Je me souviens de ses passages à l’Institut du monde arabe, dans les années quatre-vingt dix, quand il venait rendre hommage à Jacques Berque ou parler de la tradition soufie. Il était souvent accompagné de son compatriote psychanalyste Fethi Ben Slama, et c’était un plaisir de voir débarquer ce duo d’intellectuels tunisiens, parmi les plus éclairés du monde arabe.
Je me souviens de la dernière fois où je l’ai rencontré. C’était il y a quelques mois, dans une conférence. Il avait toujours son air jovial, son visage de chérubin, son regard bleu taquin, son sourire un peu triste, ses allures de dandy occidental, et sa finesse toute tunisoise. Certes, l’homme était un brin narcissique, mais ses amis savaient ne pas lui en tenir rigueur. Car s’il aimait parler de lui, Meddeb savait parler des autres : ceux qui ont marqué ses idées et influencé ses choix. Il savait défendre comme personne les Ibn Arabi, grande figure de l’islam mystique, et pourfendre les Tarek Ramadan, représentant de la frange insidieuse de l’intelligentsia musulmane ; il évoluait entre les cultures juive, chrétienne et musulmane comme un poisson dans l’eau ; et il ne manquait jamais de revenir, toujours, vers sa Tunisie natale à qui il tenait à donner des consignes de vote, ces dernières semaines, avant de mourir.
L’homme était écouté et admiré, n’en déplaise aux obscurantistes, ses adversaires tenants de la « théorie du complot sioniste » et du « Parti de la France ». Partout où il allait, il avait à cœur de « transmettre les merveilles de l’islam » que l’islamisme s’acharne à dénaturer. Les grands textes n’avaient pas de secret pour lui, et il nous a fait aimer comme personne certains écrits, comme Les dits de Bistami, restés pour beaucoup d’entre-nous un livre de chevet.
Depuis quelques années, je l’écoutais au micro de France Culture. Et je me disais, voilà, je suis fière d’entendre ce digne descendant d’une Tunisie ouverte et souveraine dans la tête, cette belle voix ralliant le public occidental et donnant aux auditeurs du monde entier des leçons de dialogue, de tolérance et de démocratie. Ses maîtres mots qui sont appelés à devenir les nôtres, si nous voulons honorer sa mémoire.
Fouzia Zouari