En 2016 et en 2017, la justice tunisienne suspendait les activités du parti islamiste radical Hizb Ettahrir pour incompatibilité de son idéologie salafiste avec les principes de la République et de la démocratie. Créée après la révolution de 2011, la formation politique prônait l’instauration du Califat et l’application de la loi islamique (la Chariaâ) en lieu et place de l’Etat civil que connaît la Tunisie, exclusivement, depuis son indépendance.
Pendant la décennie post-révolution, les Tunisiens ont découvert, par expérience, le vrai visage et le degré de nuisance de l’islam politique au point d’exiger le départ de ses représentants des cercles du pouvoir et la reddition des comptes par tous ceux qui ont nui, d’une manière ou d’une autre, à la Nation (terrorisme, économie à genoux).
En 2025, ce 26 avril, le même parti, Hizb Ettahrir, lié à un mouvement panislamiste issu des Frères musulmans, tenait son congrès annuel dans la capitale Tunis, précisément à l’Ariana. Sous le slogan : « Echec de l’Etat moderne, inévitabilité du Califat ». Un congrès de parti, dans un désert politique et une léthargie partisane depuis plus de trois ans ? Il y a de quoi s’étonner, voire être intrigué. Force est de rappeler, tout de même, que le parti à la bannière noire, qui est loin d’être un parti de masses, s’est toujours démarqué des autres formations politiques et a été tenu à l’écart par l’ensemble de la classe politique, y compris du mouvement Ennahdha quand il était aux affaires, qui ne partageait ni ses idées ni sa manière de faire.
Hizb Ettahrir se dit pacifique mais son rejet de la République et son attachement à la Chariaâ ont incité les Tunisiens à le repousser et les autorités à braquer leurs radars sur ses partisans. L’échec de l’Etat moderne, un des membres du parti intervenant au dernier congrès avance des arguments socioéconomiques pour le justifier : taux de pauvreté 31%, analphabétisme 20%, célibat féminin 65%, 14000 divorces en 2024, dette publique 235 milliards de dinars. Mais l’ex-leader, Ridha Belhaj, était plus percutant et ses critiques plus profondes.
Pour lui, « la révolution a été trahie » (comprendre détournée de ses objectifs) et « la Tunisie était dirigée par les Occidentaux à travers des relais locaux », a-t-il lâché lors d’une conférence à Sfax en 2014. Une vision de la Tunisie post-révolution proche de celle qui prévaut aujourd’hui et qui vient d’être matérialisée par le procès, très controversé, sur l’affaire du « complot contre la sûreté de l’Etat » et qui a débouché sur de lourdes condamnations contre les accusés jugés pour collaboration avec des parties étrangères.
La branche tunisienne de Hizb Ettahrir, parti reconnu depuis 2012, est en droit de tenir son congrès et d’organiser des activités partisanes quand il le souhaite et où il le souhaite, conformément aux dispositions de la Constitution tunisienne de 2022 qui précise dans son article 27 que « l’Etat garantit la liberté de croyance et de conscience » et dans son article 40, « la liberté de constituer des partis politiques… ».
Malgré tout, le parti à la bannière noire dérange et inquiète. Son idéologie et ses desseins sont aux antipodes de l’Etat civil qui, lui, est basé sur la séparation entre la politique et la religion. Raison pour laquelle, sans doute, la Constitution de 2022 a jugé utile de souligner dans son 2e article que « le régime de l’Etat tunisien est le régime républicain » et dans son 5e article que « seul l’Etat doit œuvrer, dans un régime démocratique, à la réalisation des vocations de l’Islam authentique qui consistent à préserver la vie, l’honneur, les biens, la religion et la liberté ». Avec une mise en garde claire dans l’article 28 : « L’Etat protège le libre exercice des cultes tant qu’il ne porte pas atteinte à la sécurité publique ». Toutes ces balises ont pour objectif de protéger la Tunisie contre toute dérive extrémiste fondamentaliste.
Mais, est-ce suffisant sans une vigilance constante ? Non.
C’est ce qui explique l’incompréhension et l’exaspération suscitées par la tenue de ce congrès. L’Observatoire national pour la défense du caractère civil de l’État a fait part de son inquiétude dans un communiqué ferme rendu public à l’occasion. Comment expliquer que les autorités tolèrent encore l’activité d’un parti qui nie les fondements mêmes de la nation, rejette la Constitution et les lois et, surtout, sape l’unité nationale ? Ainsi s’interroge l’Observatoire en dénonçant, sur un ton grave, : « Permettre à ce parti de se réunir, de s’exprimer, de diffuser ses thèses sécessionnistes, c’est mettre en danger la souveraineté et la sécurité nationales ».
L’expérience douloureuse de la décennie post-révolution l’a prouvé. Les balises constitutionnelles ne suffisant pas, non plus, quand les autres partis politiques vivent en hibernation, dans un état comateux, sclérosés par la peur, obnubilés par le pouvoir.
Les jours, les mois et les années passent et on ne les entend plus, ils sombrent dans l’oubli, ils ne se montrent plus. Sans doute, l’incarcération de plusieurs de leurs représentants n’est pas facile à vivre mais elle doit être une raison pour se renouveler, pour continuer à militer pour le bien général, pour un vrai projet démocratique.
La vie d’un parti ne tient pas à la présence d’un ou de plusieurs de ses dirigeants, sinon il n’y aurait pas eu dans le monde des formations politiques centenaires. Le parti des Démocrates américain a 197 ans. La classe politique tunisienne doit reprendre ses esprits, se remettre à la tâche avec un nouvel élan, une nouvelle vision, un nouveau discours, une nouvelle méthode. Il faut faire de la résistance pacifique, constructive, intelligente, capable de séduire l’opinion publique, car c’est là que réside le plus grand défi. Il s’agit de regagner la confiance des Tunisiens et non pas d’attendre la prochaine Présidentielle pour tenter de nouveau de briguer le fauteuil du Palais de Carthage.
La bataille des élections sera à nouveau perdue par les courants démocratiques si les électeurs tunisiens ne constatent aucun changement, aucune amélioration dans leur discours et leur méthode, aucun signe de bonne volonté.