Abandon scolaire: Pourquoi quittent-ils les bancs de l’école ?

 Dans un rapport du ministère de l’Éducation, on peut lire qu’en 2013, 107 mille enfants ont abandonné l’école. Un phénomène qui touche de très près les gouvernorats de Jendouba et de Kairouan où une étude a été réalisée par plusieurs institutions et ONG.

Récemment, toute la Tunisie a été bouleversée par la petite Chiraz qui a mis fin à ses jours. La jeune fille âgée de douze ans a dû abandonner l’école à cause du niveau de vie. La jeune fille a quitté le pensionnat et est rentrée chez elle. C’est son petit frère qui l’a retrouvée pendue à un arbre… Pauvreté et abandon scolaire se croisent souvent.

«Trop cher, mon fils»

Dans certaines régions, c’est principalement le manque de moyens qui pousse les parents à garder leurs enfants à la maison ou les envoyer travailler.

«Pour emmener mon fils à l’école, il faut payer soixante dinars, je n’ai pas cette somme, je travaille au jour le jour et je n’ai pas les moyens de lui acheter les cahiers, de payer son transport ! Tout cela c’est de l’argent, de l’argent en continu, j’ai du mal à nourrir mes enfants ! Ceux qui disent que l’école est gratuite, c’est un mensonge ! Un gros mensonge !»

La situation de Mohamed, père de famille âgé de quarante ans, est celle de milliers d’autres parents. La pauvreté est donc la cause essentielle de l’abandon scolaire.

L’école, pourquoi faire ?

À quelques kilomètres de la ville de Kairouan, à Hajeb Layoun, Lassâd nous dit «les enfants sont restés 6 mois sans enseignants, quand je vois cette situation, je me dis que je ferai mieux de garder mon fils avec moi pour qu’il travaille dans les champs ! Il fait tous les jours une heure de trajet à l’aller et une heure au retour et il rentre bredouille. Pourquoi ?

Et en plus, avec ces retards, arrivé au collège, il aura un niveau très faible comparé aux enfants qui ont eu cours toute l’année, il n’aura donc jamais son bac …» C’est effrayant de voir un avenir tout tracé pour un enfant de six ans, un échec déjà planifié, c’est ce qu’on appellera communément «le destin»…

L’école n’est pas immédiatement rentable 

Ils sont vendeurs de « Tabouna, ou de papiers mouchoirs, leurs clients sont des automobilistes, des piétons de passage…Ils ont entre 6 et 12 ans, ils connaissent le scénario par cœur, ils doivent insister, implorer la « générosité » des potentiels clients pour quelques centaines de millimes supplémentaires.

« En travaillant, je donne de l’argent à mes parents, je peux acheter aussi ce dont j’ai besoin, je peux prendre un sandwich si je veux …A l’école, on ne me donne rien, en plus je risque de ne pas trouver de travail après plusieurs années d’études et de sacrifices » dit le jeune Selim du haut de ses douze ans et son frère Hassen, de deux ans son aîné, est tout à fait d’accord. C’est à croire qu’ils ont été formatés. Voilà ce qu’il nous dit pour vanter « son travail » : « Nous au moins on travaille, beaucoup sont engagés pour faire des braquages ou mendient…Pour peu qu’une femme passe avec un téléphone ou un sac, ils l’arrachent ! »

L’abandon volontaire

Il y a aussi ceux qui choisissent sciemment d’abandonner leurs études ou du moins qui ne font aucun effort pour les reprendre. Une tendance qui arrive généralement suite à un échec scolaire ou un redoublement.

«Je me sens assez mature pour travailler, j’ai une passion, les autres matières ne m’intéressent pas. On ne m’a pas donné ma chance. Je n’ai pas encore trouvé de travail qui m’intéresse …Je veux lancer ma propre collection. Je veux travailler mais pas avec n’importe qui» nous dit Selima qui a quitté l’école après deux redoublements au collège. Ces enfants, parfois un peu «rêveurs», n’ont pas le sens des réalités.

D’autres rêvent de partir. Ils croient encore que l’Italie est l’Eldorado où ils s’enrichiront rapidement en travaillant au noir et reviendront avec de grosses cylindrés. «Moi je veux partir en Italie comme mon oncle Chiheb, il travaille dans un restaurant et gagne plus de 2 400 dinars par mois. Je veux trouver un travail comme lui». Ahmed, seize ans, a pour seul désir de quitter le pays. La notion de l’argent change selon le référentiel.

Le jeune homme et toute sa famille n’ont jamais réussi à réunir cette somme en Tunisie. Cette somme paraît donc faramineuse aux yeux de ce jeune homme. Il ne sait pas ou occulte le fait que les conditions de vie, les prix et le niveau de vie sont très différents en Europe. 

Peu de débouchés et d’alternatives ?

« Moi, j’ai eu un bac sciences avec une mention. Je suis passionné de cinéma, d’animation 3D, de création de jeux vidéo. J’étais en France avec mes parents qui ont décidé au milieu de l’année de rentrer vivre en Tunisie. Je n’ai pas trop apprécié la vie estudiantine, vivre seul, devoir cuisiner et toutes les contraintes financières qui suivent …J’ai alors décidé de rentrer en Tunisie et faire mes études ici.

Mais, au final, je n’ai rien trouvé qui me passionne sauf quelques universités privés qui ne ressemblent à rien avec des gens qui s’improvisent professeurs…Beaucoup d’amateurisme, beaucoup d’argent et des débouchés incertains ». C’est l’histoire d’Adam qui a 19 ans et qui chôme depuis un an et qui se sent obligé de repartir ailleurs s’il veut poursuivre ses études.

Comment prévenir ce phénomène ?

Un sociologue nous dit qu’il faut absolument une réforme structurelle de l’enseignement. Nous avons contacté les ministères concernés et plusieurs hauts cadres qui travaillent sur ce sujet nous ont dit qu’il faut aussi s’intéresser                                                       aux conditions de vie de ces familles. «Souvent les enfants qui quittent l’école sont sous alimentés. Nous avons un programme qui vise à mettre en place des cantines dans les écoles, gratuites et ouvertes à tous les enfants».

Certains hauts cadres au ministères des Affaires sociales, de l’Éducation et au secréterait d’État de la femme et de la famille savent pertinemment qu’il faut d’abord se pencher sur le niveau de vie des familles avant de pouvoir lutter contre ce fléau. Il s’agit d’ailleurs d’un problème qui nécessite l’intervention de plusieurs ministères et instituions qui se renvoient la balle. Ces problèmes urgents ont été et sont encore causés par les lenteurs administratives.

Y. H.

 

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