A Si Ahmed Hachani

En ces temps de désarroi, de lassitude «révolutionnaire», de mobilisation des mécontents et de diffusion des fausses informations à propos de vos orientations politiques, le métier d’un chef du gouvernement n’a jamais semblé aussi compliqué et décrié. Il ne suffit pas de faire triompher cette «bonne volonté» qui, selon l’un de nos héros nationaux Saint Augustin, modèle le désastre et fait rêver temporairement le peuple. En passant de l’optimisme démesuré à l’action concrète, votre rapport à la réalité risque de perdre une part de son innocence pour laisser place au soupçon et à une grande et dramatique déception. Il va sans dire que l’histoire ne manque pas de combats douteux qui ont abouti, mais celui-ci promet d’être très difficile à gagner. Pourtant, nous pensons qu’il mérite d’être mené à condition de prendre le citoyen pour ce qu’il est, un être responsable, capable de raisonner, plutôt qu’un sujet passif auquel vous dicteriez sa conduite.
Vous devez entamer votre mission par le côté le plus difficile en choisissant la transparence plutôt que la confusion, les réformes profondes plutôt que le statu quo ou les rafistolages et les petits ravalements de façade, la vérité des prix plutôt que les ruineux subsides. Les «solutions» populistes sont, comme toujours, des miroirs aux alouettes !
Il n’est pas besoin d’avoir lu « Ithaf ahl al-zaman» (Présent des hommes de notre temps) de l’historien Ibn Abi Dhiaf et de connaître les déboires de Sadok Bey en 1869 pour savoir qu’on ne peut indéfiniment compter sur les dettes pour diriger convenablement un pays.
Laissez-vous guider par l’urgence de la question brûlante : les inégalités grandissantes. Une ligne de faille qui devient si vite, dans un pays où tant d’enjeux se recoupent, une ligne de front. Ces inégalités sont un poison. Lorsqu’elles se creusent et ne sont pas traitées, elles font vaciller les gouvernements. Et souvent, elles mènent à leur chute. En ignorant ce principe économique et social de base, vous vous obstinez dans une escalade qui ne réglera aucun des problèmes du pays. Un chef du gouvernement réussit et devient fort quand son programme fait écho aux problèmes de la société et vise directement le seul véritable horizon salutaire : subsumer les affiliations idéologiques par une citoyenneté plus haute, qui nous fait nous sentir appartenir à une nation avant d’appartenir à une idéologie politique ou à un regroupement de semblables. Une affirmation qu’il existe un socle, celui du civisme, ou les idéologies doivent s’effacer derrière l’appartenance à la patrie. Sans volonté politique claire et sans évolution de la loi, que les gens au pouvoir sont toujours prêts à contourner, votre action sera sans effet.
Enfin, on ne fait rien de grand sans de grandes compétences. Parce que le terrible en politique dans notre pays, depuis plus de douze ans, c’est que les mauvais prennent sans effort la place des bons. Un arriviste médiocre, avec de l’entregent, obtient souvent un poste plus élevé qu’un compétent confirmé. Alors, à vous d’incarner la résistance à cet «ardent désir» de voir l’incompétence au pouvoir. Entourez-vous de conseillers compétents. Plus un conseiller est compétent et expérimenté, meilleur il sera. C’est une vieille règle. Le propre des responsables éclairés, à travers l’histoire, était d’inviter les compétents à leur cour pour se frotter aux idées lucides.

Plongé dans une scène politique paranoïaque, où chacun se voit assiégé par ses fantasmes, vous devez affronter une situation économique et sociale en péril, qui fait eau de toutes parts, surtout que dans ce gigantesque vide-greniers de leurs frustrations et cet immense bric-à-brac de leurs revendications, les Tunisiens attendent de vous des solutions concrètes.

Et pour conclure : n’oubliez jamais que tout homme politique au pouvoir ne sera puni que par là où il aura péché.

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