a été boulimique en déplacements, en réunions, en rassemblements, en consommations…inutiles. Le Post COVID-19 devrait nous conduire à faire le ménage et les arguments de la dernière décennie -manque d’équipement et surtout manque de compétences numériques – ne tiennent plus ! Il est temps d’effectuer le grand remue-ménage dans le fonctionnement de nos sociétés et la conduire sur le schéma de la soutenabilité. Le COVID-19 aurait au moins servis à ça !

Cette accumulation de compétences numériques permettra aussi de mieux se prémunir contre le risque de manipulation et de sauvegarde notre vie privée

L’épisode COVID-19 a été un extraordinaire un épisode de fakenews, de manipulations, de faux chiffres, de fausses nouvelles scientifiques…L’information a été abondante et savoir naviguer dans ce nuage informationnel aussi dense était une mission quasi impossible. Mais c’était également un exercice pratique pour les compétences numériques informationnelles.

En effet, une des lacunes les plus importantes dans le monde des compétences numériques est relative à l’incapacité des individus de naviguer dans la sphère informationnelle du net et l’absence de recul et d’esprit critique. Les polémiques récentes en médecine ont éduqué les populations au raisonnement critique, au croisement des sources d’information, aux dangers des manipulations, à la méthode et à la rigueur scientifique…ces compétences sont nécessaires dans un monde virtuel dans lequel nous sommes en danger de manipulation et livré à nous-mêmes constamment.

L’épisode du COVID-19 est aussi un épisode qui a été caractérisé par une résurgence de délits sur Internet. Dès lors que les transactions sont passés sur le net, les cyber hakers et le monde de la criminalité a changé son fusil d’épaule. Disposer des compétences numériques, c’est savoir sécuriser ses communications, c’est se soucier de ses traces numériques, c’est accorder de l’importance à sa vie privée…de ce point de vue, un grand progrès a été réalisé par les non- initiés. Beaucoup ont eu enfin connaissance du Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD) et son importance. Beaucoup ont saisi l’importance à accorder à leurs traces numériques.

Dès lors de la sortie de la crise, semble être liée au consentement d’usage des données personnelles, les débats ayant entourés cette solution ont été bénéfique pour augmenter la conscience du motif de la sécurité. En Australie, ceci a conduit le premier ministre à juger illégale tout utilisation des informations des utilisateurs de smartphones hors des usages pour sortie du COVID. Le débat dans le reste de la planète bat son plein et les dangers de la solution à la chinoise fortement discutés

Pour conclure

L’après COVID-19, incertain à l’heure où j’écris cette note, est un monde où une grande partie de la population mondiale aurait amélioré ses compétences numériques. Où elle a atteint une maturité d’usage permettant plus d’efficacité et plus d’efficience dans le déploiement des solutions numériques. Ceci accélérera la tendance de la transformation digitalisation. Mais cette digitalisation semble davantage en relation avec ce que souhaitent les utilisateurs : une digitalisation utile et en respect avec la nature.Les compétences numériques sont importantes pour nous aider à faire de meilleurs choix, dans un monde qui nécessite de plus en plus des choix forts.

[1] Je consacrerai la tribune de cette semaine au premier aspect et j’aborderai le second aspect dans une prochaine tribune.

[2] J’exclus dans ce post ce type de compétences spécifiques de mon raisonnement

[3] A. Ben Youssef (2004) Les quatre fractures numériques, Réseaux.

Related posts

Charles-Nicolle : première kératoplastie endothéliale ultra-mince en Tunisie

Affaire du complot : Qui sont les accusés en fuite ?

Une opération sécuritaire inédite : Saisie de plus d’un million de comprimés d’ecstasy (Vidéo)